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Ivan Pictet: La donation vise en premier lieu à atteindre un résultat

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Jeudi, 28 Novembre, 2013 - 05:59

Philanthropie.L’ancien banquier privé genevois explique les raisons d’un engagement qu’il voit comme une seconde carrière.

Quelles raisons, quelles valeurs sous-tendent votre engagement dans la philanthropie?
Je n’ai pas une idée précise des contours exacts de la philan-thropie. Les grandes fondations, Rockefeller, Gates, etc., viennent tout de suite à l’esprit, mais un oligarque russe qui rachète un club de foot anglais en est-il un? Entre ces deux extrêmes il y a mille autres formes. Est-ce que mes engagements à la présidence de la Chambre de commerce et d’industrie de Genève dans les années 90, ou plus récemment à la Fondation pour Genève ou à la Fondation Pictet pour le développement sont de nature philanthropique? Cela n’a en fait aucune importance.

M’engager bénévolement répond au besoin de faire quelque chose que je juge utile et surtout d’obtenir un résultat. Que les moyens mis à disposition viennent de moi ou de tiers ne change rien à ma motivation. Il s’agit de valoriser les atouts de Genève et, pourquoi pas, d’en tirer une satisfaction personnelle.

Le faites-vous par devoir ou par plaisir?
C’est certainement plus par plaisir que par devoir. Ce sont les projets eux-mêmes qui me motivent et m’enthousiasment. Les encouragements sont très importants. Seul le résultat a de l’importance. Je ne parle évidemment pas dans ce cas de profits financiers; nous sommes dans le cadre d’actions à but non lucratif.

Qu’est-ce qui incite une personne fortunée à donner?
Chacun a ses motifs. Le don n’est qu’un moyen de parvenir au but. Ce n’est pas un acte en soi. Dans le cadre institutionnel d’une entreprise ou d’une fondation de grande envergure, un système de distribution est mis en place, un comité impose une discipline, une allocation méthodique.

Je préfère donner des moyens à des projets dans lesquels je peux m’impliquer directement, et qui permettent à d’autres personnes de s’engager davantage en acquérant des connaissances. C’est ce qui m’a motivé à créer la Fondation Pictet pour le développement qui soutient financièrement, mais avec une implication forte du conseil de fondation, un centre de formation à l’Institut des hautes études internationales (HEID). Doté de plusieurs chaires, ce centre a pour mission de former de futurs cadres provenant en partie de pays en voie de développement.

Pour certains, les philan-thropes cherchent d’abord à racheter leur âme. Que pensez-vous de cette critique?
Il est certain que, derrière toute action philanthropique, il y a un souci de bien faire, un souci de rachat. De redonner. Derrière moi, il y a sans doute un petit calviniste repentant qui se cache! Mais je crois sincèrement que ce n’est qu’une infime partie de ma motivation. La philanthropie est souvent très différente selon la culture, la religion ou la provenance géographique. La fiscalité du pays de résidence joue aussi un grand rôle. Finalement, c’est aussi une affaire de sa relation personnelle avec l’argent, et bien entendu du montant dont on dispose.

La plupart des grandes fortunes dans le monde proviennent aujourd’hui de personnes qui les ont faites au cours des vingt ou trente dernières années. Les fondations en découlant ont souvent un rôle d’afficher une réussite, en plus de leurs activités purement philanthropiques. Pour les plus modestes ou celles qui existent depuis plus longtemps, il s’est créé une culture de la philanthropie avec un caractère de plus en plus professionnel.

Quelle est l’importance de la dimension fiscale?
De nombreuses fondations ont vu le jour dans le premier but de transmettre un patrimoine à la génération suivante. Par exemple, les pays scandinaves ont connu dans l’après-guerre des taux d’imposition quasi confiscatoires. Autre exemple: aux Etats-Unis, les philan-thropes évitent des droits de succession pouvant dépasser les 40%. Mais il est aussi vrai que les Anglo-Saxons sont plus versés dans la philanthropie que les Européens ou les Asiatiques. Dans les pays latins, qui sont lourdement taxés comme la France, on estime que c’est le rôle de l’Etat d’intervenir pour aider les moins favorisés.

