Fabien Goubet
Ophtalmologie. La cécité, du moins sous certaines formes, n’est plus une fatalité. Des «yeux bioniques» restaurent la vision et la thérapie génique va bientôt arriver sur le marché.
C’est probablement l’un de nos organes les plus perfectionnés. Il n’empêche, l’œil n’en est pas moins sujet à de multiples maladies. La plupart des troubles habituels se soignent désormais avec un certain succès, notamment grâce à la chirurgie ou aux verres correcteurs. Pourtant, là où les progrès ont été les plus spectaculaires ces dernières années, c’est sans aucun doute dans le domaine des maladies de la rétine.
Gènes ou cellules souches feront bientôt partie de l’arsenal thérapeutique à la disposition des médecins. Plusieurs essais cliniques sont en cours pour tester l’efficacité de ces méthodes. Certains patients vivent même déjà avec un «œil bionique», dénomination triviale de l’implant rétinien, petit circuit électronique qui reconstruit les images pour le cerveau, façon L’homme qui valait 3 milliards… Dans le domaine de l’ophtalmologie, la réalité est déjà rattrapée par la fiction.
Et la lumière fut
Dans un œil sain, la rétine, cette couche qui constitue le fond de l’œil, a pour tâche de convertir la lumière en un signal électrique qui sera acheminé vers le cerveau via le nerf optique. Cette conversion ne s’opère plus, ou mal, dans certaines maladies de la rétine telles que les rétinites pigmentaires, d’origine génétique, ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), qui constituent les principales causes de cécité dans les pays occidentaux.
Comment réparer la rétine défectueuse? La piste la plus avancée est sans doute l’implant électronique. Développé depuis les années 1990, il s’agit d’un capteur de lumière que l’on greffe au fond de l’œil et qui va se charger de la conversion de la lumière en électricité, exactement comme le fait le capteur de l’appareil photo d’un smartphone. Le dispositif est complété par une caméra miniature et un ordinateur de poche. La première, dissimulée dans des lunettes, capture les images puis les transmet à l’ordinateur. Ce dernier les encode en un signal électrique qu’il envoie, via une liaison sans fil, à l’implant greffé au fond de l’œil, lequel va pouvoir transmettre le signal au cerveau. Et ça marche.
Une première patiente suisse atteinte de rétinite pigmentaire a reçu, fin 2014, l’Argus II, développé par la société américaine Second Sight. «La vision restaurée par l’Argus II n’est pas une vision normale, prévient le professeur Thomas Wolfensberger, qui a mené l’opération à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne. On a un champ visuel restreint, avec des formes en nuances de gris… Il faut réapprendre à voir.» Pour ce faire, l’hôpital ophtalmique de Lausanne dispose d’un appartement témoin spécialement aménagé pour que les patients comprennent comment s’adapter à leur nouvel environnement.
Après plus d’un an de rééducation, cette patiente «peut distinguer des lignes et saisir certains objets. Surtout, son caractère a changé, elle est redevenue une personne ouverte et charmante. Les bénéfices pour les patients sont énormes», assure le spécialiste, qui espère que le coût de l’opération sera pris en charge en Suisse «d’ici à la fin de l’année, avec de la chance».
Vecteur viral
Autre approche à l’étude, remplacer les gènes défectueux dans les rétinites pigmentaires. Outre les implants, de nouvelles thérapies sont à l’essai. Dans les rétinites pigmentaires, certains gènes ne fonctionnent plus. La thérapie génique vise à les remplacer par des gènes fonctionnels en les injectant dans la rétine grâce à un vecteur, ici un virus rendu inoffensif. «Les derniers travaux sont encourageants, les patients ressentent une nette amélioration de leur vision, commente Yvan Arsenijevic, de l’hôpital Jules-Gonin.
Mais le gène qu’on leur a fourni ne s’exprime pas autant qu’on voudrait.» En conséquence, la vision décline au fil du temps. Un obstacle qui devrait être réglé prochainement, notamment grâce aux progrès en biotechnologies, qui permettent de fabriquer des vecteurs toujours plus performants. L’un de ces nouveaux produits, développé par l’entreprise Spark Therapeutics, est d’ailleurs en cours d’essais cliniques de phase 3, et pourrait arriver sur le marché d’ici à la fin de l’année.