Propos recueillis par Aliaume Leroy
Interview. Peter Chalk, spécialiste du commerce de la drogue en Amérique latine auprès de la RAND Corporation, une institution américaine de recherche et de développement en politique.
D’après certains experts, le Venezuela est aujourd’hui un «narco-Etat». Pensez-vous que ce label est fidèle à la réalité?
Pas dans le sens où le commerce illicite de la drogue est ancré dans les institutions de l’Etat, comme c’est par exemple le cas en Guinée-Bissau. Cependant, la corruption au sein du gouvernement et des forces armées du pays est intimement liée au trafic international de la cocaïne. Surtout depuis 2005, l’année où le président Hugo Chávez a chassé de son pays les agents de la DEA, l’agence antidrogue américaine, en les accusant d’espionnage envers son administration.
Comment le Venezuela participe-t-il au trafic international de la drogue?
Le Venezuela est un pays de transit majeur pour les cargaisons de drogue à destination des Etats-Unis et de l’Europe. La quasi-totalité des avions transportant de la drogue vers le Honduras, le plus gros hub d’Amérique centrale pour la contrebande aérienne en direction des Etats-Unis, provient de l’Etat d’Apure, au Venezuela, qui se situe à la frontière avec la Colombie. La marchandise illicite pour l’Europe est généralement envoyée directement à travers l’océan Atlantique sur des cargos ou des porte-conteneurs qui déchargent leur cargaison dans les ports de Lisbonne, Anvers, Barcelone et Amsterdam.
Cependant, la drogue destinée au marché européen transite de plus en plus par l’Afrique de l’Ouest, en empruntant les voies aériennes et maritimes. Dans le premier cas, la marchandise est transportée dans des avions légers modifiés qui se posent sur des pistes d’atterrissage improvisées. Quant au transport maritime, beaucoup plus commun, la drogue est acheminée par ce qu’on appelle «l’autoroute 10», référence au 10e parallèle nord qui relie l’Amérique du Sud au continent Afrique par le chemin le plus court.
Sait-on combien de drogue transite par le Venezuela en moyenne?
Le volume total de drogue qui passe par le Venezuela est inconnu. Mais d’après le centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants basé à Lisbonne, une initiative lancée par sept membres de l’Union européenne pour faciliter la coopération dans la lutte contre le trafic de la drogue, 51% des cargaisons de drogue interceptées dans l’océan Atlantique entre 2006 et 2008 provenaient du Venezuela.
Quel est le niveau d’implication des dirigeants du pays dans le commerce des stupéfiants?
Il est très élevé. Le mémo justifiant la décision prise par Washington pour l’année fiscale 2015 de dénommer le Venezuela comme un pays de transit majeur pour la drogue mentionne que même si les politiques gouvernementales de Caracas n’encouragent pas directement ces activités illégales, de nombreux rapports et documents suggèrent que l’administration sous Hugo Chávez et son successeur Nicolás Maduro ont pris part ou facilité le commerce illicite de la drogue. Cela est d’autant plus vrai pour certains éléments de l’armée vénézuélienne, rassemblés autour du Cartel de los Soles, une mystérieuse organisation menée par des militaires du pays haut placés et contrôlant le trafic de la drogue.
Quelle relation les dirigeants du Venezuela entretiennent-ils avec les FARC?
Des documents trouvés en 2008 dans l’ordinateur du commandant des FARC, Raúl Reyes, ont révélé les liens particuliers qu’ont les FARC avec des haut placés du gouvernement vénézuélien. Le chiffre 300 est plusieurs fois mentionné dans les dossiers récupérés, soi-disant une référence à des donations financières faites en cash par Chávez envers les FARC. D’après plusieurs sources, les FARC opèrent impunément dans les Etats vénézuéliens de Barinas et d’Apure, kidnappant et menant d’autres activités criminelles librement.
Le Cartel de los Soles est-il un groupe puissant?
Très puissant, car il sert de facilitateur pour le mouvement de la cocaïne colombienne, passant par le Venezuela, à destination des marchés internationaux. L’ancien commandant de la marine Leamsy Salazar, qui s’est enfui aux Etats-Unis en 2015, a identifié auprès des autorités américaines Diosdado Cabello, le président de l’Assemblée nationale et le deuxième homme le plus puissant au Venezuela, comme étant le chef du Cartel de los Soles.