Interview. Le professeur Helmut Zander explique comment l’époque moderne a revisité la croyance en la réincarnation.
Le professeur allemand Helmut Zander, spécialiste de l’histoire comparée des religions, est également un fin connaisseur des mouvements ésotériques en Occident.
Comment expliquez-vous cet intérêt croissant pour la réincarnation?
La réincarnation s’accommode fort bien de notre époque moderne. Proche de la nature dans son déroulement, elle semble réaliste. Par ailleurs, elle est aisément associée au progrès, idée phare de la modernité, bien davantage que la résurrection. La réincarnation suppose aussi une autorédemption. Nous sommes responsables de notre vie et donc capables de nous délivrer nous-mêmes des maux que nous avons créés par notre comportement. Enfin, pour bon nombre de personnes, elle a les habits de la nouveauté. Elle n’est pas liée à l’histoire du christianisme avec ses zones d’ombre que sont par exemple les croisades ou l’Inquisition.
Y a-t-il deux visions très différentes de la réincarnation, l’une orientale, l’autre occidentale?
Avant l’époque moderne, le cycle des réincarnations est considéré comme une punition. Le bouddhiste cherche à s’en défaire pour reconnaître que son ego est une illusion. Il n’a pas à être sauvé. Cette vision prévaut également dans la tradition occidentale jusqu’à l’époque médiévale, notamment chez les cathares. Elle change radicalement à l’époque moderne. La réincarnation devient une chance, une possibilité de progresser dans l’évolution de l’homme. Le mot lui-même de «réincarnation», inventé au XIXe siècle, vient de la tradition chrétienne qui place l’«incarnation» au centre de la condition humaine. Auparavant, le terme utilisé était celui de métempsychose.
Quels sont les courants qui ont réhabilité l’idée de réincarnation?
Au XVIIe siècle déjà, par exemple, le mouvement des Illuminés défend l’idée d’une réincarnation personnelle. Mais c’est surtout au XIXe que cette croyance est remise au goût du jour avec l’émergence du spiritisme dont l’une des deux branches est favorable à la réincarnation. Elle est inspirée par Allan Kardec, pédagogue français qui a été disciple de l’éducateur et penseur suisse Johann Heinrich Pestalozzi. Ensuite, le mouvement de théosophie, avec notamment Helena Blavatsky (1831-1891) et le philosophe Rudolf Steiner (1861-1925) en Suisse, contribue largement à populariser ce courant de pensée.
La réincarnation est-elle aujourd’hui encore liée au karma, au cycle des causes et des conséquences?
Sans aucun doute. Le karma signifie notamment que nous sommes autonomes, libres et responsables, avec toutes les conséquences que cela peut impliquer. Nous sommes aussi responsables de nos maladies, voire des violences dont nous sommes victimes. Aux Etats-Unis, une petite frange du judaïsme va jusqu’à dire que les juifs exterminés dans les camps nazis ont subi les effets de leurs actes.
Réincarnation et résurrection des corps sont-elles deux notions irréconciliables?
Théoriquement, dans la tradition juive et chrétienne, l’homme ressuscite dans sa globalité. Jésus est ressuscité dans son corps, non pas comme une âme. Or l’existence d’une âme indépendante quittant le corps et y revenant est une condition sine qua non de la réincarnation. Il y a donc une séparation très nette entre ces deux approches. Par ailleurs, dans le christianisme, l’homme n’est pas responsable de toutes les conséquences de ses manquements. Ses actes passés ne le poursuivent pas de manière quasi mathématique d’une existence à l’autre comme c’est le cas dans la réincarnation. La grâce peut lui offrir une vie nouvelle, faisant table rase d’événements antérieurs.
Comment, dans l’histoire, les hommes s’arrangent-ils avec cette antinomie?
Dans l’Antiquité tardive, plusieurs générations de philosophes platoniciens devenus chrétiens ont abandonné l’idée de la réincarnation chère à Platon. A l’opposé, aujourd’hui, la Communauté des chrétiens fondée par l’anthroposophe Rudolf Steiner considère que chacun est responsable de sa vie dans les réincarnations.
Profil
Helmut Zander
Né en 1957 à Oberaussem, près de Cologne (Allemagne), il est professeur d’histoire comparée des religions à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg depuis 2011. Il est aussi membre de la Société suisse pour la science des religions.