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Quand les Suisses alémaniques disent «nein» à l’UDC

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Jeudi, 3 Mars, 2016 - 05:58

Catherine Bellini et Michel Guillaume

Récit. L’extraordinaire mobilisation contre le renvoi automatique des délinquants étrangers a d’abord eu lieu outre-Sarine. Au-delà du non qui a effacé la barrière de rösti, les vainqueurs sauront-ils profiter de ce front républicain pour s’opposer à la vague nationaliste lors des prochains scrutins populaires?

Ils sont beaux les Suisses alémaniques quand ils se lèvent contre les populistes. Ils sont superbes Alex Capus et Pedro Lenz, les écrivains d’Olten, quand ils affichent leur NEIN sur les écrans et les murs des maisons. Ils nous impressionnent, ces juges, ces artistes, ces politiciens, ces jeunes, ces retraités qui résistent au parti le plus puissant du pays. Ils nous soufflent, ces Bâlois, ces Zurichois, ces Saint-Gallois et même ces Appenzellois des Rhodes-Extérieures quand ils disent non avec clarté à l’initiative de l’UDC pour le renvoi systématique des délinquants étrangers, deuxième du genre, qui s’en prenait aussi à ceux qui auraient commis des délits de peu de gravité.

Parce que oui, il est bon de le souligner, les Romands n’ont pas la palme de la résistance au populisme cette fois-ci. Celle-ci revient aux citoyens de Bâle-Ville qui ont, pour 70,2% d’entre eux, déposé un non dans l’urne. Et si les Vaudois et les Neuchâtelois arrivent en 2e et 3e positions parmi les Neinsager, ils sont talonnés par les Zurichois, qui passent avant les Genevois et les Jurassiens. Quant aux gens de Bâle-Campagne, ils devancent les Fribourgeois.

Reconnaissons à l’initiative de l’UDC qu’elle a non seulement suscité un vigoureux mouvement citoyen contre elle, du jamais vu dans ces proportions, mais aussi réuni la majorité des cantons alémaniques et romands dans un même camp. Le 29 février 2016, le pays s’est réveillé moins divisé que par le passé. Seuls le Tessin et trois petits cantons et demi ont dit oui. Et si, à l’épilogue de la campagne, la possibilité d’un non du peuple semblait se dessiner, personne, absolument personne, n’avait imaginé un seul instant que cette initiative n’obtiendrait pas la majorité des cantons.

Anciens et néorésistants

Mais à qui doit-on cette nouvelle communion fédérale contre le racisme et le populisme? Eh bien par exemple aux 50 000 citoyens qui ont signé l’Appel urgent aux Suissesses et aux Suisses et ont versé, pour beaucoup d’entre eux, de petites sommes qui sont devenues grandes puisque l’Appel a réuni 1,2 million de francs depuis son lancement le 24 janvier. Mais aussi à ceux qui ont déclenché ce sursaut. Parce que, comme souvent en politique, l’engagement personnel a fait la différence. Qui plus est, un engagement hors des sentiers battus, dépassant les partis traditionnels et fortement ancré outre-Sarine où quelques individus, entre Berne, Zurich et Saint-Gall, sont sortis de leur zone de confort et ont tenté de nouvelles pistes.

Chez les résistants de longue date, il y a eu des politiciens classiques tels le chef de l’Union syndicale suisse, le socialiste saint-gallois Paul Rechsteiner, et son camarade de parti le Biennois Hans Stöckli, deux bêtes de campagne. Les deux conseillers aux Etats écrivent un manifeste, Hans Stöckli récolte des centaines de signatures de parlementaires fédéraux, actuels et anciens, et celles d’ex-conseillers fédéraux. Une dynamique est enclenchée, indispensable à leurs yeux: «Nous étions face à une dépression totale du monde politique résigné par les premiers sondages, épuisé par les élections fédérales, et des organisations économiques qui ne voulaient pas dépenser un seul franc», explique le Saint-Gallois.

A Zurich, Paul Rechsteiner se joindra à un retraité indigné, l’ex-rédacteur en chef de la télévision alémanique Peter Studer. Ce dernier, radical dans son jeune âge, était sorti du parti pour embrasser une carrière journalistique. Malgré ses 80 ans, le sang de ce docteur en droit n’a fait qu’un tour quand il a lu «cette monstruosité d’initiative». C’est lui qui lancera le fameux Appel urgent aux Suisses qui condamne les attaques de l’UDC contre la séparation des pouvoirs, le principe de proportionnalité et la discrimination des étrangers. «Nous avons travaillé sur des messages clairs, précis, compréhensibles. Sur l’image aussi. Pas question de copier les symboles de l’UDC», précise Paul Rechsteiner. Ainsi sont nés ces gros NON, NO, NEIN affichés comme autant de cris à travers le pays.

