Rencontre. Le libéral-radical Andrea Caroni, conseiller aux Etats appenzellois, se bat en première ligne contre l’initiative UDC et pour l’Etat de droit.
Il était un peu l’avocat des causes perdues, celui qui s’y colle quand personne n’y va, défend la raison contre l’émotion. Il y a deux ans, c’était lui qui osait, seul parce que aucun parti ne souhaitait s’aventurer sur un terrain aussi peu populaire, monter au créneau contre la Marche blanche, fonder un comité contre l’initiative qui voulait interdire à jamais aux pédophiles de travailler avec des enfants.
Andrea Caroni estime, hier comme aujourd’hui, qu’une initiative ne doit pas aller trop loin, qu’il faut éviter les automatismes, qu’un Etat de droit doit respecter le principe de la proportionnalité et laisser aux juges une marge d’appréciation, «parce que ce sont eux qui connaissent le mieux les circonstances d’un cas particulier. Ils sont nos alliés, pas nos ennemis», affirme le tout nouveau conseiller aux Etats libéral-radical. La proportionnalité protège l’individu contre l’arbitraire de l’Etat et donne un sentiment de sécurité. «Et la sécurité du droit constitue un des principaux atouts de la Suisse», rappelle-t-il.
Surprise: là où ses amis le voyaient s’attirer les foudres, il reçut des compliments pour un engagement jugé courageux. «Sur dix messages, seuls deux ou trois m’insultaient. Dans la campagne actuelle, c’est tout le contraire: beaucoup d’injures et peu d’encouragements. Il faut dire que les gens qui sont contre s’engagent eux-mêmes pour le non.»
Libéral jusqu’au bout des ongles, Andrea Caroni a également osé défendre la liberté des prostituées et de leurs clients. Et il nous avertit déjà, il s’élèvera contre l’interdiction de la burqa. Il défendra la liberté de l’individu. «Une question de principes», dit le jeune homme de 35 ans, père de deux petits enfants dont un vient de voir le jour.
Sur ce coup-ci, le vote du 28 février, le bel Appenzellois monte en première ligne contre l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels». Mission colossale: il s’agit de convaincre non seulement les Suisses, mais tout particulièrement les électeurs de son Parti libéral-radical (PLR). Et pour cause: un sondage mené en janvier a montré que 46% d’entre eux avaient l’intention de soutenir l’initiative UDC, contre 42% qui la refuseraient. Piètre résultat quand on sait que le PLR mène la campagne nationale pour le non.
Alors il se bat, Andrea Caroni, soir et matin, comme en ce vendredi, grand jour de débat. A midi, il entre dans les studios bernois de la radio alémanique pour y affronter le président de l’UDC, Toni Brunner. Caroni n’est pas du genre à diaboliser l’adversaire. Il attaque la position, pas l’homme. Et dans ce débat passionnel où Toni Brunner l’accuse globalement de penser plus aux criminels qu’à leurs victimes, il avance des exemples concrets de secondos nés ici, intégrés, et qui risqueraient l’expulsion pour des délits de peu de gravité. D’un grand geste du bras, le président de l’UDC balaie ces nuances. «Nos hôtes étrangers n’ont qu’à respecter nos règles.» Foin des détails.
Le sens de la mesure
Quelques heures plus tard, Andrea Caroni se retrouvera face à Toni Brunner sur le plateau d’Arena, puisqu’il défend le non aux côtés de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Ici aussi, l’UDC les accuse globalement de ne pas penser aux victimes. Ici aussi, Caroni défendra la clause de rigueur qui permettrait aux juges d’évaluer certains cas, «parce que dans toute machine, même automatique, il faut prévoir un frein d’urgence». Lui, le juriste polyglotte, diplômé de Harvard et chargé de cours à l’Université de Saint-Gall où il enseigne le droit constitutionnel, défend ces principes fondamentaux. Même dans le contexte de peur qui habite toute une partie de la population face à la forte présence d’étrangers et l’afflux de réfugiés en Europe, il reste rationnel: «Cette initiative ne propose rien qui répondrait aux agressions de la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne. Les attouchements sexuels ne figurent pas dans le catalogue de délits de l’initiative. Quant aux viols, la loi prévoit déjà l’expulsion.»
Dans cette bataille-ci, Andrea Caroni est loin d’être seul. Au front républicain formé par les politiciens est venu s’ajouter «un magnifique élan de la société civile». Il y voit un mouvement qui ne veut pas donner carte blanche à un parti toujours plus fort. «Surtout qu’avec chaque nouvelle initiative l’UDC va plus loin dans le non-respect des traités internationaux ou des droits de l’homme. Je crois que les gens éprouvent le besoin d’un contre-pouvoir.»