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Daniel Vasella: «En Amérique latine, je réalise mon rêve d’enfant d’être paysan et d’élever des vaches.»

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Jeudi, 10 Mars, 2016 - 05:49

Propos recueillis par Peter Hossli et Marc Walder

Interview. Daniel Vasella, ancien CEO puis président du conseil d’administration de Novartis, a quitté son poste en février 2013. Son énorme prime de départ a suscité un tel tollé en Suisse qu’il y a renoncé. Pour la première fois depuis trois ans, il accorde une interview où il est question de sa vie et de la mort.

Le contact vidéo est établi. Daniel Vasella porte une barbe et paraît détendu. «Ici, c’est l’été», dit-il. «Où êtes-vous?» «En ce moment, en Amérique latine. Ces trois dernières années ont été plutôt nomades. Mais avec ma femme nous sommes heureux d’être de retour en Suisse auprès de nos enfants.»

Cela signifie que vous payez vos impôts en Suisse?

Oui. Nous nous y sentons chez nous, les enfants y habitent. New York reste bien sûr toujours quelque chose de spécial. Mais, pour moi, cette ville représente le travail.

Que faites-vous en Amérique latine?

Je réalise mon rêve d’enfant: être paysan et élever des vaches.

Que faites-vous d’autre?

Le travail est structurant, les contraintes ont quelque chose de positif. Mes trois mandats d’administrateur (ndlr: chez Pepsi, American Express et XBiotech) assurent une certaine structure. En outre, je coache des CEO, j’aime bien ça. Surtout, je passe beaucoup plus de temps avec ma femme et les enfants, quand bien même ces derniers ont leur propre vie.

Vous avez 62 ans, le temps s’abrège…

Vous me parlez de la mort? Il est très difficile de se représenter sa propre non-existence, pourtant nous savons la mort inéluctable. Et le monde continue de tourner. Seul le moment est incertain et il faut s’en accommoder.

Vous vous en accommodez?

Le fait d’ignorer quand ce sera le moment me protège. Ce serait plus compliqué si je le connaissais.

Il y a vingt ans, Ciba-Geigy et Sandoz ont fusionné pour donner Novartis. C’était une bonne idée?

Ce fut une bonne décision, je le dis sans hésiter. Les deux sociétés n’étaient plus dans le peloton de tête et couraient le risque d’être distancées. Grâce à la fusion, Novartis a pu conquérir des positions de leader dans de nombreux domaines. La productivité a augmenté, nous avons condensé le portefeuille, dissocié la chimie, vendu la nutrition et créé Syngenta pour nous concentrer sur la médecine.

Avez-vous toujours un bureau chez Novartis?

Oui, mais je l’utilise rarement. J’ai demandé qu’il soit déplacé dans le canton de Zoug pour que je ne doive pas me rendre à Bâle.

Vous êtes actionnaire de Novartis. Etes-vous satisfait du cours de l’action?

Le cours m’intéresse à deux moments: quand j’achète et quand je vends. Pour le reste, je m’intéresse davantage à savoir si l’entreprise croît de manière durable, si elle gagne de l’argent et paie des dividendes.

On a le sentiment que Roche est en meilleure santé que Novartis. Pourquoi?

Notre arrivée a incité ce groupe à améliorer sa performance. Lorsqu’en 2011 Martin Ebner a voulu vendre son paquet d’actions Roche, nous nous sommes demandé s’il fallait l’acheter. Roche était alors en situation délicate. Il est évident que, pour Novartis, ce fut un investissement fantastique.

Qui est Daniel Vasella sans Novartis?

Toujours Daniel Vasella. Mais je suis devenu plus serein. Je fais plus souvent ce que je veux, pas seulement ce que je dois. C’est un grand changement.

Novartis a été votre vie. En 2013, inopinément, vous partez. Vous avez dû vous réinventer?

Ma décision de partir n’a été une décision soudaine que pour les observateurs. En 1996 déjà – j’étais devenu CEO à 42 ans – un membre du conseil d’administration m’a dit que je ne pourrais pas rester en poste jusqu’à 65 ans; que douze ans feraient l’affaire. Je ne l’ai jamais oublié, d’autant que c’est une logique que je partage. Avec le temps, on devient redondant, on raconte toujours les mêmes choses. Avant même que l’on s’assoie, tout le monde sait déjà ce qu’on va dire. Au bout de douze ans, je me suis dit: voilà, douze ans ont passé.

Mais vous êtes resté dix-sept ans.

J’ai lâché le poste de CEO au bout de quatorze ans et je suis encore resté trois ans président. Cela a permis d’assurer une succession ordonnée et d’envisager mes prochaines étapes professionnelles. J’ai suivi une formation de coach à Vienne et à Düsseldorf, j’ai eu beaucoup de plaisir à apprendre, comprendre, écouter.

Vous avez dirigé Novartis près de vingt ans, vous avez construit le campus. Pourtant, on parle plus de votre salaire que de votre performance managériale.