Dans le monde économique, quelques acteurs s’exposent quand même autour de succèSuisse et de sa lobbyiste Claudine Esseiva, secrétaire générale des femmes PLR. Parmi eux, Daniel J. Sauter, président du conseil d’administration de la banque Julius Bär, et le Bernois Peter Stämpfli, patron d’une entreprise d’imprimerie et de communication qui compte 400 employés. Ce dernier a lancé une page sur Facebook, publié des textes, un film sur YouTube. Le premier sondage de novembre avec 66% de oui l’a électrisé. «Je ne voyais personne s’engager. J’ai décidé de m’activer pour pouvoir me regarder dans le miroir. Comme entrepreneur, comme père, comme citoyen, tout est lié. Cette initiative contenait quelque chose d’explosif. D’ailleurs, les gens ont fini par remarquer que l’UDC allait trop loin et mettait en danger la cohésion de ce pays. Dans les discussions privées, on m’a surtout parlé d’êtres humains, amis ou collègues qui auraient risqué une expulsion automatique.»

Nés le 9 février 2014

Mais cette mobilisation, au fond, a commencé il y a deux ans. Après le oui très serré à une autre initiative de l’UDC, contre l’immigration de masse.

Lors de la grande manifestation qui suivit sur la place Fédérale, les mots de l’écrivain d’Olten Alex Capus avaient marqué les esprits: «Nous sommes les 49,7%.» Depuis, il a continué à se battre et pourrait désormais s’exclamer: «Nous sommes les 58,9%.» Parce que la déception après le oui de 2014 a suscité l’engagement civil et politique d’une nouvelle génération. On pourrait parler des «nés le 9 février 2014». A l’image du mouvement des pro-européens politisés par le combat, perdu, pour l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE) en 1992.

Née le 9 février 2014 au sein d’un groupe d’étudiants consternés: c’est le cas de l’Opération Libero emmenée par Flavia Kleiner, 25 ans. La belle et dynamique assistante en histoire européenne à l’Université de Fribourg, que tout le monde a remarquée dimanche tant elle rayonnait dans son manteau fuchsia: «Une large part de la population s’est levée, elle n’est plus prête à tolérer la haine, l’inconvenance et l’alarmisme de l’UDC.» Virtuose de l’information via les réseaux sociaux et des actions photogéniques, elle a emmené la campagne des ONG durant quatre mois à plein temps, arpenté le plateau suisse pour convaincre les passants. Celle qui s’engage aussi au sein de foraus (forum de politique étrangère) se réjouit. «On voit que le système immunitaire de la Suisse se réveille quand survient une attaque aussi fondamentale sur l’Etat de droit et les droits de l’homme.»

Autre jeune politiquement révélé après le 9 février 2014: Leo Caprez, membre du comité d’initiative RASA. «J’ai réalisé ce jour-là que la politique n’allait pas pouvoir réagir et que la solution devait venir de la société civile.» Une invitation sur Facebook, une trentaine de personnes autour de lui, 100 000 signatures récoltées en six mois. La solution: revoter sur l’immigration de masse au cas où Conseil fédéral et Parlement ne trouveraient pas de solution dans les temps imposés par l’initiative, soit d’ici février 2017.

Maires et rappeurs

Très remarqué aussi dans la campagne qui vient de s’achever, le rappeur et animateur Knackeboul a déboulé à l’émission Arena, tenant tête avec beaucoup d’authenticité et d’esprit de répartie à l’UDC Adrian Amstutz. Il a pris du recul, exprimé sa désapprobation envers un parti qui «avec ses affiches et ses annonces instille depuis des années un climat nocif entre les Suisses et les étrangers». L’engagement de Knackeboul ne date pas d’hier, il remonte aux souvenirs de son enfance. Sa famille a vécu cinq ans au Portugal, ses parents s’occupant alors de réfugiés africains. «Il y avait de véritables bidonvilles à Lisbonne à l’époque, nous avons vu ce qu’endurait un réfugié», raconte son frère.

Enfin, des membres d’exécutifs, et non des moindres, se sont engagés, tels les maires de Zurich et de Winterthour, première et sixième villes du pays. Corine Mauch, à Zurich, a chauffé une foule de manifestants, fustigeant l’initiative de renvoi: «Si un passeport détermine une peine, c’est de l’arbitraire.» Dimanche, la maire, soulagée, s’est réjouie du résultat sans appel de sa ville: 77% de non!

Et maintenant?

