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François Thiébaud: «Tissot ne boude pas la montre connectée. Son approche est ciblée et fidèle au Swiss Made.»

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Jeudi, 17 Mars, 2016 - 05:54

Interview. François Thiébaud, président de Tissot, entend développer les ventes sur le marché américain, qui sont encore bien trop faibles. Il enrichit par ailleurs la T-Touch Solar de nouvelles fonctions qui la font entrer progressivement dans le monde des montres connectées.

Ses journées, imprévisibles, le font tourner comme une hélice. François Thiébaud court d’un événement à l’autre, multiplie les rencontres, les voyages, les découvertes. A 68 ans, il continue à s’émerveiller comme un enfant d’une prouesse technologique, toujours possible, ou d’une vente record, moins évidente en ces temps de médiocre conjoncture. Dans la salle de réception du siège de Tissot au Locle, celui qui fut l’un des plus fidèles lieutenants de Nicolas G. Hayek reçoit L’Hebdo peu avant l’ouverture de Baselworld, la traditionnelle manifestation de l’horlogerie mondiale.

Vous présidez Tissot depuis exactement vingt ans. Avec Walter von Känel et Stephen Urquhart, respectivement à la tête de Longines et d’Omega, vous êtes l’un des trois barons de Swatch Group. Une situation qui n’a que des avantages?

Plutôt qu’un baron, je préfère être considéré comme le bailli du Locle, comme me l’a confié un jour Nick Hayek, CEO de Swatch Group. Vingt ans à la tête de la marque, c’est bien sûr une fierté mais aussi et surtout une responsabilité que je partage avec toute mon équipe, que je compare volontiers à un orchestre. Nous devons entretenir la confiance des consommateurs qui ont acheté une Tissot. Ils sont une trentaine de millions depuis dix ans. Ce capital confiance doit notamment être cultivé dans le service après-vente qui demeure la priorité du marketing et qui explique la croissance ininterrompue de la marque depuis deux décennies.

Vous avez autant de contacts avec Nayla, présidente de Swatch Group, qu’avec Nick Hayek?

Avec Nayla Hayek un peu moins qu’avec son frère Nick. Nayla dirige le conseil d’administration comme son père. Toujours sur le pont, elle continue par son engagement à rendre hommage à ce dernier avec son frère Nick et son fils Marc-Alexander. Si la famille Hayek avait vendu la société à un autre groupe horloger ou à un financier, croyez-vous qu’un Thiébaud ou un von Känel serait encore là? On leur aurait dit: vous avez passé l’âge de la retraite, c’est fini pour vous! Des analystes financiers dogmatiques ne comprenant rien à notre culture d’entreprise auraient tout disloqué. Et Swatch Group n’existerait plus en tant que tel.

Vous avez 68 ans. A vous entendre, une retraite n’est toujours pas à l’agenda?

Pourquoi devrais-je songer à partir alors que des politiciens redémarrent une carrière politique à 70 ans? Voyez Alain Juppé en France ou Hillary Clinton aux Etats-Unis! Je me sens très bien physiquement et je suis très heureux avec mes deux familles, privée et professionnelle. La vie sur terre est faite pour être vécue intensément. Pourquoi me reposer maintenant alors que j’aurai toute l’éternité pour le faire quand je ne serai plus là?

Comme président du comité des exposants suisses, comment percevez-vous le climat des horlogers et des bijoutiers à l’ouverture de Baselworld?

Les exposants appréhendent ce salon. Ils pensent qu’il sera plus difficile que le précédent. L’année 2015 s’est en effet soldée par une diminution des exportations de 3,3%. Mais je trouve que ce résultat n’est vraiment pas inquiétant si l’on tient compte du choc engendré par la hausse brutale du franc depuis janvier 2015. En France et en Allemagne, Tissot affiche une croissance à deux chiffres en euros et se trouve presque dans le rouge en francs suisses. Sur le total des pays, la marque a perdu plusieurs dizaines de millions de francs essentiellement à cause d’un change défavorable, et les conséquences financières se chiffrent en centaines de millions pour Swatch Group, comme l’a indiqué Nick Hayek.

Quels sont les marchés les plus touchés?

Tissot est en repli sur le marché russe où le rouble a perdu la moitié de sa valeur. Les touristes russes se font toujours plus rares. A Hong Kong, la marque n’a pas échappé à la chute de plus d’un quart des exportations horlogères suisses. Globalement, un climat général de défiance incite nos partenaires dans la distribution à diminuer leurs stocks. S’ils vendent dix montres, ils n’en commandent plus que sept ou huit, parfois moins.

N’y a-t-il pas plutôt un problème de surstockage dans le secteur horloger?

Quand tout va bien et que les détaillants ont de la peine à se faire livrer leurs produits, ils ont en effet tendance à en commander davantage. Mais dès que la conjoncture fléchit, les stocks diminuent. Le consommateur se réfugie vers les marques les plus connues au détriment des nouvelles. Le distributeur se trouve alors avec un surplus de marques secondaires qu’il n’arrive plus à écouler mais dont il doit bien payer les factures au producteur. Pour ce faire, il utilise le cash des montres qui se vendent pour s’acquitter des factures de celles qui ne se vendent pas. Et non pour commander de nouvelles Omega, Longines, Tissot ou d’autres marques suisses connues. Résultat, cela peut pénaliser celles-ci et affaiblir le réassortiment dans les points de vente. Le même phénomène s’est produit en 2009.

