Enquête. Coup de projecteur sur les couples politiques que forment les présidents de parti et les présidents de groupe parlementaire. Pour le meilleur et pour le pire.
Avec le printemps vient le temps des amours, celui qui voit de nouveaux couples se former. Jusqu’en politique puisque, cet avril, pas moins de trois partis gouvernementaux vont voir les chefs de leur groupe parlementaire unir leur destinée à de nouveaux présidents. Aucune surprise en vue: l’UDC comme les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens ne disposent que d’un seul prétendant. Seuls les socialistes gardent leur président, Christian Levrat, qui, depuis décembre, s’est vu flanqué d’un nouveau chef de groupe en la personne du Vaudois Roger Nordmann.
Tous ces néoduos se révéleront-ils bien assortis? Quelles sont les recettes d’une bonne collaboration à la tête d’un parti, les rôles à jouer pour chacun? Enfin, quels furent les couples de rêve de la politique suisse ces dernières décennies, ou ceux qui ne surent pas s’entendre? Florilège de lunes de miel et de lunes de fiel.
Mariage forcé, le duo Levrat-Nordmann n’a pas commencé sous les meilleurs augures. Le président fribourgeois n’avait pas caché qu’il aurait préféré une femme alémanique plutôt que deux Romands aux commandes et donc, forcément, des régions du pays qui se sentiront peu représentées. Ce qu’il n’avait pas dit, mais que d’autres soufflent: les deux hommes veulent toujours avoir raison. Or, la bête alpha, c’est Christian Levrat. Enfin, et cela dépasse les deux individus: un reste de concurrence subsiste entre Vaudois et Fribourgeois depuis la course au Conseil fédéral de Pierre-Yves Maillard et d’Alain Berset remportée par ce dernier.
Quant au bouillonnant Roger Nordmann, saura-t-il rassembler son groupe? Reculer d’un pas pour mettre les autres en valeur, notamment dans les médias, lui qui a commencé par bousculer quelques anciens dans l’attribution des sièges dans les commissions? Questions ouvertes. Mais l’homme sait cons-truire des majorités avec les autres partis, il l’a prouvé dans la politique énergétique.
A l’autre bout de l’échiquier politique, le jeu se révèle bien plus simple. Le futur président de l’UDC, Albert Rösli, personnalité conciliante s’il en est, a d’ores et déjà assuré qu’il suivrait fidèlement la ligne dure tracée par le seul vrai chef du parti: Christoph Blocher. Comme le président du groupe Adrian Amstutz. Comme tous ceux qui veulent pouvoir exercer la moindre fonction clé au sein de cette formation politique.
Au PLR, pas de bête alpha à l’horizon. Le couple qui sera composé du président du groupe Ignazio Cassis et de la Schwytzoise Petra Gössi à la présidence du parti ne devrait pas faire de vagues. Si peu que, sous la Coupole, on craint que la conseillère nationale guère médiatique – rares sont ceux qui la connaissaient avant qu’elle lance sa candidature – n’ait sous-estimé la fonction, chronophage et terriblement exposée. En revanche, l’ex-médecin tessinois semble désormais assez bien placé pour pouvoir envisager, quand il se rase le matin, devenir un jour conseiller fédéral.
Tout autre se présente la situation de Filippo Lombardi. Chef du groupe PDC depuis l’an dernier, il n’y fait pas l’unanimité. S’il a instauré une plus grande culture de dialogue lors des séances, on lui reproche des retards, des absences. «Il roule pour lui», estime une collègue de parti. On s’interroge surtout sur le couple qualifié «d’improbable» qu’il formera avec le futur chef de parti, Gerhard Pfister. Ce dernier, réputé colérique, conservateur, très à droite et très individualiste, saura-t-il jouer en équipe? La confiance pourra-t-elle s’établir entre ces deux hommes? Un doute passe.
Les recettes du bonheur
La confiance, précisément, est essentielle pour que le binôme chef de parti et chef de groupe fonctionne bien. Peu importe la couleur politique, tous encensent ce critère. L’UDC Adrian Amstutz, comme le PDC Christophe Darbellay, qui précise: «Une confiance absolue.» Il y a parfois plus si entente, quelque chose qu’on ne commande pas, d’un peu mystérieux, et que le président actuel de l’UDC, Toni Brunner, appelle «la chimie qui s’installe entre deux personnes», celle qui fait qu’on se retrouve avec plaisir à Berne et qu’on n’afflige pas l’autre de réprimandes s’il s’avance un peu trop dans la presse. «Il faut savoir se montrer généreux, parce qu’on doit souvent réagir dans l’immédiat, sans avoir forcément le temps de se consulter avant de répondre aux médias.»
