Aïna Skjellaug et Yelmarc Roulet
Réflexion. Culture, logement, développement urbain, mobilité, écologie: des thèmes de campagne sur lesquels dix acteurs de la vie lausannoise apportent leurs visions. Quand l’audace prend le pas sur les slogans, à deux semaines des élections communales.
«Abandonner tout modèle pour étudier les possibles», préconisait le poète américain Edgar Allan Poe. A deux semaines des élections communales, dix acteurs de la vie lausannoise ont accepté de laisser l’imaginaire empiéter sur leur esprit logique et raisonné. Ville d’une part chérie de ses habitants, Lausanne pâtit aussi d’une lassitude provoquée par le pouvoir en place depuis un quart de siècle. Tandis que l’heure vacille entre les déceptions de la dernière législature et les promesses de celle à venir, ces idées dynamiques brillent par leur audace. La culture, le logement, le développement urbain, la mobilité, l’écologie, des thèmes de campagne qui ne sont pas l’apanage de partis, dont se sont emparés ces citoyens visionnaires. Et vous, comment rêvez-vous votre ville de demain?
1 L.A.usanne, District Capital par Patrick Heiz
Les frontières politiques ont dépassé les tracés de la ville. L’infrastructure lausannoise ne concerne plus seulement ses habitants mais ceux de toute son agglomération. C’est le constat de Patrick Heiz, associé de Made in, un bureau d’architectes engagé dans le développement urbanistique. Il imagine un projet de fusion géant qui insufflerait à Lausanne un véritable dynamisme et stimulerait de ce fait une relève politique.
En fusionnant avec quatre grandes communes limitrophes (Renens, Prilly, Pully, Ecublens), Lausanne deviendrait déjà la deuxième plus grande ville de Suisse, en population, après Zurich. Sans même parler des autres 61 localités faisant officiellement partie de l’agglomération lausannoise.
De nouvelles perspectives dans le débat national où les villes sont appelées à jouer un rôle déterminant dans le développement territorial et démographique des prochaines décennies?
Il est grand temps de le reconnaître: Lausanne a débordé au-delà de ses frontières politiques actuelles. Capitale d’un canton en pleine croissance, elle est plus que jamais au cœur de l’Arc lémanique. Assumant l’extension de son territoire communal, Lausanne doit s’appuyer sur les grands projets infrastructurels déjà engagés (m3, autoroutes, extension des gares) comme moteur d’une identité en mutation.
La grande sœur pourrait convaincre les plus petites de la rejoindre volontairement, par raison et par passion. La nouvelle Municipalité – syndic en tête – devrait proposer à tous les habitants de son agglomération une vision pour un vivre ensemble optimiste, ouvert et ambitieux. Les communes avoisinantes deviendraient alors de nouveaux quartiers, sans que leurs habitants perdent leur spécificité locale.
2 Trois générations habiteront sous le même toit par Patrick Delarive
Patrick Delarive est promoteur immobilier. Dans le nouveau quartier qu’il conçoit à Vevey, il prévoit un esprit de mixité, mélangeant zone publique et privée. Cet entrepreneur, pour qui tout changement est positif, imagine la façon dont les futures générations s’approprieront la ville.
Les futures générations vont se réapproprier le centre-ville. Après avoir déserté la zone urbaine pour la campagne, les habitants se plaignent aujourd’hui de vivre dans des agglomérations qui se sont étendues, et ils subissent, de plus, de longs trajets quotidiens.
Mais à leur retour en ville, leurs habitudes de vie et de consommation auront changé.
L’habitat du futur comportera de grands espaces communs avoisinant d’autres sphères privées, aux entrées indépendantes et où chacun conservera son intimité.
Dans un loft sur plusieurs étages et différents demi-niveaux pourrait cohabiter une nouvelle mixité sociale, abritant une famille recomposée ou multigénérationnelle. Les grands-parents garderont les petits-enfants, les personnes âgées seront assistées par la famille.
Les autorités devront accepter de transformer des surfaces tertiaires en surfaces d’habitation, car les générations Y et Z consomment différemment. Les seules boutiques qui subsisteront seront celles qui proposeront des produits à forte valeur ajoutée. Une offre croissante de logements en ville amènera une baisse des loyers.
3 Pour un musée du numérique au palais de Rumine par Jean-Bernard Racine
Le nouveau Musée cantonal des beaux-arts, pôle muséal et culturel, verra le jour en 2020 aux abords de la gare CFF de Lausanne. Le réaménagement du palais de Rumine, où le musée est actuellement installé, inspire Jean-Bernard Racine, géographe.
La création du nouveau «quartier culturel» à côté de la gare de Lausanne réactive une peur: celle d’un centre-ville qui se réduirait aux alentours de ces nouveaux musées. Car une fois désaffecté, que faire de ce palais de Rumine, vu l’impasse dans laquelle se sont retrouvés les divers projets de transformation? Comment non seulement lui trouver une utilité, mais lui redonner un souffle, une modernité?