Comment se profilent les mois à venir?

Je vise actuellement une croissance de 5 à 6% des montres de la marque en 2016. Depuis janvier, je prends la température des marchés lors de nombreux voyages. Les tour-opérateurs pensent que la reprise des activités touristiques aura lieu vers avril. Je suis donc modérément optimiste, à condition bien entendu qu’il n’y ait pas de nouveaux attentats ou une épidémie comme le SARS.

Les attentats du 13 novembre ont joué un rôle majeur dans la chute des ventes horlogères?

Incontestablement. Paris est la première ville touristique au monde. Comme les touristes ont craint de se rendre dans la capitale française, ils ont annulé l’ensemble de leurs voyages qui devaient les conduire à Rome, Milan, Francfort, Lucerne ou Genève. A cela s’ajoute le problème des visas. Sans ces événements, l’horlogerie suisse n’aurait certainement pas essuyé une baisse des exportations de 3,3% mais aurait enregistré une croissance nulle. Comme les magasins n’ont pu écouler leurs marchandises en novembre-décembre, ils n’ont plus rien commandé en janvier-février. La situation devrait maintenant se rétablir progressivement. Espérons que Baselworld aide les exportations suisses pour le mois de mars.

Quels sont, en 2016, les marchés sur lesquels on peut compter?

L’Europe, les Etats-Unis et aussi celui de la Chine, qui reste positif. Concernant les Etats-Unis, notre part de marché n’atteint pas 5%. Nous espérons l’augmenter à 10-12% ces prochaines années. Sont tout de même concernés quelque 320 millions de consommateurs, sans compter le Canada et l’Amérique latine!

Comment expliquez-vous un résultat aussi faible aux Etats-Unis?

La culture horlogère ne s’est pas développée aux Etats-Unis comme en Europe. C’est la raison pour laquelle nous avons signé en octobre 2015 un contrat d’une durée de six ans avec la National Basketball Association (NBA), la principale ligue de basketball nord-américaine, qui comprend 29 équipes aux Etats-Unis et une au Canada. C’est le plus gros partenariat jamais conclu par notre marque. Il assure à cette dernière une très forte visibilité, avec notamment la minute Tissot télévisée sur ESPN. Par ailleurs, dès la saison 2016-2017, les shot clocks, ces minuteurs de compte à rebours destinés à augmenter le rythme du jeu, seront à nos couleurs. Comme les matchs de la NBA sont regardés dans le monde entier, c’est toute la planète que nous visons.

Un contrat de quelle hauteur?

La presse a avancé le chiffre de 200 millions de dollars.

Pouvez-vous confirmer?

A vous d’interpréter mon silence!

Avez-vous acheté et testé une Apple Watch?

Oui, je l’ai testée.

Et qu’en pensez-vous?

L’Apple Watch est une montre intéressante mais qui m’offre les mêmes fonctions que celles de mon téléphone portable. Par ailleurs, savoir à quel rythme bat mon cœur, sentir mon poignet vibrer quand je reçois un SMS, cela ne m’intéresse pas. Ce qui me gêne avec certaines montres connectées, c’est le côté intrusif. On peut enclencher son téléphone à distance et ainsi enregistrer et visionner les personnes à leur insu. Cela me dérange énormément.

Vous n’êtes toujours pas convaincu par la montre connectée?

Ce n’est pas vrai, je pense que pour des applications médicales ou sportives particulières, la montre connectée peut en effet séduire certaines personnes. Mais pour un usage quotidien, je ne suis pas convaincu de son utilité. Elle joue un rôle complémentaire de la montre traditionnelle mais ne la remplace pas.

Pourtant, la T-Touch Solar que vous présentez à Baselworld est une montre en partie connectée?

En effet. Tissot ne boude pas la montre connectée mais son approche reste ciblée. Et, surtout, nous restons fidèles à un Swiss Made auquel nous tenons. L’Apple Watch, comme d’autres produits de ce type, offre une multitude de fonctions, avec l’heure en prime. Nous offrons, quant à nous, l’heure que nous habillons de différentes fonctions. Ce sont deux approches différentes et, encore une fois, complémentaires.

Quelles nouveautés, précisément, cette année?

En plus des fonctions actuelles de la T-Touch Solar, nous en avons ajouté une autre en connexion avec le téléphone portable. Avec notamment un GPS qui, par exemple, nous indique avec les aiguilles et un affichage LCD une direction à suivre. Vous vous promenez en forêt et vous ne savez plus comment retrouver votre véhicule. Un coup d’œil sur votre montre vous montre le chemin à suivre. Une autre fonction met le porteur de la montre en relation avec une station de météo fixe, une autre encore l’avertit d’un air vicié à l’intérieur de sa maison. A Baselworld 2016, nous présentons par ailleurs des chronomètres mécaniques dotés d’un spiral en silicium pour seulement 995 francs. Une telle qualité pour un prix aussi attractif, c’est une première dans l’horlogerie. Aussi attrayante et performante que soit la Solar T-Touch, elle ne constitue pas l’essentiel de nos ventes.

Comment cela?

Depuis 1999, cela fait dix-sept années que nous vendons des T-Touch. Mais ces dernières ne représentent finalement que 5% – à peine 200 000 pièces – des plus de 4 millions de montres que nous produisons annuellement. 

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Simon Dawson Bloomberg
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