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Frank Rich: «Donald Trump n’a pas pris en otage le Parti républicain, il a profité de son extrême faiblesse.»

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Jeudi, 3 Mars, 2016 - 05:56

Stéphane Bussard

Interview. L’essayiste et chroniqueur Frank Rich analyse le phénomène Trump, qui bouleverse la campagne électorale américaine et qui menace le Parti républicain d’implosion.

Quand Donald Trump a lancé sa candidature à la Maison Blanche en juin 2015, personne ne le prenait au sérieux. Désormais il paraît irrésistible. Comment expliquez-vous le phénomène?

On entend beaucoup dire que Donald Trump a pris en otage le Parti républicain. C’est ridicule. Dans l’essentiel, il défend les visions du Grand Vieux Parti. Il les exprime simplement de la manière la plus vulgaire, la plus ringarde, la plus mal informée et la plus grossière qu’on puisse imaginer. Il a complètement pris de court les républicains, convaincus qu’ils disposaient de candidats talentueux capables de s’imposer naturellement face au New-Yorkais. Donald Trump a déjoué leur bluff. Personnalité du show-business, c’est un maître du divertissement. Il occupe ainsi l’espace médiatique au détriment de personnalités beaucoup plus en retrait comme Jeb Bush, qui a mis fin à sa campagne électorale.

Par son discours anti-immigration violent, par sa vision du monde, il semble proche de certains partis d’extrême droite en Europe.

Le comparer à des politiciens d’extrême droite anti-immigration et anti-musulmans qui ont percé sur la scène politique européenne est une erreur que commettent nombre d’Américains. En superficie, il y a effectivement beaucoup de points communs. Mais, contrairement à eux, il n’appartient à aucun mouvement. C’est un candidat pour ainsi dire indépendant qui ne s’appuie sur aucun appareil politique. Il se trouve qu’il est rattaché au Parti républicain. Sa vision des choses est très superficielle et ne repose pas sur une idéologie particulière. S’il devait être élu à la Maison Blanche, ce qui me paraît très improbable, il s’y ennuierait très vite et confierait rapidement les rênes du gouvernement à ceux qui savent le gérer.

Pourquoi connaît-il un tel succès?

Au même titre que le candidat démocrate Bernie Sanders, il capitalise sur l’énorme mécontentement qui anime une partie de l’Amérique et qui s’explique par une explosion des inégalités de revenus et une stagnation des salaires. Or c’est un paradoxe. La croissance économique est peut-être faible et certains Américains n’y trouvent pas leur compte, mais il ne faut pas exagérer. Nous ne sommes pas dans la République de Weimar. L’économie est dans un meilleur état que lorsque Barack Obama est arrivé à la Maison Blanche après l’effondrement économico-financier de 2008. L’Amérique n’est plus impliquée dans des guerres exigeant de grosses opérations terrestres comme au Vietnam ou en Irak.

Alors pourquoi autant de colère au sein de l’électorat?

N’ayons pas peur des mots: même si beaucoup ne veulent pas en parler, la question raciale est un facteur majeur. Donald Trump l’exploite de façon massive et sans s’en cacher. Ce n’est pas un hasard. Le Parti républicain est le dernier bastion des vieux hommes blancs racistes aux Etats-Unis. Le parti lui-même ne considère pas Barack Obama comme un président légitime.

Le problème racial du Parti républicain n’est donc pas nouveau?

Il ne l’est pas. A partir de l’avènement de Sarah Palin, qui avait rejoint le sénateur John McCain sur le ticket républicain pour la présidentielle de 2008, le parti a usé de la question raciale sans gêne. Cela ne veut pas dire que tous les républicains sont racistes. La plupart d’entre eux ne le sont pas. Mais un groupe de racistes blancs qui représentent approximativement un quart de la population américaine sont rattachés au Parti républicain et votent en masse durant les primaires. Quand Donald Trump parle de construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis, il parle à une grande majorité de la base républicaine.

En 2012, le candidat républicain à la Maison Blanche Mitt Romney n’a pas explicitement joué la carte raciale quand il a parlé des 47% d’Américains qu’il décrivait comme des parasites ou des takers dépendant de l’aide sociale. Pour moi, c’était une référence évidente aux Afro-Américains. L’an dernier, selon Pew Research, 62% des républicains étaient favorables à la construction d’un mur à la frontière américano-mexicaine au même titre que le candidat à la présidence 2012 Herman Cain, qui prônait l’installation d’une barrière électrifiée. Mitt Romney appelait la même année au départ volontaire des clandestins vivant aux Etats-Unis.

