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Nadia Plata: la chimiste qui transforme les déchets en crème de beauté

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Jeudi, 3 Mars, 2016 - 05:52

Portrait. Transformer des déchets alimentaires en toutes sortes de produits, c’est le futur. Nadia Plata en a fait sa spécialité et organise une réunion internationale sur le sujet.

«Buongiorno, come stai? Ha fatto buon viaggio?» Il est 9 h 50 ce dernier lundi du mois de février et Nadia Plata, chimiste vaudoise, docteure en biotechnologie environnementale et juriste, débarque à la gare de Milan, accueillie par Nicoletta Ravasio, professeure de chimie et chercheuse à la faculté des sciences agraires et alimentaires de l’Université de Milan. Les deux femmes se sont déjà rencontrées lors de congrès, mais aujourd’hui, Nadia Plata vient visiter, pour la première fois, le laboratoire dirigé par sa consœur. La chimiste italienne est une des conférencières de la rencontre internationale que Nadia Plata, nommée «femme entrepreneur de l’année» en 2013, organise sur la valorisation des déchets industriels (lire encadré), du 9 au 11 mars. 

Cette discipline, en plein développement, est un des domaines de prédilection de la Vaudoise. «Aujourd’hui, notre monde est submergé par les déchets. Une question se pose: comment les réduire? Grâce à la chimie, les déchets ne sont plus une charge, mais des ressources dont on peut tirer des composés importants afin de les remettre sur le marché, sous forme d’huile par exemple, dans des produits cosmétiques.» Un exemple? A partir des déchets de champignons de Paris, il est possible d’extraire une molécule antibactérienne utilisée dans l’industrie médicale.

Le but du voyage éclair de Nadia Plata à Milan? Voir les techniques que la chimiste italienne et son équipe de cinq personnes utilisent dans le domaine de la valorisation des déchets et décider quel mandat la Veveysanne leur proposera. La visite de laboratoires de par le monde est un des aspects du travail de Nadia Plata qui a créé Eptes, une PME qui propose à ses clients de capturer les composés volatils comme les arômes, les parfums et les aérosols. Son travail consiste à s’occuper de l’architecture d’un projet, soit réunir les expertises de multiples laboratoires, leur confier des analyses, interpréter les résultats et les transmettre à ses clients.

En résumé, sa PME vend des procédés. «Les problèmes que nous devons résoudre sont tellement complexes que nous avons besoin de l’expertise de nombreux laboratoires dans le monde entier. Chacun a deux ou trois domaines dans lesquels il excelle, comme, par exemple, l’extraction, la fermentation ou la quantification. L’addition de toutes ces expertises donne une connaissance extraordinaire.»

De fait, aucun des laboratoires mandatés par Eptes ne connaît la totalité d’un projet. Il arrive à Nadia Plata, mère de deux adolescentes, de rester dans l’un d’entre eux – jusqu’à trois semaines – pour connaître la technologie utilisée, pour y faire ses propres essais et comparer ses résultats avec ceux des professionnels avec lesquels elle sera amenée à travailler. «Lorsque, par la suite, je m’entretiens par Skype avec les chimistes qui travaillent pour moi, je connais leur façon de procéder.» Et se rendre sur place est indispensable. Son verdict ne nécessite pas une grande analyse. «Parfois, en quelques minutes, je me dis «Oh non!» en voyant la vétusté des appareils ou le désordre qui y règne.» Autre signe rédhibitoire? «Et il n’y a pas pire qu’un laboratoire désert, où l’on doit allumer la lumière lorsque l’on pousse la porte.»

L’impulsion

La spécialité de Nicoletta Ravasio et son équipe: extraire de l’huile à partir de déchets de tomates, soit la peau et les pépins. L’industrie de ce fruit est en effet particulièrement florissante dans la patrie de la pizza et du sugo. Très précieuses, les molécules de cette huile contiennent des antioxydants naturels, des tocophérols, de la vitamine E, des stérols qui peuvent être utilisés en cosmétique. Il est également possible de transformer ces molécules en ester de stérol pour faire baisser le niveau de cholestérol dans le sang. Outre les déchets de tomates, ce laboratoire milanais est également spécialisé dans la valorisation du marc de café et des déchets qui résultent de la fabrication du vin.

