Décryptage. Les élections fédérales et le profil des futurs présidents de l’UDC, du PLR et du PDC augurent un coup de barre à droite. Mais si les partis bourgeois veulent trop passer en force, ils seront sanctionnés par le peuple.
Ce sera le printemps de la passation des pouvoirs à la tête des partis «bourgeois». Toni Brunner (UDC), Philipp Müller (PLR) et Christophe Darbellay (PDC) s’apprêtent à remettre leur mandat à – sauf énorme surprise – respectivement Albert Rösti, Petra Gössi et Gerhard Pfister. Et rien ne sera vraiment plus comme avant. Le profil Smartvote des trois papables annonce un clair coup de barre à droite (lire ci-contre). Une droite surtout plus compacte. Sur l’échelle du positionnement des politiciens élaborée par le sociogéographe Michael Hermann, seuls 4,6 points séparent encore les futurs dirigeants, contre 8,3 points pour les trois présidents actuels.
Le 18 décembre 2015, cette nouvelle droite issue des élections de l’automne dernier tente un premier coup. Par un vote très serré (97 voix à 96), le Conseil national a enterré un projet visant à ancrer le moratoire sur les cabinets de médecins dans la loi sur l’assurance maladie (LAMal). Pour le ministre de la Santé, Alain Berset, c’est quatre ans de travail réduits à néant. Furieux comme jamais, le président du gouvernement vaudois, Pierre-Yves Maillard, dénonce, lui, le coup de force des assureurs, «auxquels l’UDC et le PLR obéissent au doigt et à l’œil».
Le 25 janvier dernier, deuxième test, en cercle plus restreint. Les travaux de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE) du Conseil national entrent dans une phase décisive du dossier de la stratégie énergétique 2050 entreprise par la ministre Doris Leuthard. A l’origine, juste après l’accident de Fukushima au Japon, la conseillère fédérale voulait affranchir la Suisse de l’atome d’ici à 2034. Il ne reste désormais plus grand-chose de ce projet. Ici aussi, la nouvelle droite s’est imposée. La commission renonce non seulement à limiter la durée d’exploitation des centrales, mais aussi à renforcer les exigences de sécurité lorsqu’on prolonge leur vie. La commission rejette en outre l’introduction d’un concept de bonus/malus qui aurait récompensé les distributeurs incitant leurs clients à faire des économies d’énergie.
Constat désabusé de la coprésidente des Verts Adèle Thorens: «Nous allons vers une stratégie qui formalisera la prolongation de vie de nos vieilles centrales, même au-delà de ce qu’on imaginait avant Fukushima.»
Le piège de la surenchère
Bien sûr, la présente législature ne fait que commencer. Mais ces deux exemples sont révélateurs. La nouvelle droite est prête à bander les muscles, quitte à prendre des décisions peu rationnelles. Dans le premier exemple, le rétropédalage du PLR est spectaculaire. L’expérience du passé ayant montré que la suppression du moratoire sur les cabinets de médecins ne peut que faire grimper encore les primes d’assurance maladie, le parti tente désormais de trouver un compromis qui permettrait de juguler une hausse des coûts de la santé.
Dans le deuxième cas, la droite, dans un combat idéologique d’arrière-garde, occulte le fait que le prix de l’énergie produite par le nucléaire n’est plus compétitif. «Aujourd’hui, les grands groupes électriques Axpo, Alpiq et autres perdent davantage d’argent lorsque leurs centrales fonctionnent que lorsqu’elles sont à l’arrêt», ironise le chef du groupe socialiste, Roger Nordmann.
Agé de 43 ans, le Vaudois fait partie de la génération qui a débarqué à Berne lors de la législature 2003-2007, celle qui a vécu l’émergence d’une droite dure au Conseil fédéral, personnifiée par Christoph Blocher (UDC) et Hans-Rudolf Merz (PLR). Ceux-ci ne cachent pas qu’ils ambitionnaient à l’époque de faire maigrir l’administration, cet «atelier protégé», d’environ 20%, qu’ils veulent privatiser Swisscom et multiplier les cadeaux fiscaux aux plus aisés des Suisses. Autant de projets qui seront condamnés à l’échec face aux partisans du service public. Aujourd’hui, Roger Nordmann fait le parallèle: «On se dirige vers une législature semblable. La droite risque de tomber dans le piège de la surenchère, avec un PLR et un PDC dans le rôle d’otages volontaires de l’UDC. C’est une forme aiguë du syndrome de Stockholm.»