C’est vrai. J’ai aussi commis des erreurs, c’est clair. Je n’ai pas compris que, dans l’opinion publique, peu importe que je fasse désormais des dons avec mes rémunérations – ce qui était mon intention – ou que je garde tout pour moi. J’avais complètement sous-estimé combien l’ambiance était explosive dans le contexte de l’initiative Minder.

Votre indemnité de départ de 72 millions de francs a été divulguée durant la campagne.

Et au sein de la population – c’est parfaitement compréhensible – l’opinion dominante fut que les CEO gagnaient beaucoup trop. J’en étais l’illustration. Ceux qui, derrière moi, étaient numéros 2, 3 ou 4 étaient ravis que je sois ainsi exposé.

Vous avez passé pour insensible.

C’est à coup sûr une faiblesse de ma part de provoquer parfois et de m’entêter. C’était peut-être de l’obstination: il y a un accord, les contrats doivent être respectés y compris sous la pression. C’était un contrat ancien: on partait de l’idée que je commençais à 42 ans, que je restais en poste douze ans et qu’ensuite je devais être dédommagé. En tout cas, cela a affecté mon image.

Pourquoi êtes-vous obstiné?

Respect des principes et intégrité! Une des causes de mon obstination est le mépris de l’hypocrisie et des personnes qui se comportent comme des girouettes. Il y a trop de ces gens qui sont toujours politiquement corrects, qui veulent plaire à tout le monde. Je trouve cela nul. Il faut des gens qui ont le courage d’affirmer leur opinion, que ce soit bien vu ou non.

Les médias ont été durs avec vous. Qu’en pensez-vous aujourd’hui?

Les médias sont essentiels pour communiquer des contenus et des opinions. En même temps, ils forment un commerce: les médias dépendent du fait qu’ils sont lus ou non. Ils doivent informer et, simultanément, polariser, car ce qui est polarisé se vend mieux. Ce dilemme, Dieu merci, n’est pas le mien, c’est le vôtre. Reste que cela ne me laisse pas entièrement froid. Je sais que j’ai commis des erreurs: tout homme a ses forces et ses faiblesses. Si vous me demandez si ce fut agréable, eh bien non, ce n’était pas agréable. Est-ce que j’ai survécu? Oui, j’ai survécu et je peux en être satisfait.

Vous semblez tout à coup autocritique.

Ce n’est pas nouveau, même si cela ne cadrait pas avec ce qu’en a pensé l’opinion publique. L’autocritique doit être mesurée afin de ne pas gêner l’action. En même temps, elle doit être assez forte pour que l’on demeure dans la réalité.

Vous avez été absent longtemps. Comment voyez-vous la Suisse?

D’une façon fondamentalement positive. Plein de choses fonctionnent très bien. Mais je constate une polarisation accrue au sein de la population, ce qui n’est pas très suisse. Nous le constatons aussi aux Etats-Unis, où les primaires se sont polarisées entre un Donald Trump et un Bernie Sanders.

Comme aux Etats-Unis, en Suisse, ce sont la gauche et la droite qui tonitruent. Pourquoi entend-on si peu de voix raisonnables au centre?

Il est plus facile d’être extrémiste. On sait ce qui est juste et ce qui est faux. Pour les idéologues, le monde est simple. Or, en réalité, le monde est nuancé, ce qui le rend plus compliqué.

Le PLR a longtemps été la voix de la raison. Désormais, il a perdu la main sur bien des sujets. Vous êtes déçu?

Le parti s’est affaibli parce qu’il a renoncé à son mandat de base: il a voulu être davantage que le parti de l’économie, s’est déplacé vers la gauche, s’est engagé en politique sociale. L’UDC a occupé la brèche, est devenue proche de l’économie. Mais maintenant l’UDC dérive à droite et oublie l’économie. La Suisse, en tant que telle, n’est plus guère favorable à l’économie. Voyez ce qui a été dit du 150e anniversaire de Nestlé: au lieu de se réjouir d’une entreprise si pleine de succès, on a fait des articles sur le scandale du lait pour bébés.

Quand engagerez-vous un robot comme assistant?

Sûrement jamais. Bien sûr que la numérisation et les robots modifient beaucoup de choses. La numérisation a par exemple rendu possible le séquençage du génome et rend possible un traitement plus ciblé du cancer. Dans les interventions chirurgicales, on recourra toujours plus à la robotique.

Les robots remplaceront-ils les médecins?

Les robots ne peuvent remplacer l’humanité du médecin et les patients ne sont pas des machines. L’ordinateur ne remplacera jamais le dialogue avec le médecin. L’être humain est une créature biopsychosociale. Si on l’ignore, le diagnostic et la thérapie échouent.

Vous pouvez vous offrir tout ce que vous voulez. Pour quoi aimez-vous dépenser votre argent aujourd’hui?

Mon père m’a marqué. Il était très économe, il gagnait peu. Mais il n’a jamais économisé sur les livres et la formation. Les dépenses doivent avoir du sens. Certes, j’ai désormais beaucoup d’argent, mais je continue à ne pas le dépenser stupidement. Par exemple, je n’achèterais jamais dans un bar une bouteille de champagne à 400 francs. 

© SonntagsBlick
Traduction et adaptation Gian Pozzy

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Jean-Christophe Bott / Keystone
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