Et en Suisse?
Au contraire, les impôts sont plus raisonnables et la philanthropie est très largement répandue. Mis à part les très grosses fondations de bienfaisance bien connues (Wilsdorf, Sandoz, Hoffmann, Bertarelli, Wyss, Schmidheiny, etc.), les Suisses sont très généreux. Chaque résident offre en moyenne plus de dix fois plus qu’aux Etats-Unis, quatre fois plus qu’en France ou en Allemagne. Il suffit d’observer le succès des collectes de fonds de la Chaîne du bonheur chaque fois qu’une catastrophe se produit.

Quel est l’avenir de la tradition philanthropique des banquiers privés genevois?
Je pense que les banquiers privés sont généreux, en premier lieu envers les institutions genevoises bien établies comme l’Eglise, les grandes institutions culturelles, les institutions pour les handicapés ou les plus démunis. Il en va du rôle de Genève de «petite capitale mondiale». Mais ces actions philanthropiques sont avant tout individuelles, et répondent aux centres d’intérêts propres à chacun. Lombard Odier, notamment, a depuis longtemps une approche très sophistiquée avec sa Fondation 1796, et a publié une étude intéressante sur la philanthropie.

Quel est votre engagement?
Très modeste malheureusement. Et aussi principalement orienté sur Genève et son rayonnement international. J’avais décidé, il y a longtemps déjà, de consacrer les revenus de mes dernières années professionnelles à des activités à but non lucratif. Cela m’a permis de me construire en quelque sorte une seconde carrière, tout aussi passionnante que la première.

Pourquoi cet accent mis sur Genève dans votre action?
Genève est non seulement ma terre natale mais aussi un lieu unique de compétences dans tous les domaines qui touchent à l’avenir de notre planète. Ce sont des atouts, une masse critique, qu’il faut à tout prix conserver. L’un de ces atouts est une place financière importante qui, grâce à de multiples organisations regroupées sous le nom de Sustainable Finance Geneva, peut se ressourcer et maintenir sa place parmi les dix plus importantes du monde.

En effet, Genève est la capitale mondiale pour la fixation de normes (ISO, etc.). Il est donc possible grâce à la présence d’agences de notation, d’organisations internationales et d’ONG liées au commerce, au développement, à l’environnement, de développer une industrie financière ultracompétitive. Il y a autour de la place une quantité de professionnels dans des domaines annexes tels que la philanthropie.


Ivan Pictet
L’ancien banquier privé préside la Fondation pour Genève et la Fondation Finance et Développement. Il siège au comité d’investissement du Fonds de pensions des Nations Unies ainsi qu’aux conseils d’administration de Lukoil, PSA International (Peugeot) et de la société de microfinance Symbiotics. Il a quitté Pictet & Cie en 2010. 


DONS
Toujours plus professionnels
Les principaux acteurs européens se sont réunis à Genève.

«Un philanthrope cherchant à exercer son action doit se donner les moyens de savoir qui il a en face de lui. C’est grâce à cela qu’il peut négocier une collaboration dans laquelle chacun peut apporter ses idées afin que l’argent soit bien utilisé.» Fort de ce principe, Etienne Eichenberger a fondé en 2004 la société Wise avec Maurice Machenbaum. Leur but: assister les philanthropes dans leurs choix et assurer un suivi des actions entreprises. La société a fait sa place dans le paysage européen.

La même année naissait l’European Venture Philanthropy Association (EVPA), regroupant les professionnels européens de la philanthropie. Plus de 150 fondations, associations à but non lucratif, études d’avocats, banques et autres organisations spécialisées provenant de 19 pays se réunissent aujourd’hui dans cette association. Celle-ci tient ses assises une fois l’an. Après Londres, Paris, Madrid et d’autres grandes villes, c’est à Genève que la conférence s’est tenue en début de semaine sous le patronage de plusieurs personnalités du canton, notamment d’Ivan Pictet.

La Suisse est l’un des pays européens les plus actifs en matière de professionnalisation de la philanthropie avec les Pays-Bas, l’Allemagne et, surtout, le Royaume-Uni.

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Thierry Parel
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