C’est sûr, l’UDC restera la locomotive de la coalition bourgeoise que le président sortant, Toni Brunner, a tenté de mettre en place en mars 2015. La démarche, bricolée dans l’urgence pour réduire les effets du franc fort, avait vite tourné au fiasco avant les élections. Mais le futur président, Albert Rösti, compte bien la relancer. «La coalition bourgeoise sera un combat permanent à mes yeux», a-t-il annoncé. Avec trois priorités à la clé. D’abord, plafonner les dépenses de la Confédération au niveau de 2014. Ensuite, soumettre la stratégie énergétique 2050 au peuple, dans l’espoir que celui-ci fasse couler la sortie du nucléaire en raison de la hausse de la taxe verte sur le prix de l’électricité. Enfin, mettre sous toit au plus vite la troisième réforme fiscale des entreprises.
Cela, c’est la feuille de route de l’UDC. En se plongeant dans les réponses que les trois futurs présidents ont apportées au questionnaire du site smartvote.ch, force est de constater qu’ils partagent ces objectifs dans les grandes lignes. Venant de deux cantons champions de la concurrence fiscale, Petra Gössi (SZ) et Gerhard Pfister (ZG) ont toujours été sensibles à l’amélioration des conditions-cadres de l’économie, tout comme ils restent sceptiques sur la sortie du nucléaire. Mais ils devront composer avec leurs troupes sous la Coupole.
Et là, on sent déjà qu’il y aura des réfractaires. Au PLR, on reste très prudent. Ses deux derniers présidents, Fulvio Pelli et Philipp Müller, ont réussi à lui donner une ligne plus indépendante par rapport à l’UDC, ce que les électeurs ont fini par apprécier. Ce n’est pas pour s’embarquer trop vite dans une alliance à la remorque de l’UDC.
«Les présidents ne représentent pas forcément la base de leur parti», tempère le maire de Soleure, Kurt Fluri. Quant au nouveau président du groupe, le Tessinois Ignazio Cassis, il relativise la portée des résultats des récentes élections. «Certes, le Conseil national penchera plus à droite. Mais il faut encore le Conseil des Etats pour mettre une loi sous toit.» Or, celui qu’on surnomme «la chambre de réflexion» est resté presque inchangé dans sa composition. Il corrigera les excès du National si nécessaire.
Au PDC aussi, qui tient à son rôle historique depuis 1959 de faiseur de majorité et de bâtisseur de ponts, on sent que la perspective d’une nouvelle coalition bourgeoise suscite un enthousiasme relatif. «L’alliance est nécessaire en matière économique, déclare le seul candidat à la présidence, Gerhard Pfister. Pour le reste, ma priorité est le PDC». Bien que positionné le plus à droite de son parti, le Zougois veut rassembler les diverses ailes sous la bannière orange. Il cherche d’abord à lui conférer une ligne qui lui est propre.
Positions irréconciliables
Sur de nombreux points, l’alliance bourgeoise se fera: une politique financière plus rigoureuse, la fiscalité allégée des entreprises, le soutien à l’armée et à l’agriculture. En revanche, en matière de politique étrangère, la ligne de fracture est si marquée que les trois partis paraissent irréconciliables. «Regardez les initiatives que lance l’UDC. Je n’y distingue ni esprit suisse ni volonté de consensus», déplore Yannick Buttet, probable futur vice-président du PDC. L’initiative «Contre l’immigration de masse», violant l’accord passé avec l’UE sur la libre circulation des personnes, semble impossible à mettre en œuvre. Celle contre les étrangers criminels court-circuite les institutions. Enfin, celle affirmant la primauté du droit suisse par rapport au droit étranger menace d’isoler la Suisse sur le plan international.
Illustration parlante de ces déchirements: le 5 février dernier, la Commission de la science et de la recherche de la Chambre basse a décidé d’adresser une lettre au Conseil fédéral lui enjoignant de signer sans tarder l’accord avec la Croatie sur la libre circulation des personnes. Le but est de favoriser les négociations pour réintégrer la Suisse comme membre associé à part entière dans les programmes européens Horizon 2020. L’UDC a été la seule à s’opposer à cette démarche.
Jusqu’où ira la droite? La réforme des retraites Prévoyance 2020 constituera un test décisif à cet égard. Le Conseil fédéral a ficelé un paquet équilibré, mais il paraît déjà clair que le Conseil national fera sauter la hausse de 70 francs par mois dans l’AVS. «Il faudra maintenir le niveau des prestations et trouver des compensations pour les sacrifices imposés aux femmes dans cette réforme. Sinon, le projet échouera en référendum contre la gauche et une partie de l’électorat UDC», pronostique Jean-François Steiert (PS/FR).