Rumine vidé de ses tableaux, l’idée aussi forte que lumineuse serait ainsi d’en faire un musée du numérique. Capteurs, objets connectés, robots de plus en plus étonnants, problématique fascinante des big data: voilà mille thèmes à explorer, qui auraient le double avantage de questionner l’époque de manière évolutive, réflexive, critique, éthique et politique, cela en redonnant à Rumine son lustre historique. Reconstruire, en cet endroit emblématique, le lien si important entre science et culture serait bien autre chose qu’un musée de plus, mais une priorité citoyenne et sociale. Car si le numérique interroge sans relâche notre liberté, inventons le lieu pour en débattre, l’interroger et la défendre.
4 Lausanne, ville zéro voiture par Raphaël Gindrat
Si l’innovation des transports publics lausannois se remarque loin à la ronde, les problèmes de circulation au centre-ville font moins d’envieux. Raphaël Gindrat, concepteur de BestMile, une start-up de l’EPFL, pointe du doigt un problème: le réseau actuel ne garantit pas toujours de mener les gens d’un point A à un point B. Il a une solution.
Et si l’on supprimait les voitures du centre-ville? Plus de problème pour trouver une place de parc, plus de bruit de klaxons ni de moteurs et, surtout, de l’air frais! Imaginez une ville où l’électricité aurait remplacé l’essence, où il suffirait d’un clic sur son téléphone pour trouver un véhicule collectif qui amène jusque chez soi.
Conçu comme un maillon de la chaîne qui manquait, le réseau de navettes autonomes circulant à la demande des usagers compléterait l’offre de transports publics existante afin de les déplacer d’un bout à l’autre de la ville. BestMile fournirait la technologie permettant de coordonner et d’optimiser en temps réel la flotte de navettes autonomes transformant ainsi un ensemble de «simples robots» en un réel système de transport innovant, flexible et performant.
L’objectif est simple: que les transports publics s’adaptent aux usagers et non le contraire. Les navettes autonomes n’évolueront que sur des trajectoires jusqu’à aujourd’hui non desservies par des bus. Le but n’est pas de remplacer, mais bien de renforcer les transports en commun. Une navette préalablement commandée avec un smartphone vient vous chercher sur le palier pour vous amener à un point de ralliement des transports publics.
La révolution de la mobilité autonome est déjà en marche et a le potentiel de transformer la façon de se déplacer en ville. Pour Lausanne, une des villes du monde les plus innovantes en termes de mobilité, ce futur n’est peut-être pas si lointain.
5 Changer les commerces pour atteindre les clients de demain par Helena Druey
La rue de Bourg a perdu ses charmes de jeune fille et ses allures de rue marchande animée ne seront peut-être bientôt plus qu’un souvenir. Les petits magasins se sont essoufflés et sont esseulés face à la concurrence d’Internet. Souvent, ils sont confrontés à un choix radical: muter ou mourir. Le rôle d’Helena Druey, secrétaire de City Management de Lausanne, est de les aider.
Si l’on entend préserver le commerce, on ne peut plus se contenter d’attendre: il faut innover. Pour concurrencer Internet, les commerces proposeraient des services qui frisent l’excellence, des produits uniques ou à un meilleur prix. Une mutualisation des surfaces commerciales permettrait de partager les charges fixes, mais également les fichiers clients. Résultat: un meilleur prix et une fidélisation de la clientèle.
Le commerce de demain utilisera l’innovation technologique, comme la cabine d’essayage virtuelle, pour favoriser l’achat. Le shopping deviendra un moment d’émotion et de partage. Car acheter, ce n’est pas seulement regarder et choisir, ce peut être aussi sentir, toucher, expérimenter, entendre. Et puis… rien n’empêche d’imaginer que le produit, une fois acheté, soit livré par drone directement à la maison!
6 Lausanne «ville-refuge» pour l’accueil des réfugiés par Pierre Conscience
Combien de réfugiés à Lausanne ne sont pas intégrés, n’ont pas d’endroit pour vivre et n’ont pas accès au travail? Pour Pierre Conscience, la solution rime avec hospitalité. Ce candidat solidaritéS à la Municipalité est militant au sein du Collectif R, une association active auprès des migrants menacés de renvoi.
Au cœur de l’une des plus graves crises migratoires de l’histoire européenne, nous voulons que Lausanne se déclare «ville-refuge», comme l’ont fait Barcelone et Madrid. Plus proche de nous, le village de Giez (VD), en lançant le projet «Un village, une famille», a accueilli cinq migrants parmi ses 370 habitants.
Lausanne doit se réveiller et accueillir les migrants qui se pressent aux frontières du Vieux Continent. Il s’agit d’assumer un choix politique radical et courageux: celui de la solidarité plutôt que l’exclusion.
En octobre 2015, le Collectif R a demandé aux autorités communales de ne plus prêter leur concours aux mises en détention et aux renvois forcés de personnes déboutées du droit d’asile, d’accueillir au moins 1500 réfugiés de plus, en ouvrant de nouvelles places d’hébergement et en organisant le placement chez les nombreux habitants qui se déclarent prêts à le faire, et de mettre sur pied une vraie politique d’intégration, avec des cours de langues et un accès facilité à la formation, au travail.