Autre critère d’importance pour la paix des ménages: une claire répartition des rôles. Le président incarne le parti à l’extérieur, envers la population, les médias et la base du parti. Et c’est à lui, stratège en chef, «qu’il incombe de penser à moyen et long terme», comme l’explique Franz Steinegger qui présida le Parti radical suisse durant douze ans, jusqu’en 2001. Le chef de groupe, lui, se charge surtout des dossiers actuels sous la Coupole fédérale.
Mais les personnalités de chacun inversent parfois les rôles. «Chez les Verts alémaniques, le chef de groupe Balthasar Glättli se révèle bien plus visible dans les médias que la présidente Regula Rytz, plus réservée», relève le politologue Claude Longchamp. Outre la conduite des dossiers et la répartition des sièges en commission, le chef de groupe doit rassembler, se glisser dans un rôle qu’on attribuait traditionnellement à la mère: responsable au foyer, sévère ou consolatrice. Adrian Amstutz opte plutôt pour la métaphore sportive: il se voit comme un motivateur, un coach qui saurait aussi bien gronder que rassurer ou réconforter.
La socialiste Ursula Mauch (mère de la maire de Zurich, Corine Mauch) présida le groupe durant huit ans, jusqu’en 1995, tandis que le très provocateur Peter Bodenmann dirigeait le parti. Elle a souvent dû ramener la paix quand les parlementaires apprenaient dans la presse les vues du Valaisan qui avait tendance à décider tout seul. Elle sourit: «Peter me disait qu’il était chargé du «Grob» (ndlr: les gros titres, les provocations et le lancement d’idées).
On l’aura compris. Il est bon de se compléter, dans le rôle, le tempérament et, idéalement, dans la représentation des régions et sensibilités linguistiques. Dans ce sens, l’homme frondeur de la Gruyère, Christian Levrat, et la femme consensuelle de la ville de Berne, Ursula Wyss (cheffe de groupe jusqu’en 2013), formaient une bonne paire.
Les modèles et les autres
Une fois posés ces quelques critères, quels furent les duos qui ont marqué la politique suisse ces dernières décennies? Parmi ceux qui s’imposent en modèles, Franz Steinegger et Pascal Couchepin, présidents respectivement du parti et du groupe parlementaire, arrivent spontanément en tête quand on interroge acteurs et observateurs au Palais fédéral. Ce couple de rêve a œuvré de 1989 à 1996.
Franz Steinegger se souvient d’«une complicité qui allait de soi et ne nécessitait pas d’incessantes consultations pour tomber d’accord». Et d’une liberté vécue par chacun dans l’expression de ses convictions. «Pascal Couchepin était plus europhile que moi, par exemple, nous n’en faisions pas mystère. En communication, nous nous complétions: il était le visage du parti en Suisse romande et moi en Suisse alémanique.» D’autres attribuent l’efficacité et l’entente de ces deux fortes personnalités à leurs expériences communes: celles de la montagne et d’un radicalisme aguerri dans des cantons à forte majorité PDC.
Autre pas de deux réussi au PLR, celui de Philipp Müller et de Gabi Huber. Le président et maître plâtrier au verbe carré a irrité les fins esprits du parti mais affiché une image populaire qui lui manquait. Son antithèse, Gabi Huber, sévère gardienne de la discipline, a réussi à resserrer les rangs au sein du groupe parlementaire et à forger des alliances avec d’autres partis. Hyperfiable, hypersolide sur les dossiers et, rarissime en politique, absolument indifférente à son image dans les médias, elle opposait aux journalistes qui osaient l’approcher dans les couloirs du Palais fédéral un fort sec: «Vous avez pris rendez-vous?»
A l’opposé, on a vécu quelquefois des couples d’enfer, dont celui qui unit si mal le chef de groupe Samuel Schmid et le président du parti Ueli Maurer. Ces deux-là incarnaient la déchirure entre l’aile bernoise, ouverte au monde et à l’Europe, et l’aile zurichoise, nationaliste, anti-européenne, anti-intellectuelle. Max Friedli, ex-secrétaire général de l’UDC, se souvient d’un «Samuel Schmid qui a beaucoup souffert, notamment du style agressif des Zurichois». Le duo ne durera pas. A peine deux ans. Mais, quand le Bernois sera élu au Conseil fédéral contre l’avis de son parti, le duel continuera. Ueli Maurer ne cessa de l’humilier en le traitant, notamment, de «demi-conseiller fédéral».
