Dossier. Les cantons ont baissé, ou au moins stabilisé, leurs taux d’imposition. Mais ils ont aussi reporté leurs investissements. Un retard qui sera difficilement compensé sans accroître l’effort sur les contribuables.
Contribuables, vous pensiez vos années difficiles derrière vous? Erreur. Le fisc a beaucoup de raisons de vous porter une attention encore plus soutenue: alors que les rentrées fiscales deviennent toujours plus aléatoires, les nécessités d’investissements des pouvoirs publics ne cessent, elles, de croître. Il faudra donc bien que quelqu’un paie la différence. C’est déjà le cas dans certains cantons alémaniques, où les programmes d’économies succèdent désormais aux baisses d’impôts de ces dernières années (lire en page 10).
«Les finances publiques cantonales arrivent à la fin d’un cycle de vaches grasses», constate le professeur Nils Soguel, spécialiste des finances publiques à l’Institut de hautes études en administration publique de l’Université de Lausanne.
Cette nouvelle réalité sera difficile à admettre, car les finances cantonales ont vécu pendant plusieurs années sur un nuage. La croissance économique de la décennie écoulée leur a assuré des revenus en hausse régulière. Ceux-ci ont facilité l’élaboration de budgets équilibrés et l’établissement de comptes bénéficiaires.
Hélas, cette période dorée tire à sa fin. Ce virage se lit déjà dans les états financiers des cantons les plus fragiles, comme Neuchâtel. L’affaissement de la conjoncture depuis l’abandon du cours plancher entre le franc et l’euro, début 2015, précipite maints budgets dans le rouge. Ce plongeon sera accentué par un effet de la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III) lorsqu’elle entrera en vigueur, en principe dès 2018. Le taux d’imposition des bénéfices sera abaissé dans plusieurs cantons, notamment Genève et Vaud, entraînant des manques à gagner de plusieurs centaines de millions de francs. Or les besoins en financements se montrent toujours plus aigus.
En raison de la pression démographique d’abord, qui accroît la demande de services publics comme les écoles et les centres de soins. Et pour combler des retards toujours plus criants en matière d’infrastructures, dont l’évidence saute aux yeux des pendulaires bloqués dans les embouteillages ou contraints de voyager dans des trains bondés. Plusieurs cantons romands, qui ont particulièrement peu investi ces dix dernières années, devront faire face à un important rattrapage. A commencer par Vaud, Neuchâtel et Fribourg.
Cette situation annonce aussi la fin des largesses fiscales, telles que des baisses d’impôts, et un frein aux déductions dans pratiquement tous les cantons.
Se dirige-t-on vers une hausse des impôts? Jusqu’ici le thème n’a pas été abordé frontalement par les gouvernements cantonaux. «Les responsables des finances publiques n’aiment pas actionner la fiscalité lors de l’élaboration des budgets, car nous sommes dans une démocratie référendaire», analyse Nils Soguel, pour expliquer ce manque d’action. Il estime que, à défaut d’un relèvement des taux d’imposition des personnes physiques, les cantons peuvent toujours opter pour une élévation de la taxation des actifs les moins mobiles, à commencer par l’immobilier. D’autant que les calculs sur la taxation du logement en propriété se basent sur des données assez peu en ligne avec les réalités du marché.
Les administrations fiscales peuvent aussi recourir à de multiples autres recettes pour améliorer les rentrées. La plus classique consiste à reporter les charges sur l’échelon inférieur: les communes. Ainsi, les économies réalisées par le canton se traduiront en élévation des coûts pour les autorités municipales, qui devront à leur tour choisir entre une hausse de leur propre fiscalité ou une diminution de leurs dépenses.
Les grands argentiers cantonaux peuvent aussi modifier l’assiette fiscale de façon à imposer des éléments jusque-là épargnés ou relativement peu taxés. Mais le professeur interroge la pertinence de quelques curiosités, dont la déductibilité des dons accordés aux partis politiques.
La solution de l’amnistie
Toujours dans leurs recherches de fonds, certains cantons ont aussi employé l’arme de l’amnistie fiscale en calquant leurs solutions sur le modèle offert par la Confédération dès 2010: pénalités et amendes réduites pour celui qui s’annonce spontanément, mais une seule fois seulement. Ce qui a fonctionné dans le Jura, pionnier en la matière, où des fortunes cachées ont surgi. Mais l’idée a échoué en Valais en raison de l’opposition du Tribunal fédéral qui a jugé que la formule choisie rompait avec la notion d’égalité de traitement entre contribuables. Découragé par ce refus, Fribourg a abandonné de lui-même une idée similaire.
Quant aux mesures les plus faciles, donc les plus immédiates, elles portent sur les petites économies administratives. Par exemple rogner sur le taux d’intérêt rémunératoire, qui récompense les contribuables qui s’acquittent de leur dû longtemps à l’avance, voire en un seul paiement. Longtemps fixé à 2%, il a été progressivement abaissé à 0,25% en moyenne, et un canton, Zoug, en a même annoncé la suppression! Néanmoins, il est plus avantageux de payer ses impôts en avance que de placer ces liquidités sur un compte bancaire, ce qui fait que le fisc reste un meilleur «placement» que le compte d’épargne!
Quelle que soit la solution finalement retenue par l’administration pour équilibrer les comptes, elle ne sera que rarement à l’avantage du contribuable. Soit ce dernier verra sa facture fiscale s’élever, soit les prestations qu’il recevra des pouvoirs publics se trouveront érodées. Parce que, après le temps des largesses, voici venue l’heure de payer les factures. Nos conseils pour limiter la note finale, canton par canton.