Mathilde Farine
Interview. Saadia Zahidi, responsa ble des études sur les questions de genre au Forum économique mondial, parle de l’importance d’intégrer les femmes à des postes clés, tant en politique que dans l’économie. Et donne des pistes pour faciliter la réduction de l’écart entre les sexes.
Quel est votre point de vue sur les quotas en général? S’agit-il d’un outil que vous recommandez?
Les quotas sont utilisés dans différents pays. Ils suscitent généralement des réactions négatives, parce qu’ils sont souvent présentés de façon trop carrée, trop artificielle, les femmes peuvent avoir l’impression de ne pas être choisies pour leurs propres mérites. Mais il faut se rappeler une chose: certaines expériences ont été tout à fait concluantes.
Lesquelles?
Prenez la Grande-Bretagne où les autorités ont décidé que si les entreprises n’atteignaient pas 25% de femmes dans les conseils d’administration, des quotas leur seraient imposés. La menace a parfaitement fonctionné. En Norvège, les sociétés ont eu huit ans pour s’adapter aux quotas. Et au Danemark, dans les années 1970, les listes électorales devaient compter un pourcentage minimum de femmes pour être prises en considération. Cela a tellement bien marché qu’ils ont été retirés dans les années 1990: la transformation s’était opérée dans la société. Il faut penser à des processus sophistiqués de mise en place des quotas.
Quels moyens recommandez-vous pour améliorer la situation, notamment dans l’économie?
Il y a trois niveaux à prendre en compte. Le premier, le facteur central, reste celui des politiques choisies. Quelle que soit l’entreprise concernée, si l’environnement du pays où elle évolue ne fait pas assez pour assurer des solutions de gardes d’enfants, ne tient pas compte d’un congé maternité, il est difficile d’employer davantage de femmes. La femme reste perçue comme le caregiver principal, où que vous vous trouviez. Les Etats doivent donc les aider.
Ensuite, les entreprises aussi peuvent participer à la réduction de l’écart, en mettant en place des politiques générales, pas seulement occasionnelles, pour intégrer les femmes. Par exemple, en s’assurant qu’il y a suffisamment de femmes pour prendre des successions, qu’il y a une identification des talents, des facteurs de motivation, une vérification des écarts de salaires, etc.
Enfin, les individus peuvent aussi jouer un rôle. C’est à eux, ou elles, de savoir comment leurs compétences, leur expertise pourront être nécessaires et comment elles peuvent s’adapter dans un monde où la disruption est omniprésente.
Pourquoi ce travail est-il important?
Pour de nombreuses raisons, mais surtout pour des raisons d’équité et d’égalité. Dans 100 pays, on dénombre plus de femmes sortant des universités. Elles amènent des talents dans l’économie, c’est normal qu’elles y soient intégrées. Il y a également un raisonnement économique: plus de mixité amène de meilleures décisions et améliore les marges des entreprises. Et quand la base de consommateurs est féminine, il y a aussi une logique à compter des femmes à la direction.
Le dernier rapport du WEF sur les disparités de genres, publié l’automne dernier, montre quelques améliorations. Atteindra-t-on une égalité parfaite?
Nous avons traqué les progrès durant dix ans, ce qui est un temps incroyablement long, sans voir d’améliorations spectaculaires. Il reste d’importants progrès à faire dans le domaine économique. L’implication dans la politique a également peu changé. Je suis néanmoins optimiste car une petite évolution dans les chiffres signifie déjà des changements dans la vie de millions de femmes qui font désormais partie des processus de décision et obtiennent des salaires plus égaux. Mais ce n’est pas suffisant pour combler l’écart entre hommes et femmes.
Quels pays pourriez-vous citer en exemple?
Tout dépend du niveau de revenu et de développement. Les pays nordiques sont les mieux classés. Cela ne s’explique pas simplement par le fait qu’ils sont parmi les plus riches. L’égalité des sexes a toujours été un des objectifs de leur processus de développement. Et ce bien avant tout le monde. Pour une raison simple: ils ont réalisé tôt que leur ressource principale venait d’une petite population. Il fallait donc que les hommes et les femmes puissent équilibrer leur vie professionnelle et privée.
Dans les pays à revenu moins élevé, les Philippines s’en sortent bien. Elles ont réalisé un travail remarquable pour combler l’écart dans le domaine de la santé et de l’éducation afin d’atteindre l’égalité parfaite. Là aussi, l’inclusion des femmes a été une partie essentielle de leur stratégie de développement.
Et où voyez-vous persister les problèmes les plus criants?
Au Japon, par exemple, les femmes disposent de diplômes solides mais elles sont très peu intégrées dans la vie économique. De même, les pays du Moyen-Orient ont beau avoir des revenus élevés, l’écart reste déplorable. Pourtant, la réduction de la dépendance aux revenus du pétrole pourrait être facilitée par une meilleure intégration des femmes. Ces talents sous-utilisés pourraient aider l’économie à se développer. D’autres pays, comme l’Inde, le Pakistan ou le Yémen, sont mauvais dans toutes les catégories.
Certains secteurs sont-ils meilleurs que d’autres?
De manière générale, la société civile, l’éducation, la santé, la grande distribution emploient davantage de femmes. Cela dit, lorsque l’on parle de postes à responsabilités, tous les secteurs s’en tirent mal.