Catherine Cochard
Zoom. «Le temps d’Anna» évoque la naissance de Mido, marque du Locle. Celle-ci aidera à la diffusion de la fiction sur ses marchés en Chine et en Amérique latine, lui offrant une seconde vie.
«Mon ruban, tu l’as gardé?» lui demande-t-elle en le regardant nouer à son poignet un garde-temps sur un lien de tissu rouge. «C’est la toute première montre-bracelet que j’ai fabriquée, juste après notre rencontre.» Emue par cette attention, la femme s’offre à son horloger de mari.
Pour écrire cette séquence du Temps d’Anna, la scénariste Noémie Kocher a puisé dans l’histoire de sa famille. «En cherchant les traces de mon arrière-grand-mère, j’ai découvert la vie de son mari horloger: sa passion du temps, des montres, ses modèles originaux, révèle-t-elle dans le dossier de présentation du téléfilm. La marque que cet homme ingénieux a créée en 1918 s’appelle Mido. Jean, le héros de cette fiction, s’inspire de lui.»
Quelle marque n’aimerait pas voir un de ses produits ainsi valorisé? Dans ce téléfilm, produit par CAB Productions et coproduit par la RTS, la SSR et Arte, c’est Mido qui se voit ainsi mise en valeur. Une promotion fortuite, pour laquelle la maison horlogère n’a pas eu son mot à dire.
Le temps d’Anna retrace la vie d’un couple dans le Jura au début du siècle dernier. L’ouvrier en horlogerie Jean Schaeffer rencontre Anna von Rohr, une jeune fille de bonne famille. Ils tombent amoureux, se marient malgré leurs différences sociales, fondent une famille et une manufacture de montres, Mido. L’avenir est plein de promesses, jusqu’au jour où Anna entend des voix… «Noémie Kocher raconte l’histoire de ses aïeux, la schizophrénie de son arrière-grand-mère et la façon dont, grâce aux moyens de sa femme, son arrière-grand-père a pu fonder la marque», explique Jean-Louis Porchet, de CAB Productions, qui a acheté le scénario.
«La famille ne voulait pas que l’on révèle cette histoire, poursuit le producteur. J’ai tenu bon: je ne souhaitais pas faire le film derrière leur dos, mais je ne voulais pas non plus y renoncer. Je suis allé à leur rencontre, nous avons eu des discussions animées.» Depuis, ils ont vu le film et, selon le producteur, l’auraient apprécié.
Diffusé sur la RTS le 16 mars prochain, ce téléfilm sera présenté par la marque le lendemain à Bâle, en marge de la foire d’horlogerie Baselworld. «Mido nous a permis d’accéder à leurs archives pour que nous puissions reconstituer une manufacture du début du siècle dernier, continue Jean-Louis Porchet. Pour les remercier, j’ai invité l’équipe de la marque sur le tournage et leur ai montré le film. Il leur a tellement plu qu’ils ont eu envie de nous aider et de pouvoir l’utiliser auprès de leurs clients et interlocuteurs.»
La marque, aujourd’hui propriété de Swatch Group, n’est pourtant pas omniprésente à l’écran. A deux reprises, son nom est cité par les acteurs, on l’aperçoit sur la façade de la manufacture et de manière furtive sur certains cadrans. «Mido n’est pas un sponsor en tant que tel, reprend Jean-Louis Porchet, ils n’ont pas aidé à financer le film.» Mais le résultat leur a donné des idées. «Ils ont proposé de financer les sous-titres en mandarin et en espagnol et de tirer 2000 DVD supplémentaires pour les offrir aux journalistes de Chine et d’Amérique latine durant Baselworld.»
La maison souhaite également apporter son aide pour que Le temps d’Anna soit diffusé de manière plus large sur ces marchés. Une aubaine pour le producteur. «D’habitude, un téléfilm passe une fois à la télévision et il suffit que Roger Federer joue au moment de la diffusion sur une autre chaîne pour que l’audience flanche… Avec l’aide de Mido, ce petit film peut avoir une seconde vie, se réjouit le producteur. C’est une sacrée chance!»
