Hommage. Comment résumer en quelques lignes ce que fut l’érudit, le sémiologue, le médiéviste, le linguiste, le philosophe et l’écrivain piémontais? Pour tenter de cerner quelques aspects de ce grand contemporain évoquant certains humanistes de la Renaissance, nous avons choisi de nous en remettre à ses propres mots. Florilège.
Les couillons.«Le grand art consiste à étudier petit à petit la pensée universelle, à scruter les hauts et les bas des mœurs, à surveiller les médias jour après jour, les affirmations des artistes sûrs d’eux, les apophtegmes des politiciens en roue libre, les aphorismes des héros charismatiques; en étudiant les théories, propositions, appels, images et apparitions. Alors seulement, à la fin, tu auras la révélation bouleversante qu’ils sont tous des couillons. Dès ce moment, tu seras prêt à rencontrer la mort.
Jusqu’au bout, tu devras résister à cette révélation insoutenable, tu t’obstineras à penser que quelqu’un dit des choses sensées, que tel livre est meilleur que les autres, que tel démagogue recherche vraiment le bien commun.
Il est naturel, il est humain, il est propre à notre espèce de rejeter la conviction que les autres sont tous, indistinctement, des couillons. Sinon à quoi servirait-il de vivre? Mais lorsque à la fin tu sauras, tu comprendras pourquoi il vaut la peine (ou plutôt: pourquoi il est splendide) de mourir…»
Chronique «La bustina di Minerva», L’Espresso
La mort. «Je veux parler de ma mort et vous admettrez que dans un tel cas j’ai un certain droit à prendre position.»
«Perchè ho il diritto di scegliere la mia morte», La Repubblica, 12 février 2009
La philosophie.«La philosophie est une forme de dilettantisme dans lequel une personne, pour peu qu’elle ait lu, parle sans cesse de choses auxquelles elle ne s’est pas suffisamment préparée.»
«Che cosa fanno oggi i filosofi?»
La religion.«Les hommes ne font jamais le mal aussi totalement et avec autant d’enthousiasme que lorsqu’ils le font par conviction religieuse.»
In «Le cimetière de Prague»
L’ordinateur.«L’ordinateur n’est pas une machine intelligente qui aide les idiots. Au contraire, c’est une machine idiote qui ne fonctionne qu’entre les mains de personnes intelligentes.»
Préface pour Claudio Pozzoli, «Come scrivere una tesi di laurea con il personal computer», Rizzoli
L’ère numérique. «Peut-on vraiment être à la fois adepte du DOS et catholique traditionaliste? Par ailleurs, Céline aurait-t-il écrit avec Word, WordPerfect ou Wordstar? Enfin, Descartes aurait-il programmé en Pascal?»
In «Comment voyager avec un saumon»
Les réseaux sociaux.«Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit à la parole qu’un Prix Nobel.»
(Origine non précisée)
La littérature.«Les œuvres littéraires nous invitent à les interpréter librement, car elles nous proposent un discours à multiples niveaux de lecture et nous confrontent à l’ambiguïté du langage et de la vie.»
In «Sulla letteratura»
La lecture. «Celui qui ne lit pas, arrivé à 70 ans, aura vécu une seule vie; celui qui lit aura vécu 5000 ans. La lecture est une immortalité à reculons.»
Chronique «La bustina di Minerva», L’Espresso
Le journalisme. «Le journaliste est un historien du présent, mais les bons livres d’histoire ne s’écrivent pas toujours en un jour, souvent en une heure, souvent en une minute.»
(Origine non précisée)
Le besoin de tomber amoureux.«Il y a des choses que tu sens venir, tu ne tombes pas amoureux parce que tu tombes amoureux, tu tombes amoureux parce qu’à ce moment-là tu avais un besoin désespéré de tomber amoureux. Dans les moments où tu ressens l’envie de tomber amoureux, tu dois bien regarder où tu mets les pieds: c’est comme avoir bu un philtre, du genre de ceux qui te font tomber amoureux du premier être qui passe, fût-ce un ornithorynque.»
