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La Genevoise Christine Nagel, nouveau nez d’Hermès

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Jeudi, 24 Mars, 2016 - 05:46

Portrait. A la découverte d’une parfumeuse qui a des odeurs plein la tête, à l’occasion de sa première création pour la célèbre maison française.

Eau de Cartier, Miss Dior Chérie, ou encore Sì pour Giorgio Armani, The One pour Dolce & Gabbana, Angel Le Lys pour Thierry Mugler, Mille & Une Roses pour Lancôme: voici quelques-unes des créations de Christine Nagel. A 55 ans, cette Suissesse est devenue le nouveau nez de la maison Hermès. Elle signe Eau de rhubarbe écarlate, son premier parfum dans la gamme Les Colognes, mis en vente ces jours – début avril en Suisse – en même temps qu’Eau de néroli doré, fragrance de Jean-Claude Ellena, le maître auquel elle vient de succéder.

Les deux flacons sont jumeaux dans leur forme, mais l’un est rouge, l’autre jaune. Les parfums, très différents, sont unisexes. Le premier se révèle frais et pimpant, le deuxième subtil et enivrant. Quelle est donc la recette d’un parfum à succès? Christine Nagel n’hésite pas: «Il n’y en a pas. Le parfum est de l’ordre de l’intime. Il touche, émeut et fait vibrer quelque chose qui n’est pas quantifiable. Personne ne peut dire à l’avance si un parfum sera une réussite et deviendra un classique.»

Une Genevoise à Paris

Née à Genève, Christine Nagel y a vécu les trente-sept premières années de son existence. «J’ai glissé le long des quais sur mes rollers, navigué par petit temps sur le lac Léman et dégusté de filets de perche. Mais, si j’ai perdu mon accent, je dis encore septante et nonante.» Après des études de chimie organique à la Faculté des sciences de Genève, c’est chez Firmenich que la Genevoise apprend à synthétiser de nouvelles molécules odorantes et découvre le monde des parfums en croisant le chemin d’Alberto Morillas, lauréat du Prix international du parfum. «Lorsque je l’ai vu faire sentir des parfums et vu le plaisir immense que cela suscitait dans le regard des gens, j’ai su que le métier de parfumeur était fait pour moi.»

Elle se lance alors dans des études de chromatographie, ce qui lui permet de séparer et de reconnaître les différentes molécules d’un parfum à l’aide de son nez, un travail «technique et précis». Cette mère de trois enfants ne cessera alors d’apprendre et d’œuvrer pour acquérir les bases ainsi que la technique du métier. «Je n’ai plus compté mes efforts et mon temps. J’ai eu la chance de me former chez les meilleurs et je dois beaucoup à la Suisse. L’odorat est un sens qui se travaille assidûment, et lorsqu’il se développe on découvre une dimension supplémentaire: la vie est plus colorée.»

C’est chez Créations aromatiques, devenu Symrise, qu’elle compose ses premiers parfums, sous la bienveillance de Michel Almairac. En 1997, elle part s’installer à Paris pour rejoindre Quest, qui appartient aujourd’hui à Givaudan. Elle rencontre alors le monde de créateurs et de nombreuses maisons, des clients pour qui il s’agit de concevoir des fragrances. Elle entre en compétition avec d’autres parfumeurs. Ses atouts? Dix-sept ans de technique, mais la même fraîcheur et la même énergie qu’une personne qui débute dans le métier.

«Pendant des années, j’ai été rigoureuse, volontaire et consciencieuse dans mon apprentissage. Cette maîtrise de la technique m’autorise une immense liberté créative aujourd’hui.» Sans compter ce petit supplément d’âme qu’apporte le fait d’être encore et toujours une étrangère à Paris. «Je suis profondément Suisse. Ce n’est pas un handicap, juste une différence.»

Palette de molécules

Christine Nagel, à l’image d’un peintre, aime parler de palette lorsqu’elle évoque les matières premières qu’elle utilise pour ses compositions, soit des molécules naturelles ou de synthèse. «Un parfum, c’est parfois 50% de matières naturelles, parfois 100%, il n’y a pas de règle. Les molécules de synthèse donnent des teintes, des vibrations et un volume que l’on ne trouve pas dans la nature. La très belle synthèse peut être fascinante. Elle permet de sublimer la nature.» De fait, sa palette est assez «courte». Le nouveau nez d’Hermès travaille trois à quatre cents molécules différentes, alors que les autres parfumeurs en comptent jusqu’à mille cinq cents.

«Ce choix restreint de matières premières est une gageure qui permet plus d’originalité. Mais je ne m’interdis rien. Si je découvre des propositions étonnantes, j’effectue des essais.» Et du côté de la maison Hermès, on est prêt à la suivre. «Si je souhaite utiliser une fleur particulière qui ne pousse qu’au bout du monde, je peux le faire et aller là où d’autres ne peuvent pas.» A cette liberté s’ajoute l’absence de tests auprès des consommateurs, une pratique courante dans d’autres entreprises, pour adapter le produit aux consommateurs, ce qui bride la créativité des parfumeurs.

La Genevoise raconte la genèse d’une création. «Toute démarche artistique débute par une émotion. D’ailleurs, presque tout peut devenir un prétexte et se transformer en parfum: les couleurs chatoyantes d’un sari au détour d’une rue, une toile de maître, une rencontre ou une plante improbable.» Les voyages sont une grande source d’inspiration. Si Christine Nagel décide de travailler avec des fleurs de thé, elle ira les sentir sur place, «à l’endroit le plus authentique».

Pour sa dernière création, elle a cherché «quelque chose de nouveau, d’audacieux et d’insolent. J’aime l’odeur de la rhubarbe: amère, fraîche et croquante qui devient souple, tendre et sensuelle lorsqu’elle est cuite. Cette plante, qui se fait passer pour un fruit, a deux facettes. J’avais envie de les mettre toutes deux dans mon parfum, dont la tête est fraîche, vive et énergique.»

Sa peau comme outil

Il a fallu pas moins d’un an pour créer Eau de rhubarbe écarlate, un temps moyen. La gestation de certaines fragrances peut prendre trois mois ou même trois ans. D’innombrables essais sont nécessaires avant d’arriver à une formule aboutie. Sa journée commence devant un ordinateur. Avec toutes les odeurs qu’elle a en tête, Christine Nagel imagine une formule, qu’elle écrit. Elle pense à des ingrédients et à des quantités. C’est Richard, son assistant depuis quinze ans, qui réalise alors les mélanges.

Si un parfumeur a un peu d’expérience, le résultat est proche de la composition imaginée. La parfumeuse les sent, les analyse, les essaie. «Chaque parcelle de ma peau est un outil de travail. Une de mes tâches est de comprendre comment les fragrances se développent.» Le soir, elle pulvérise encore un essai dans sa voiture. «Le matin, lorsque je monte dans mon véhicule, j’observe ce qui se passe. Je reste seule avec l’odeur une petite vingtaine de minutes, le temps d’arriver à mon bureau, à Pantin. Le nez frais, je sens alors les fonds d’autres essais. Une formule n’est pas que de l’instinct. C’est beaucoup d’intellect et de réflexion.»

Aujourd’hui, le rêve de Christine Nagel est de continuer à exercer «le plus beau métier du monde. Toucher des inconnus avec une odeur est un privilège qu’ont peu de gens. Lorsque je sens un de mes parfums sur une personne, j’en suis heureuse. C’est un bout de mon âme qu’elle porte sur elle.»

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Benoit Teillet
Philippe Jarrigeon
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