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Grâce et disgrâce: Pourquoi nous sommes tous devenus des «Neinsager»

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Jeudi, 28 Novembre, 2013 - 05:59

Le triple verdict de ce dimanche de votations est plein de paradoxes. Pour une fois, nous sommes tous des Neinsager. Sauf quelques Neinsager traditionnels (Schwytz, Unterwald et Appenzell Rhodes-Intérieures) qui ont dit oui à une proposition très conservatrice (l’initiative de l’UDC). Les sensibilités que l’on présumait divergentes entre Alémaniques et Latins sur la fiscalité des familles ou sur la vignette n’ont pas clapoté au-dessus de la Sarine.

En termes régionaux, la surprise est venue du Tessin qui a dit oui à 1:12 à 49%. L’outre-Gothard n’est pas devenu un nid de gauchistes ou d’idéalistes; simplement, l’exaspération face au dumping salarial dû au taux le plus élevé du pays de main-d’œuvre frontalière est à son comble. Celle-ci promet d’être encore très présente lorsque l’on votera sur l’initiative «contre l’immigration de masse» le 9 février prochain.
Les Suisses ont dit non, non et non, mais le taux de participation de 53% est plus élevé que d’habitude: le ras-le-bol s’exprime plus ouvertement, la majorité abstentionniste recule de quelques points. C’est un signe de vitalité, alors que tant d’autres démocraties redoutent la confrontation dans les urnes avec leurs citoyens.

«Pourquoi doit-on voter sur autant de sujets complexes, les politiciens ne peuvent-ils pas faire leur boulot?» m’interpellait toutefois l’autre jour un lecteur. Son observation est légitime. Toujours plus d’initiatives marketing encombrent notre pipeline législatif. Les partis utilisent cet outil de démocratie directe pour mobiliser leurs militants, attirer l’attention ou, plus vulgairement dit, «tâter le terrain». Ces sondages échelle 1:1 génèrent un surcroît de travail du Parlement et la perplexité de la population.

Notre démocratie directe vit au-dessus de ses moyens. Faute de ressources financières pour mener toutes les campagnes, partis, autorités et lobbys choisissent leurs combats, certains sujets disparaissent alors dans une sorte d’angle mort. On se focalise sur une proposition apparemment cruciale et l’on ne voit plus ce qui se prépare juste à côté. Ainsi sont tombées dans un trou noir la votation cantonale sur la naturalisation à Berne et la votation communale sur la rade de Genève. Avec les conséquences regrettables que l’on découvre a posteriori.

L’overdose guette. D’autant que – faut-il le rappeler? – la presse écrite dispose de toujours moins de moyens pour exercer sa mission première, animer le débat démocratique, sans que le service public subventionné se sente le devoir d’en faire plus et mieux en la matière.
Malgré la précarité financière des divers acteurs du jeu citoyen, ce dimanche confirme qu’en démocratie aucun combat n’est perdu d’avance, à condition de s’engager dans le débat avec détermination. En témoigne la remontée spectaculaire du non à l’initiative de l’UDC sur les familles. Il y a eu une offensive de communication d’envergure atomique contre une proposition méconnue, dont l’impact avait été sous-estimé.

Il n’est toutefois pas certain que la mobilisation générale marche à tous les coups, et surtout le 9 février prochain pour faire barrage à l’initiative «contre l’immigration de masse». Les opinions sur la libre circulation et ses effets sont bien plus mûres.

Car, autre leçon du week-end, certains arguments simplistes, à force d’être ressassés, sont de véritables rouleaux compresseurs. On l’a constaté avec la hausse de la vignette, l’argument «automobilistes vaches à lait» est ravageur. Il saccage tout sur son passage, surtout les trop subtiles tentatives de compromis ou de paquets ficelés au Palais fédéral. Et y compris la plus populaire de nos ministres, Doris Leuthard.

Cette bérézina cruelle nous indique peut-être également qu’à force de nous féliciter d’avoir su utiliser des mécanismes de frein à l’endettement, nous ne savons plus embrayer avec les investissements.

Le frein à l’endettement fête ses 12 ans. Cette grande œuvre de Kaspar Villiger avait été plébiscitée le 2 décembre 2001 par 84,7% des Suisses. Elle nous vaut assurément de ne pas avoir sombré dans les affres du surendettement public comme tant de pays occidentaux. Le terrible défaut de ce corset contraignant est que nous ne savons plus investir. Le préjugé accréditant la thèse qu’il y a encore et toujours du gras à tailler dans quelques recoins de l’administration est tenace. Vouloir dépenser et prélever de nouvelles taxes est devenu le pire péché, alors qu’une société a besoin d’investir dans ses infrastructures pour continuer à se développer et accroître le bien-être de ses administrés. A notre ancestrale mentalité d’écureuils prévoyants s’est substituée une obsession d’anorexique.

Pour obtenir l’assentiment des citoyens, la classe politique est plus que jamais priée de sortir de sa bulle bernoise, de renoncer au jargon fédéral et aux montages technocratiques trop complexes, bref d’inventer une pédagogie plus efficace.

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