In «Le pendule de Foucault»
La beauté. «Une chose belle est une chose qui, si elle nous appartenait, nous remplirait de joie mais qui reste telle quelle même si elle appartient à quelqu’un d’autre.»
In «Storia della bellezza»
L’horoscope. «On naît toujours sous le mauvais signe. Tenir dignement sa place dans le monde signifie corriger jour après jour son propre horoscope.»
In «Le pendule de Foucault»
L’ennemi.«Voilà un an, à New York, j’étais assis dans un taxi dont le chauffeur avait un nom difficile à prononcer. Il m’a dit qu’il était du Pakistan et m’a demandé d’où je venais. D’Italie, ai-je répondu. Il m’a demandé alors combien nous étions en Italie, s’est étonné que nous soyons si peu nombreux et comment il se faisait que notre langue ne soit pas l’anglais. Puis il m’a demandé qui étaient nos ennemis. A mon «Pardon?», il a précisé qu’il voulait savoir avec quels peuples nous étions en guerre depuis des siècles pour des raisons territoriales, des haines ethniques, des violations de frontières, etc. Je lui ai répondu que nous n’étions en guerre avec personne. […] Ma réponse ne l’a pas satisfait. Comment se peut-il qu’un peuple n’ait pas d’ennemis?»
La Repubblica
Berlusconi.«Le problème de l’Italie, ce n’est pas Berlusconi. L’Histoire depuis Catilina n’est pas avare d’hommes aventureux, dépourvus de tout sens de l’Etat mais dotés d’une grande conscience de leurs propres intérêts, confondant leur bon plaisir avec celui de la communauté.»
L’Espresso
L’islamisme.«On raconte qu’un calife oriental livra aux flammes la bibliothèque d’une ville célèbre et glorieuse et que, devant ces milliers de volumes en feu, il dit qu’ils pouvaient et devaient disparaître, car ou bien ils répétaient ce que le Coran disait déjà et étaient donc inutiles, ou bien ils contredisaient ce livre sacré et donc ils étaient pernicieux.»
In «Le nom de la rose»
La globalisation.«Dans cet univers globalisé, dans lequel il semble que tout le monde aille voir les mêmes films et mange les mêmes aliments, il existe encore des fractures abyssales et impossibles à combler entre culture et culture. Comment deux peuples, dont un ne connaît pas Totò (ndlr: acteur italien, 1898-1967), pourront-ils jamais s’entendre?»
(Origine non précisée)
La science. «La science ne consiste pas seulement à savoir ce qu’on doit ou peut faire, mais aussi à savoir ce qu’on pourrait faire quand bien même on ne doit pas le faire.»
In «Le nom de la rose»
La culture.« L’homme cultivé est celui qui sait qu’il doit aller quérir une information au seul moment de sa vie où elle lui est utile. »
(Origine non précisée)
L’utilité de la futilité. « L’une des fonctions premières et plus nobles des choses peu sérieuses est de jeter un voile de méfiance sur les choses trop sérieuses. »
In «Diario minimo»
La démocratie. « La démocratie ne signifie pas que la majorité a raison, elle signifie que la majorité a le droit de gouverner. »
(Origine non précisée)
Typologie. « Il y a quatre types idéals: le crétin, l’imbécile, le stupide et le fou. Le normal, c’est le mélange équilibré des quatre. »
In «Le pendule de Foucault»
Aphorismes.
«Rien ne communique plus de courage au peureux que la peur d’autrui.»
«Une poule est l’artifice qu’utilise un œuf pour produire un autre œuf.»
«Si Dieu existait, il serait une bibliothèque.»
«Autrefois j’étais indécis, mais à présent je n’en suis plus très sûr.»
«Le Paradis n’est peut-être qu’un genre d’hospice, quand plus personne ne peut vous accueillir sur terre.»
«Quand la majorité prétend avoir toujours raison et que la minorité n’ose réagir, alors la démocratie est en danger.»
«Le héros est toujours un héros par accident, son rêve serait de n’être qu’un honnête poltron.»
«L’absence est à l’amour ce que le vent est au feu: elle éteint le petit et attise le grand.»