Légitimité historique
Présenté comme l’inventeur de la montre étanche, l’horloger jouit là d’un formidable outil de promotion. «Le téléfilm permet à Mido de corroborer sa légitimité historique, explique Skander Najar, fondateur et directeur de l’agence de conseil en communication et marketing NASK, à Genève. La marque offre en retour un important potentiel de diffusion, en particulier à l’étranger.» En priorité sur des marchés très importants pour la maison et où le passage d’un film sur une chaîne de télévision peut toucher des millions de consommateurs en puissance. «On sait par exemple que les Chinois sont friands d’histoire. Le temps d’Anna est selon toute probabilité une excellente façon pour Mido de s’inscrire dans celle de l’horlogerie, à leurs yeux.»
Puisqu’il ne s’agit pas d’un travail de commande ni d’un mandat publicitaire, comment qualifier la relation entre la marque et le film? «On se trouve ici dans un contexte proche du mécénat, poursuit Skander Najar, où une marque appuie une œuvre, un travail, sans intervenir d’aucune façon dans son processus créatif.»
A l’opposé du placement de produit, contractualisé, qui vise à payer pour être présent et reconnaissable à l’écran. «En tant que société horlogère tenue par des impératifs commerciaux, il faut une certaine maturité pour soutenir un objet culturel sans vouloir s’immiscer dans sa création. Ce qui participe encore à renforcer l’image positive qu’on peut en avoir.»
Franz Linder: «C’est important pour toute l’industrie de montrer comment sont élaborées les montres»
Directeur de la marque Mido, Franz Linder explique comment il compte tirer parti du téléfilm «Le temps d’Anna».
L’Hebdo: A quel moment avez-vous appris qu’un téléfilm sur l’histoire de Mido s’écrivait?
Franz Linder: Nous savions que l’arrière-petite-fille du fondateur de la marque travaillait sur un scénario à partir de l’histoire de ses aïeux, mais nous ne sommes absolument pas intervenus, ni dans l’écriture ni dans la réalisation du film. Nous avons seulement proposé de mettre à disposition nos archives et nos montres pour que l’équipe puisse mettre en scène l’histoire de manière crédible et cohérente.
Pourquoi avez-vous décidé de financer les sous-titres chinois et espagnols?
Lorsque le producteur nous a dit que ce téléfilm était prévu pour les chaînes françaises, nous nous sommes tout de suite dit qu’il pouvait intéresser des spectateurs d’autres pays. Nous espérons qu’en étant ainsi adapté pour des audiences chinoise et espagnole il puisse être diffusé de façon plus large. Nous pensons que ce serait bien pour faire connaître l’horlogerie suisse et son histoire à un plus large public.
Bien pour l’horlogerie suisse, mais surtout pour Mido…
Oui, pour Mido, mais aussi, je maintiens mes propos, pour l’horlogerie suisse dans son ensemble. Dans ce film, on voit des artisans à l’œuvre, qui élaborent des mouvements et mettent au point des garde-temps mécaniques. C’est important pour toute l’industrie de montrer comment sont élaborées les montres, pas uniquement pour nous.
En plus du financement des sous-titres, vous avez commandé 2000 DVD pour les distribuer durant Baselworld. Combien ces deux opérations vous ont-elles coûté?
Nous ne communiquons pas nos chiffres. Ces DVD, nous allons les donner aux clients et aux journalistes qui viendront sur notre stand durant la foire horlogère. Chaque année, nous offrons des cadeaux à nos visiteurs, il nous a semblé que ce téléfilm ferait un présent original.
Comment allez-vous vous y prendre pour faire en sorte que ce téléfilm soit plus largement diffusé? Avez-vous déjà pris des contacts auprès de chaînes de télévision étrangères?
Nous attendons les réactions des personnes auxquelles nous le montrerons durant Baselworld. Pour le moment, nous ne voulons pas nous prononcer sur la suite des opérations.