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Walter Thurnherr, le «Napoléon» du Conseil fédéral

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Jeudi, 24 Mars, 2016 - 05:52

Portrait. Intervenant lors des séances du gouvernement, le nouveau chancelier a décidé de réinventer sa fonction, marchant sur les traces des Karl Huber et Walter Buser.

Il l’avait promis juré, Walter Thurnherr. Il ne serait pas le «huitième conseiller fédéral». Trois mois après sa nomination au poste de chancelier par l’Assemblée fédérale, il l’est déjà devenu. Il décline tout rendez-vous avec les journalistes avant les cent premiers jours de son entrée en fonction, soit avant la mi-avril. Il s’applique ainsi une période de carême médiatique valable en principe pour les nouveaux conseillers fédéraux. Un détail peut-être, mais on ne peut plus révélateur!

Les trois derniers chanceliers, François Couchepin (PLR), Annemarie Huber-Hotz (PLR) et Corina Casanova (PDC) avaient tous arboré profil bas, très bas même. Rupture totale de style avec Walter Thurnherr, qui a été appelé à donner son avis dès la première séance de janvier du collège. Tous les témoignages concordent: cet Argovien de 52 ans jouera un rôle beaucoup moins effacé que ses prédécesseurs.

Ainsi, c’est à lui que l’on a pensé pour piloter un groupe de travail informel devant trouver un compromis dans un dossier qui a déchiré récemment le Conseil fédéral: les exportations d’armes au Moyen-Orient, en direction de l’Arabie saoudite – partie prenante d’un conflit au Yémen – et du Pakistan notamment. Voici un an, le gouvernement a décrété un moratoire, sur lequel le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) propose de revenir. Johann Schneider-Ammann veut passer en force, mais plusieurs conseillers fédéraux, dont le chef des Affaires étrangères, Didier Burkhalter, freinent ses ardeurs une première fois.

Marque de confiance

Le 17 février, nouveau bras de fer entre les deux ministres PLR. Le chef de l’Economie revient à la charge avec un projet à peine modifié. Tout le monde s’attend à ce que Doris Leuthard, anciennement en charge de ce département, fasse la différence en sa faveur, mais elle recule. Pour dire «oui», il faudrait modifier l’ordonnance sur le matériel de guerre qui interdit toute exportation d’armes vers des régions en guerre. Plutôt que d’être désavoué lors d’un vote, Johann Schneider-Ammann préfère retirer son projet. Même si la Chancellerie dément la création d’un groupe de travail, plusieurs sources confirment à L’Hebdo l’existence d’une structure informelle avec à sa tête Walter Thurnherr, sur qui l’on compte bel et bien pour concilier intérêts économiques et tradition humanitaire de la Suisse. «C’est clairement une marque de confiance envers le nouveau chancelier», estime un observateur.

Chambres unanimes

Ceux qui connaissent Walter Thurnherr depuis longtemps ne sont pas surpris. «Brillant, énergique, constructif.» De gauche à droite de l’échiquier politique, des socialistes à l’UDC, il a fait l’unanimité le 9 décembre dernier, au point d’être plébiscité par l’Assemblée fédérale sur un score soviétique: 230 voix sur 245 possibles. Lors des auditions qui ont précédé, ce PDC proche de Doris Leuthard – ils sont tous deux nés dans le Freiamt argovien – a bluffé même les socialistes, très frustrés de devoir choisir entre Guy Parmelin, Thomas Aeschi ou Norman Gobbi pour succéder à Eveline Widmer-Schlumpf.

«Peut-on aussi voter pour vous pour le poste de conseiller fédéral?» lui demande Beat Jans (PS/BS). Beau compliment venant d’un parti qui aurait eu un candidat naturel – le vice-chancelier André Simonazzi – à proposer. «Walter Thurnherr a été impressionnant lors de ce hearing. Il apporte une maîtrise parfaite des dossiers alliée à une volonté de faire avancer la Suisse», résume le conseiller national bâlois.

Pour Walter Thurnherr, il y aura désormais un avant et un après 9 décembre. Jusqu’à cette date, l’Argovien avait joué les éminences grises. Ce physicien de formation ayant bifurqué dans la diplomatie à l’âge de 25 ans a toujours évolué dans les coulisses du pouvoir. Après quelques missions en Russie et dans les anciennes républiques soviétiques, il rentre à Berne et dirige coup sur coup le cabinet de trois départements différents: les Affaires étrangères (DFAE), l’Economie (DEFR) et les infrastructures (DETEC), cela au service des conseillers fédéraux Flavio Cotti, Joseph Deiss et Doris Leut­hard. Une trajectoire unique soulignée par le président sortant du PDC, Christophe Darbellay: «C’est un des meilleurs connaisseurs de l’administration, d’une polyvalence rare.»