Sur ce dossier, les trois futurs présidents de parti plébiscitent tous une hausse de l’âge de la retraite à 67 ans, qui ne figure pas dans le projet. Ces positions personnelles augurent-elles un passage en force de la droite? «Le danger est que le fossé se creuse entre le Parlement et le peuple, ce qui bloquerait le pays», avertit encore Jean-François Steiert.
Dans les hautes sphères de l’économie, c’est un risque qu’on préférerait ne pas prendre. L’urgence est de faire passer une réforme prévoyant une baisse du taux de conversion – de 6,8 à 6% – dans le deuxième pilier, de manière à assurer la pérennité de cette assurance. Un responsable de l’économie résume la situation: «Il y a dans ce dossier des exigences économiques qui réclameraient une coalition bourgeoise. Mais la politique nous oblige à trouver une solution pragmatique et consensuelle.» Et de facto, dans le rôle du parti qui fera pencher la majorité à gauche ou à droite, PLR et PDC sont désormais objectivement en concurrence. Il y a une bataille d’image pour apparaître comme le parti le plus constructif, par opposition au dogmatisme de l’UDC.
Gerhard Pfister (PDC)
Le temps des coups de gueule est révolu pour le Zougois, qui promet de rassembler.
Sur l’échelle du positionnement des politiciens, on ne trouve que l’UDC plus à droite que lui. Seul candidat en lice pour succéder à Christophe Darbellay, le Zougois Gerhard Pfister tente de rassurer sa base. En tant que président, il compte bien «rassembler» les divers courants au sein du parti.
Longtemps, cet ancien propriétaire d’une école privée, suffisamment à l’aise financièrement pour pouvoir consacrer l’essentiel de sa vie à la politique, a joué les électrons libres au sein du PDC par ses positions à la fois conservatrices et très libérales sur le plan économique. Il n’a pas digéré la sortie du nucléaire pourtant portée par «sa» ministre Doris Leuthard (PDC elle aussi), s’en prend au service public et rejette la proposition de congé paternité de son collègue Martin Candinas. Il s’est ainsi fait beaucoup d’ennemis dans l’aile chrétienne-sociale du parti, surtout en Suisse romande, où l’on ne supporte pas ses légendaires colères lors desquelles il lui arrive d’insulter ses détracteurs. Mais il est un brillant rhétoricien et un bon organisateur.
Albert Rösti (UDC)
L’ex-chef de la campagne 2015 est promu à la présidence sans débat.
C’est en apparence un gentil bouvier bernois, mais il sait aussi montrer les crocs. Le 9 février 2014, jour où l’UDC gagne de justesse l’initiative «Contre l’immigration de masse» – que certains responsables du parti auraient préféré perdre – avec 49,9% des voix, Albert Rösti explose de joie devant les caméras. Modéré dans le ton mais ferme sur le contenu, cet ingénieur agronome de 47 ans tient beaucoup à relancer la coalition bourgeoise. Mais il y fixe des «lignes rouges», une manière de signaler que l’UDC ne transigera pas sur les initiatives qu’elle a lancées.
Si Albert Rösti devrait nouer sans trop de peine des alliances avec ses futurs homologues du PLR et du PDC pour juguler les dépenses de la Confédération, en revanche il se montre plus protectionniste qu’eux. Pas question pour lui de signer un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Il tient à soutenir le monde paysan et à maintenir la péréquation financière – qui profite beaucoup à son canton de Berne – telle qu’elle est.
Petra Gössi (PLR)
Elle est seule en lice après le renoncement de Christian Wasserfallen.
«Trouvez-vous juste que les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme soient contraignantes pour la Suisse?» A cette question du site smartvote.ch, Petra Gössi, prétendante à la présidence du PLR, répond par un «non» sec. Cette prise de position sans nuances la poursuivra encore longtemps. Dans la NZZ, la consultante schwytzoise de 40 ans a beau tenter de rectifier le tir en assurant qu’elle rejette l’initiative de l’UDC pour la primauté du droit suisse, elle est presque aussi souverainiste que ce parti. Elle a été une des rares PLR à avoir soutenu au Parlement la motion de l’UDC exigeant le contrôle systématique de la frontière face à l’afflux de migrants.
Ses racines catholiques l’ont fait prendre des positions tout aussi tranchées sur le plan sociétal: «non» à la légalisation de la consommation personnelle de cannabis, «non» à l’euthanasie active administrée par un médecin, «non» au don d’organe automatique et «plutôt non» à l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel. Pas de quoi rassurer un électorat plus urbain et libéral, celui que visait précisément l’ancien président Fulvio Pelli !