La méthode Trump est-elle nouvelle?

Non, les peurs liées à la démographie et à l’immigration sont un phénomène récurrent en Amérique. Elles étaient déjà présentes lors des grandes vagues d’immigration au XIXe et au début du XXe siècle et exploitées par des mouvements comme le Know Nothing Party (opposé à l’immigration irlandaise). Aujourd’hui, ces attitudes de rejet ne reposent pas forcément sur des préjugés envers l’autre. Elles découlent davantage de craintes compréhensibles de citoyens qui perdent pied dans une Amérique en proie à des bouleversements démographiques et technologiques.

Elles découlent de gens animés par un vrai sentiment d’injustice à voir des gens s’enrichir de manière excessive. Donald Trump utilise ce terreau mais, contrairement à Marine Le Pen, il n’agit pas par idéologie. Trump a toujours eu des avis très divers, souvent anachroniques. N’ayant jamais fait de politique, il exprime davantage des opinions qu’une vision politique. Le fait qu’il a déjà réussi à aller si loin dans la course à l’investiture en dit beaucoup sur la faiblesse du Parti républicain et de ses candidats.

La haine de Washington exprimée dans la campagne électorale républicaine a-t-elle atteint son paroxysme?

Une telle haine a toujours existé. Le Parti républicain, qui milite pour un Etat restreint, est toutefois celui qui l’exploite le plus. En 2013, le sénateur républicain Ted Cruz a provoqué une fermeture partielle de l’administration (government shutdown). C’est clairement le parti anti-gouvernement. Donald Trump s’inscrit dans cette logique.

Certains avancent que Donald Trump va provoquer la fin du système bipartite actuel…

Ce n’est pas ma vision des choses. Je pense plutôt que ce qu’on appelle l’establishment républicain va finir par se rallier derrière Donald Trump. Le soutien apporté au milliardaire new-yorkais la semaine dernière par le gouverneur du New Jersey et ex-candidat à l’investiture Chris Christie est une première manifestation de ce ralliement. Au Congrès, le numéro deux républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a déjà déclaré qu’il pourrait travailler avec Donald Trump. Nombre de membres de l’élite du parti seront prêts à le faire s’ils voient que Donald Trump a une bonne chance de décrocher l’investiture.

L’Amérique a eu Obama. Elle pourrait avoir Trump?

Donald Trump peut décrocher l’investiture. Pour être élu à la présidence, c’est une autre histoire. Il peut sans doute amasser bien plus de votes qu’un Jeb Bush dans les Etats républicains (red states) du Sud profond. Il aura beaucoup de peine à gagner dans les Etats démocrates (blue states) et les Etats pivots (swing states) comme la Floride, l’Ohio et le Colorado, où la population hispanique ne cesse de croître et où les Afro-Américains sont aussi nombreux.

Dans le camp démocrate, malgré l’affaire des e-mails, la favorite demeure Hillary Clinton. Comment expliquez-vous le manque d’enthousiasme que suscite sa candidature?

Hillary Clinton est une version de Jeb Bush, bien qu’elle soit très différente du républicain. C’est difficile de motiver un électorat quand on a été sur le devant de la scène depuis aussi longtemps. Elle a passé huit ans à la Maison Blanche, a été sénatrice et secrétaire d’Etat. Elle est réfléchie et intelligente. Elle a une vision plutôt progressiste et centriste au sein du camp démocrate. Mais ses prises de position sont plutôt fades. Il n’y a rien d’enthousiasmant dans son message et c’est problématique. De plus, les jeunes, que les démocrates de l’ère Obama ont réussi à capter, la trouvent ennuyeuse. Ils estiment qu’elle cultive l’ambiguïté. Ils lui préfèrent les positions très tranchées de son rival démocrate Bernie Sanders.

Les «Clinton haters», ceux qui détestent le camp Clinton, prédisent une implosion de la candidate en raison d’un éventuel futur nouveau scandale…

Ces gens-là vont continuer de la critiquer. Mais ces attaques ne vont pas la détruire. L’affaire de la messagerie privée ne va pas l’affaiblir de façon significative à moins qu’elle ne révèle qu’elle a été une espionne d’al-Qaida… Plus sérieusement, le plus gros problème, pour Hillary Clinton, c’est la Fondation Clinton et les liens ambigus qu’elle entretient avec ses donateurs, ce sont les discours qu’elle a tenus et que Wall Street a très bien rémunérés. Mais face à Donald Trump, le roi des conflits d’intérêts, ses problèmes pourraient bien apparaître bénins... 

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Danny Kim / Princeton.edu
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