«Nous avons gagné une bataille, mais nous n’avons pas gagné la guerre, dit Hans Stöckli. Il va falloir trouver le moyen d’exister dans la durée. Une telle mobilisation ne peut pas être lancée quatre fois par an.» Les têtes pensantes cogitent pour fédérer les forces constructives du pays, de droite à gauche. Côté bourgeois, succèSuisse s’allie aux partis du centre droit et lance une plateforme commune «pour lutter contre les futures attaques envers notre Etat de droit». Côté Opération Libero, Flavia Kleiner et les siens clament déjà sur l’internet: «Nous avons besoin de toi à l’avenir aussi.» Car il s’agit d’affûter ses armes.

Le prochain combat figure déjà à l’agenda puisque le peuple suisse se prononce le 5 juin sur le référendum de l’UDC contre la révision de la loi sur l’asile. Cette réforme radicale, proposée par Simonetta Sommaruga et approuvée par les deux Chambres, permettra de réduire la durée de traitement de 60% des demandes d’asile de 700 à 140 jours. Pour éviter toute procédure arbitraire, la loi accorde une assistance juridique gratuite au requérant. Pour l’UDC, le prétexte tout trouvé pour saboter une nouvelle fois le travail du gouvernement et du Parlement. Le parti de Christoph Blocher a déjà son argument massue pour convaincre les Suisses: «Non aux avocats gratuits pour tous les requérants», clame-t-il. Mais sera-t-il seulement crédible? Johan Rochel, vice-président du laboratoire d’idées foraus, en doute: «Il est possible de gagner en démontrant les contradictions du discours de l’UDC, qui refuse une loi accélérant sensiblement les procédures, alors qu’elle n’a cessé de déplorer leur longueur.» Bref, un front de la raison se dessine à nouveau. Comme le souligne le syndic de Winterthour Michael Künzle, un PDC: «Pour les villes, combattre ce référendum sera capital. Car grâce à la création de centres fédéraux et le traitement des requêtes en leur sein, les communes ne recevront que des réfugiés qui ont obtenu le permis de rester. Cela va grandement nous soulager.»

Deuxième échéance à venir: l’initiative «d’autodétermination» qu’a lancée l’UDC pour affirmer le primat du droit suisse sur celui «des juges étrangers». Un danger dans la mesure où elle risque d’isoler la Suisse sur le plan international, qui ne pourrait alors plus respecter la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qu’elle applique depuis 1974. Sous l’impulsion du professeur de droit à l’Université de Zurich et désormais conseiller national Hans-Ueli Vogt, l’UDC a rédigé un argumentaire solide. Il y dénonce des cas, certes peu nombreux, mais où la Cour de Strasbourg a prononcé des jugements très discutables selon l’UDC.

Mais la mère des batailles aux yeux du patriarche de l’UDC Christoph Blocher, c’est la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse». Et l’avenir de la voie bilatérale qui lui est liée. Même si l’économie tient aux accords avec Bruxelles, l’issue de la confrontation est très ouverte. Un enjeu crucial pour Daniel J. Sauter, de la banque Julius Bär: «Il est vital de trouver rapidement entre la Suisse et l’Union européenne une issue favorable aux deux parties pour surmonter le blocage dans lequel nous a précipités l’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse.»

L’important, c’est demain

Jusqu’à présent cependant, le camp de l’ouverture s’est montré divisé, les partenaires sociaux incapables de s’accorder sur un renforcement des mesures d’accompagnement pour lutter contre le dumping salarial. Mais il n’y a pas que des votations en politique. Au lendemain du non à l’initiative de renvoi, Paul Rech­steiner et l’Union syndicale suisse (USS) sont montés au front. Pour défendre une idée: appeler les secondos à se naturaliser, eux et surtout leurs enfants. Parce que ce sont surtout les jeunes, plus susceptibles de commettre des bêtises, qui risquent l’expulsion. La victoire du non ce 28 février ne doit pas nous faire oublier une chose: la loi d’application déjà adoptée par le Parlement permettra de renvoyer davantage de délinquants étrangers que le droit actuel.

On le voit, l’important, c’est demain, et ce que feront les résistants à l’UDC de leur victoire. En attendant, ces Suisses qui disent non au populisme ont déjà reçu un nom: les «Mutbürger» («les citoyens courageux»), par opposition aux «Wutbürger», ces citoyens en colère contre la classe politique. Au soir du 28 février, Matthias Daum, journaliste de l’hebdomadaire Die Zeit, a écrit: «A l’heure où l’Union européenne menace de se briser sur la crise des réfugiés, où des gouvernements […] érigent des clôtures et fixent des plafonds de migrants parce que le peuple semble le vouloir, à cette heure-ci, un pays résiste à l’air du temps.» 

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