Mehdi Atmani
Financement. L’incubateur berlinois adapte sur ses jeunes pousses les modèles d’affaires d’entreprises à succès existantes. Sauf que le retour sur investissement se fait attendre.
Zalando ne serait rien sans Rocket Internet. Pour le fonds d’investissement berlinois spécialisé dans le développement rapide de start-up copiées sur des sites à succès, la réussite du numéro un européen de la mode en ligne est une vitrine publicitaire. Une source de motivation aussi pour la centaine de start-up agglutinées dans les open spaces de la Johannisstrasse. C’est ici, dans un immeuble industriel du quartier de Mitte, à 200 mètres à peine du parc technologique de Zalando, que se niche la pépinière de jeunes pousses de l’empire des frères Alexander, Oliver et Marc Samwer.
En 2008, la fratrie a eu du flair. Une année seulement après avoir fondé sa société Rocket Internet, elle mise sur Zalando, laquelle, grâce aux multiples tours de table, est devenue grande, très grande, jusqu’à régner sur l’e-shopping européen. Les frères ne détiennent que 17% de Zalando, mais ont la mainmise sur le secteur opérationnel et financier.
Zalando n’est rentable que depuis la fin de l’année 2014. De son bureau exigu, Dörte Hirschberg jette un coup d’œil à son Apple Watch. «Pour les start-up actives dans l’e-commerce, la profitabilité vient entre six et neuf ans», prévient la présidente du développement d’entreprises chez Rocket Internet.
Depuis 2007, Rocket Internet accompagne plus d’une centaine de start-up dans le monde entier, sauf en Amérique du Nord, pour ne pas se heurter à la concurrence de la Silicon Valley. Toutes sont façonnées sur le modèle d’affaires à succès d’entreprises existantes. Ainsi Zalando se calque sur celui de Zappos. Helpling, le service d’aide à la personne, sur celui de la start-up britannique Hassle. Foodpanda, championne de la livraison de repas à domicile dans 41 pays, s’est inspirée du modèle d’affaires de l’américaine GrubHub. Des success stories qui masquent une réalité: la rentabilité.
Exigence de rentabilité plus rapide
Rocket Internet incube les jeunes entreprises pendant une centaine de jours. Ensuite, les poussins volent de leurs propres ailes, mais ne sont pas rentables pour autant. Dörte Hirschberg le reconnaît, «certains investisseurs deviennent nerveux». Le retour sur investissement se fait attendre. «Mais nous préférons les faire grandir au début plutôt que de les rendre rentables», explique-t‑elle. Il n’empêche, l’entreprise réorganise sa stratégie d’incubation. «Nous allons aider les start-up à identifier plus clairement leur cible sur le marché. L’objectif est qu’elles atteignent plus tôt la rentabilité», souligne Dörte Hirschberg.
Début janvier 2016, Rocket Internet – qui est cotée en Bourse depuis 2014 – a perdu Franziska Leonhard, cheffe du département juridique, et Uwe Gleitz, vice-président du pôle financier. Des «raisons personnelles» ont justifié le départ de ces deux têtes managériales.
Mais des sources internes avancent des divergences sur la stratégie de Rocket Internet, dont les jeunes pousses brûlent davantage de liquidités qu’elles n’en gagnent. C’est un fait: les investisseurs commencent à trouver le temps long. Toutes les start-up sont à des stades de maturité différents. L’opacité dont Rocket Internet les entoure brouille les signaux des analystes, contraints d’étudier la situation au cas par cas. Certes, le fonds d’investissement a ses champions. Mais s’ils enregistrent une très forte croissance, ils perdent toujours de l’argent.