Cardiologie. Thérapies cellulaires, chirurgie moins invasive, minipacemakers... De nouvelles stratégies thérapeutiques prennent forment dans la médecine du cœur.
Les affections cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité dans le monde. Et la Suisse ne fait pas exception. Les cardiopathies de toutes sortes y ont provoqué 33,1% des décès en 2013. Infarctus du myocarde, anévrismes ou encore insuffisances cardiaques sont autant de pathologies qui viennent rappeler la vulnérabilité de cet organe de haute précision, capable de propulser le sang et d’assurer en continu sa circulation dans tout le corps, mais aussi de s’arrêter tout net.
Heureusement, la médecine cardiaque a fait de très belles avancées ces vingt dernières années, notamment dans le domaine de la cardiologie interventionnelle. Cette discipline, qui permet de réparer le cœur sans l’ouvrir, a connu un essor fantastique. En s’appuyant sur des techniques moins invasives, les chirurgiens peuvent désormais remplacer des valves aortiques en utilisant simplement un cathéter inséré dans l’artère fémorale au niveau de l’aine. Nul besoin d’ouvrir systématiquement le thorax du patient; quelques petites incisions suffisent à réaliser de nombreuses interventions.
Pacemaker sans sonde
La miniaturisation des composants électroniques a notamment permis d’importants progrès dans le domaine de la chirurgie cardiaque. Depuis toujours, de nombreux médecins rêvaient de pouvoir mettre l’intégralité d’un stimulateur à l’intérieur du cœur, sans jamais y parvenir, faute de technologie adéquate. En effet, la conception des pacemakers – composés d’un boîtier implanté sous la peau et de sondes intravasculaires – n’a que peu évolué depuis leur première implantation, en 1958. Jusqu’à l’avènement d’un minipacemaker implanté pour la première fois en 2013.
Une vraie évolution technologique, pas plus grande qu’une pile AAA, qui comprend en son sein l’électronique, la batterie (d’une durée de vie entre neuf et treize ans) et la sonde. Sa mise en place se réalise à l’aide d’un cathéter introduit par la voie fémorale jusqu’à la pointe du ventricule droit. Deux pacemakers sans sonde sont aujourd’hui commercialisés: le Nanostim, mis au point par St. Jude Medical, et le Micra, développé par Medtronic.
En Suisse, la première implantation a eu lieu en 2015, aux HUG, suivis par d’autres centres. Spécialiste dans les troubles du rythme cardiaque, Patrizio Pascale, médecin adjoint au Service de cardiologie du Centre hospitalier du Valais romand et médecin associé au CHUV, en décrit les avantages et les limites: «Le talon d’Achille des pacemakers traditionnels est la sonde. Elle est la composante du dispositif qui est le plus souvent à l’origine des complications aiguës ou chroniques pouvant survenir, à savoir les dysfonctions liées à l’usure, notamment, ou encore les risques d’infection. Le fait qu’un stimulateur puisse s’affranchir de cette composante devrait donc limiter ces effets collatéraux.
En revanche, ce type de dispositif ne permet pas de stimuler les oreillettes, ce qui est pourtant un besoin pour de nombreux patients nécessitant un pacemaker. En outre, on ne sait pas encore dans quelle mesure ces stimulateurs pourront être retirés longtemps après leur implantation, au cas où, par exemple, une infection devait tout de même survenir. Ces éléments font que cette technologie ne s’adresse, pour l’heure, qu’à un petit groupe de patients.»
Régénérer le cœur
D’autres avancées scientifiques majeures sont également en train de voir le jour. Certaines stratégies thérapeutiques, comme la thérapie cellulaire, permettent d’espérer pouvoir un jour régénérer le cœur avant qu’il ne soit trop endommagé. En effet, quand les cardiomyocytes – ces cellules contractiles auxquelles le muscle cardiaque doit ses capacités à pomper le sang vers les organes – meurent à la suite, par exemple, d’un infarctus du myocarde, elles sont dans l’impossibilité de se renouveler. Elles laissent alors la place à des zones de fibrose qui ne peuvent plus battre. On comprend donc les avantages que pourrait représenter une thérapie capable de réparer ces parties inertes.
«Différentes approches sont envisagées afin de booster les capacités cardiaques, détaille Thierry Pedrazzini, professeur associé à l’unité de cardiologie expérimentale du CHUV. La première consiste à utiliser des cellules souches embryonnaires, mais il est particulièrement difficile de contrôler leur différenciation en muscle cardiaque. Une autre serait de prélever des cellules souches tissulaires sur le muscle cardiaque du patient, de les faire proliférer in vitro puis de les réinjecter dans les zones lésées du cœur.»
Des essais de thérapies cellulaires sont en cours depuis une dizaine d’années, notamment sur la base de cellules de la moelle osseuse, mais la première implantation à partir de cellules souches embryonnaires a eu lieu fin 2014, à l’Hôpital Georges-Pompidou de Paris. Si cet essai a permis de rassurer sur la sécurité de la procédure, son efficacité, en revanche, reste encore à démontrer quant à une véritable régénération du tissu lésé.
A Lausanne, l’équipe du professeur Pedrazzini travaille sur une approche différente, mais très prometteuse, se fondant sur les ARN non codants. Sous ce nom barbare se cache l’acide ribonucléique (une molécule biologique très proche, chimiquement, de l’ADN) produit par les 98% du génome humain qui ne sont pas traduits en protéines. Après l’avoir longtemps négligée, la communauté scientifique s’est rendu compte de l’importance des longs ARN non codants, notamment en raison de leur pouvoir de réguler l’expression des gènes codants, et donc les fonctions des cellules. «On s’est ainsi aperçu que, grâce à ces longs ARN non codants, on pouvait notamment programmer des cellules pour qu’elles se multiplient, ou encore instruire des cellules souches à devenir du muscle cardiaque», explique Thierry Pedrazzini.
Sur le plan thérapeutique, il est possible d’imaginer qu’on administre au patient, quelques jours après un infarctus, un composé ciblant spécifiquement l’ARN non codant qui contrôle la production de fibrose, afin de bloquer son activité et, ainsi, obtenir une meilleure récupération du cœur. «Les tests actuellement réalisés sur l’animal laissent entrevoir de très bons résultats, s’enthousiasme le professeur. Si tout va bien, ce type d’approche pourrait rentrer dans une routine clinique d’ici à une dizaine d’années.»