7 Un nouvel espace gustatif éphémère par Thierry Wegmüller
Thierry Wegmüller, président de GastroLausanne et gérant des Arches ainsi que du D! Club, est l’un des acteurs clés des nuits lausannoises. Le dynamisme actuel de la ville lui plaît, il déborde d’idées pour le renouveler.
Imaginez un lieu atypique, ouvert à la belle saison (de mai à septembre), qui réunirait restauration, création artistique, vie familiale et animations pour les plus jeunes, activités associatives et ateliers découvertes. Un espace qui aurait son propre potager, qui permettrait l’utilisation de produits de saison dans l’élaboration de la carte des mets, créerait un outil pédagogique ouvert aux enfants et aux Lausannois et permettrait à qui le souhaite de s’inscrire pour entretenir les cultures. Un concept zéro déchet qui offrirait aux clients un choix culinaire constamment renouvelé avec des restaurateurs lausannois mis en avant et qui bénéficieraient d’une fantastique vitrine, se succédant tous les sept ou quinze jours en cuisine. Oui, mais où? A nous de le créer!
8 Un quartier de l’innovation à Beaulieu par Benoît Gaillard
Lausanne a tout intérêt à diversifier un tissu économique aujourd’hui trop dépendant du tertiaire. La proposition de Benoît Gaillard, président du Parti socialiste lausannois (PSL), se conjugue avec un autre objectif: mieux valoriser le potentiel urbain du site du Comptoir suisse.
Faisons de Beaulieu un nouveau quartier d’innovation! Il réunirait des start-up et des logements du futur, où vivrait et travaillerait la «classe créative». Les start-up ont besoin d’un loyer pas trop cher, mais au cœur du fourmillement urbain, alors qu’on les héberge souvent en périphérie.
Le palais de Beaulieu lui-même, qui abrite un des plus grands théâtres de Suisse, en cours de rénovation, est un bâtiment classé. Mais le reste du site, avec sa grande cour, ses halles sud flambant neuves, ses halles nord à restructurer, offre un formidable enjeu d’utilisation.
L’activité des foires et congrès a été maintenue contre vents et marées. L’arrivée du plus grand acteur suisse de la branche (MCH Group) a validé cette politique. Mais l’évolution du secteur est pleine d’incertitudes. Le refus par le peuple de la tour Taoua a privé le site de la mixité projetée. Mettons à profit ces prochaines années pour réfléchir à l’avenir de Beaulieu en pensant, en toute coexistence, à ce dont Lausanne aura besoin.
9 Faire de la Riponne la plus belle place de Lausanne par Olivier Français
Le réaménagement de la place de la Riponne, ratage urbanistique au cœur de la ville, est un grand défi des prochaines années. Le nouveau sénateur PLR Olivier Français, qui aura dirigé l’urbanisme lausannois durant seize ans, laisse en partant une idée à ses successeurs.
Lieu de déception et d’impuissance, la Riponne n’est pas devenue, malgré les retouches successives, un lieu attractif et aimé de la population. Cette vision – qui séduit aussi les autorités cantonales – permettrait de transformer en place urbainement plus dense et mieux animée l’espace d’aujourd’hui, inachevé, minéral et trop souvent vide, à l’exception des jours de marché. La mutation s’effectuerait en deux mouvements. Le sol, surélevé d’un niveau, diminuerait l’effet d’encaissement et faciliterait l’accès au palais de Rumine. Augmenté, le parking souterrain permettrait de rendre aux piétons trois places proches, celle du Château, celle du Tunnel et la place Centrale. En surface, des bâtiments construits sur le flanc ouest, dans le prolongement de la rue du Tunnel, offriraient un nouveau vis-à-vis au palais de Rumine, avec des cafés et des commerces au rez-de-chaussée.
10 Transformer les montées en descentes par Thomas Wiesel
Pour le jeune humoriste Thomas Wiesel, Lausanne est la meilleure ville du monde. Mais à bien chercher, il lui trouve toutefois un défaut… et pas des moindres!
En transformant les montées de Lausanne en descentes, les avantages seraient considérables.
Les économies de carburant sur les véhicules, qui ne consomment pas en descente, allégeraient les dépenses des ménages et le bruit des moteurs.
On ne croiserait plus les dealers en montant la rue de Bourg, mais uniquement en la descendant, divisant par deux le nombre de dealers, la consommation de drogue et par extension la petite criminalité.
Nous transpirerions moins sous les aisselles, ce qui nécessiterait moins de déodorant et épargnerait la couche d’ozone.
Marcher en descente étant moins fatigant qu’en montée, le surplus d’énergie conservée pourrait être utilisé à soigner sa libido, sa santé (en faisant du sport) ou ses hobbys, comme la gravure sur bois ou le macramé.
Politiciens, réveillez-vous, la solution est sous vos yeux! Pour remonter la pente, descendons!