Au fil du temps, Walter Thurnherr s’est constitué un réseau très dense, «sans se faire d’ennemis», précise un observateur. Au point que certains disent qu’il n’est pas étranger à la réélection de Joseph Deiss – face à sa collègue de parti Ruth Metzler – lorsque l’UDC a fait élire Christoph Blocher au détriment du PDC en 2003. Plus tard, lorsqu’il passe au service de Doris Leut­hard, il constitue une dream team avec la cheffe du DETEC. Elle devant, lui derrière. Elle dans la lumière, lui dans l’ombre, mais toujours présent. Son style de conduite séduit. Au bureau dès l’aurore, vers 6 h du matin, il travaille beaucoup, mais reste accessible. Il laisse la porte de son bureau ouverte, plaisante parfois avec ses collaborateurs et sait déléguer.

De l’antichambre, il est passé dans l’antre du pouvoir après son élection. Le voilà tout à droite sur la photo du Conseil fédéral, juste à côté de Guy Parmelin qui le dépasse d’une tête. Sa petite taille lui vaut ce surnom de «Napoléon» dont on l’affuble parfois, mais pas seulement. C’est un homme de pouvoir, indéniablement. Et, désormais, il évolue au cœur même de ce pouvoir, avec voix consultative.

Si Walter Thurnherr a prévu de marquer les cent jours de son entrée en fonction, c’est qu’il veut donner une nouvelle visibilité à la Chancellerie. Deux hommes ont marqué l’histoire récente de cette institution plus vieille que la Suisse moderne: Karl Huber (PDC, 1967-1981) et Walter Buser (PS, 1981-1991). Le premier incite le Conseil fédéral à se doter d’un programme de législature et seconde si bien Kurt Furgler qu’on dit que la Suisse était alors dirigée par ces deux hommes. Le deuxième, expert en droit constitutionnel, est devenu l’unique consultant juridique du Conseil fédéral. Nul doute que Walter Thurnherr s’apprête à marcher sur leurs traces.

Etonnamment, la présence plus marquée du chancelier dans les débats du gouvernement suscite peu de critiques. Rares sont ceux qui le trouvent «envahissant», voire «manipulateur» dans les départements fédéraux. «Il ne prend la parole que lorsqu’on la lui donne. Il sait ne pas sortir de son cadre», entend-on le plus souvent. Grâce à son expérience de quinze ans comme chef de cabinet, il lui arrive d’être la mémoire du Conseil fédéral, capable de déceler d’éventuelles incohérences dans la politique suivie. Contrairement à Annemarie Huber-Hotz qui organisait des séances avec les conseillers fédéraux de droite uniquement, il prend soin de ne pas politiser sa fonction, préférant jouer un rôle de pont pour harmoniser les positions.

Mises à l’épreuve

Si les critiques positives dominent largement jusqu’ici, Walter Thurnherr doit encore confirmer son bon départ. Le chancelier dispose d’une certaine marge de manœuvre dans la loi sur les droits politiques, l’une des rares à ne jamais avoir été amendée. Or, justement, la Suisse est de plus en plus paralysée par l’adoption d’initiatives populaires dont l’UDC populiste s’est faite la championne. «Il est important que la Chancellerie, qui a le pouvoir de contrôler une initiative sur la forme avant que commence la récolte des signatures, se montre plus courageuse au moment de l’invalider ou non», souligne Christophe Darbellay.

Autre thème délicat qui mettra Walter Thurnherr à l’épreuve: le sauvetage du Forum politique de la Käfigturm à Berne. Dans le cadre d’un programme d’économies, la Chancellerie – sous Corina Casanova encore – a décidé la fermeture de ce précieux outil d’instruction civique qui accueille 300 classes d’école et 30 000 visiteurs chaque année. Lors des hearings, Walter Thurnherr a souhaité son maintien, à condition que la ville et le canton de Berne participent à son budget annuel d’un million de francs. «Il se dit ouvert, mais ne fait rien concrètement», accuse Walter Stüdeli, à la tête d’un comité de sauvetage qui a lancé une pétition ayant déjà recueilli 4500 signatures.

La fermeture définitive du Forum politique ternirait beaucoup l’image de «constructeur de ponts» et de «rassembleur» que le nouveau chancelier tient tant à se donner.

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