Les épreuves qui forgent les couples
Ceux qui ont vécu de belles années en couple éprouvent de la peine au moment de la séparation. Christophe Darbellay et Urs Schwaller par exemple, respectivement président et chef de groupe, ont dû commencer par s’apprivoiser. Le jeune loup valaisan et l’ancien homme d’exécutif blanchi sous le harnais y sont parvenus. Sans être copains comme cochons, ils ont vécu dès lors en harmonie. «J’ai adoré travailler avec lui, dit Christophe Darbellay. Le jour où il a quitté la présidence du groupe, c’était dur. J’aurais aimé qu’on parte ensemble», regrette-t-il.
D’autant plus qu’ensemble ils ont réussi un sacré coup: l’éjection de Christoph Blocher du Conseil fédéral, événement historique réussi grâce à leur alliance avec la gauche et quelques radicaux progressistes. Réussir un tel coup, savoir garder un tel secret, une épreuve qui forge un couple.
Un autre coup reste gravé dans les mémoires: l’épopée en Mercedes rouge de Peter Bodenmann et de son secrétaire général André Daguet après la non-élection de Christiane Brunner au Conseil fédéral. Les deux hommes traversèrent le pays pour convaincre Ruth Dreifuss de se porter candidate et l’homme élu, Francis Matthey, de refuser la fonction. C’était en 1993, des milliers de femmes rugissaient leur colère sur la place Fédérale. Le Parlement, tremblant, finit par élire une femme, Ruth Dreifuss, au Conseil fédéral.
Ménage à trois
Ce coup-là montre d’ailleurs l’importance du troisième homme qui, jusqu’au milieu des années 90, jouait un rôle non seulement essentiel mais également public: celui du (ou de la) secrétaire général(e) du parti.
On attribue d’ailleurs au plus célèbre d’entre eux, le PDC Martin Rosenberg, l’idée de la formule magique de 1959. Mais nul besoin de remonter aussi loin dans le temps pour trouver des personnages influents. Au PDC, on se souvient de grandes figures comme Hans Peter Fagagnini ou Iwan Rickenbacher. Puis Raymond Loretan, lui qui lança le premier l’idée de la fusion entre les radicaux et les démocrates-chrétiens. A l’UDC, le Biennois Max Friedli œuvra de 1979 à 1994 et coacha le très médiatique président Adolf Ogi jusqu’à son élection au Conseil fédéral. Christian Kauter, au PLR, et André Daguet, au PS, jouaient aussi sur le devant de la scène.
Aujourd’hui, en revanche, on connaît à peine les noms des secrétaires généraux, souvent jeunes et qui se succèdent rapidement. Pourquoi ce changement? Explications d’Iwan Rickenbacher: «A notre époque, nous étions souvent les seuls professionnels de la politique. Au PDC, notre présidente, Eva Segmüller, venait assez rarement à Berne en dehors des sessions.» Max Friedli ajoute: «C’est nous qui défendions la ligne du parti dans les médias et dirigions les campagnes de votation et leur contenu politique.»
Depuis, présidents de parti et chefs de groupe sont devenus des politiciens professionnels eux aussi. Et des people. Tout spécialement les présidents. Les médias s’adressent de préférence à eux plutôt qu’aux parlementaires spécialistes des dossiers.
Leur omniprésence et leur omnicompétence supposée ont donc rejeté dans l’ombre les secrétaires généraux, qui s’occupent de la gestion des affaires internes et des campagnes de votations et d’élections.
Cela dit, leur rôle garde toute son importance. «La fonction de secrétaire général est sans doute la plus sous-estimée qui soit», souligne Christian Levrat, qui discute chaque jour avec Flavia Wasserfallen, qui occupe ce poste au PS. Mais il arrive aussi que ce couple-là pose problème. En juin 1997, la secrétaire générale du PS, Barbara Haering Binder, ne put cacher son immense déception le jour de l’élection de la Zurichoise Ursula Koch à la présidence du parti. Elle quitta d’ailleurs son poste assez rapidement.
Mais revenons à l’actualité printanière. Parmi les nouveaux couples qui se formeront en avril, une seule chose est sûre: ils n’iront pas à gauche. Avec Gerhard Pfister à la tête du PDC et Petra Gössi au PLR, on poursuit sur le virage à droite abordé lors des élections fédérales de l’automne passé.