C’est justement en visitant une entreprise vinicole que Nadia Plata a commencé à s’intéresser de près aux déchets de l’industrie alimentaire. «En voyant que la lie de vin était répandue sur les terres – ce qui les acidifie, vu le soufre qu’elle contient –, je me suis dit: «Quel gâchis! On pourrait en extraire tellement de molécules!» J’ai donc fait analyser de la lie par un laboratoire en Suisse et un autre à l’étranger et j’ai vu la richesse de tels déchets. On peut en extraire des colorants ou des acides gras que l’on peut utiliser dans des crèmes.»

Marché gigantesque

On est en 2014 et Nadia Plata, qui a également fait un MBA en finance à HEC Lausanne, cherche à réorienter sa PME qui met alors au point des instruments de laboratoire destinés à capter et à isoler les composés volatils de produits alimentaires ou de parfums. «Assurer les réparations des machines prévues par la garantie nécessitait une infrastructure trop importante.» La chimiste vaudoise a alors l’idée d’envoyer quelques e-mails à des multinationales de sa connaissance, en leur proposant d’extraire des molécules de déchets de peaux d’orange pour trouver de nouveaux arômes.

«Lorsque j’ai vu que les entreprises ne mettaient que quelques heures à répondre, j’ai réalisé le besoin et compris qu’il y avait un marché gigantesque. On est à l’aube des extractions. Actuellement, il existe deux usines qui travaillent dans le domaine: une est aux Pays-Bas et l’autre en Italie, mais elles n’arrivent pas à couvrir tous les besoins du monde cosmétique. En Suisse, l’école d’ingénieurs de Fribourg mène également des recherches dans le domaine.»

De fait, même si les molécules naturelles – elles représentent 5% du marché – sont plus coûteuses que leurs cousines de synthèse, elles sont de plus en plus utilisées par les industriels, car de plus en plus plébiscitées par les consommateurs soucieux de leur santé, des consommateurs qui sont sans cesse à la recherche de nouvelles saveurs et de nouveaux parfums. Le problème? Une fois extraites de leur environnement, les molécules ne sont pas stables.

Sauvegarder les terres

«Lorsque je cuisine et que j’épluche des carottes ou des pommes de terre, je me dis: «Si seulement je pouvais en extraire certaines molécules, mais surtout les stabiliser dans le temps!» Il y a tellement de liaisons chimiques qui stabilisent une odeur. Lorsque l’on sort une molécule de son environnement, elle se perd.» Viennent s’ajouter d’autres difficultés comme le transport, le stockage (pourriture et odeurs), la sécurité (présence possible de bactéries pathogènes) et le contrôle de qualité.

Mais ces quelques obstacles ne sont pas près de décourager Nadia Plata. «Qui se lancera dans le domaine sinon nous, les chimistes? C’est notre devoir moral.» La valorisation permet de réduire les déchets, dont un grand nombre contiennent de l’eau. L’objectif final est l’économie circulaire et le sauvetage des terres, en arrêtant par exemple de planter des palmiers pour en extraire de l’huile. Les déchets alimentaires sont en effet une source possible d’acides gras.

«Aujourd’hui, je me sens comme une exploratrice qui, machette à la main, avance dans la jungle. J’espère bien ne pas me faire dépasser par ceux qui marchent derrière moi...»

Retrouvez en vidéo notre reportage dans un laboratoire de chimie de l’université de Milan avec Nadia Plata:
 

 

 

Valoriser les déchets

Du 9 au 11 mars se réuniront, à Montreux, une soixantaine de spécialistes et de professionnels intéressés par la valorisation des déchets alimentaires. Venus de différents pays d’Europe, des Etats-Unis et d’Asie, ils prendront part au 2016 International Workshop on Food Waste Valorization, soutenu notamment par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation, le COST Suisse (Coopération européenne en science et technologie), le canton de Vaud ainsi que CleantechAlps. Au programme: la réduction des déchets à la source (gaspillage alimentaire), les processus et les technologies dans la valorisation des déchets alimentaires, de même que les règlementations et les aspects politiques qui y sont liés.

Le public visé? Les managers de PME et de start-up, les scientifiques, les chercheurs, les juristes et toute autre personne active dans le domaine technique et scientifique de la valorisation de la biomasse alimentaire ou dans l’aspect légal de la production ou transformation en produits de valeur marchande.

www.eptes.com

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François Wavre Rezo
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