LOGITECH. Réduction des coûts, des effectifs et des activités, l’entreprise américano-suisse multiplie les restructurations et mise sur sa capacité d’innover pour redynamiser sa croissance. Rencontre avec son président.
Le son clair et surpuissant emplit la pièce. Au centre, une colonne à peine plus grande qu’une canette de soda tout de rouge vêtue. Commandée par smartphone, tablette ou baladeur audio, l’enceinte portable de Logitech, UE Boom, est un concentré de technologie qui devrait faire un carton cet été, selon les analystes. L’heure du renouveau aurait-elle enfin sonné pour l’ancien leader mondial des périphériques pour PC en pleine cure d’amaigrissement? «C’est une certitude, nous sommes sur la bonne voie», assure son président, Guerrino De Luca, rencontré il y a quelques jours sur le site de l’EPFL, dans une salle du Daniel Borel Innovation Center – du nom du cofondateur de l’entreprise. Celui qui fut, durant dix ans, à la tête du fabricant américano-suisse de souris revient sur cette période agitée, qui a vu la suppression d’environ 8% de ses effectifs, et détaille la nouvelle stratégie de l’entreprise.
Trois restructurations en quatre ans, quel programme! Ces mesures sont-elles suffisantes pour relancer Logitech?
Le succès n’est jamais acquis, en particulier dans le secteur des nouvelles technologies. Mais nous sommes confiants, le redressement a commencé. Nous nous sommes en effet dotés de moyens et d’une taille plus adaptés aux perspectives financières de notre plan d’action. Et, élément fondamental dans toute réorganisation en profondeur, nous pouvons compter sur des employés et des cadres confiants et motivés.
Comment avez-vous vécu ces dernières années, vous qui avez mené la société à ses sommets boursiers par le passé?
Ce fut difficile de voir cette machine de guerre, dotée d’un ADN qui se mariait parfaitement à un monde en croissance, se gripper. Evidemment, on est toujours plus intelligent après. Mais il faut reconnaître que nous avons fait des erreurs, comme privilégier l’optimisation des processus au moment où nous aurions dû nous recentrer sur notre corps de métier, à savoir l’innovation et le développement. Nous en avons tiré les leçons, même si cela a pris plus de temps qu’attendu. Réduire notre structure de coûts, redéfinir nos priorités et redimensionner nos ressources étaient indispensables pour bâtir une nouvelle stratégie de croissance et redéployer nos capacités à développer de bons produits. L’engagement de Bracken Darrell au poste de CEO a participé de cette réinitialisation de Logitech. C’est un véritable leader de la transformation qui a su engager une nouvelle dynamique et obtenir l’adhésion des collaborateurs.
Des annonces contradictoires ont cependant émaillé les discours du management depuis l’été dernier, comme la vente annulée des télécommandes Harmony. Ce ne sont pas vraiment des signes encourageants…
Nous vivons sans doute la période la plus importante de l’histoire de Logitech, fondée en 1981 à Apples (VD), et aussi la plus délicate. Certaines décisions doivent parfois être réévaluées lorsque l’environnement change. Il faut savoir faire preuve de souplesse, comme dans le cas de notre division Harmony. Nos derniers produits (Harmony Ultimate et Harmony Smart Control) ont largement dépassé nos attentes depuis leur lancement en avril dernier. Nous avons donc estimé que c’était du meilleur intérêt pour nos actionnaires de conserver cette division, pour l’instant.
Logitech a toujours su profiter de sa qualité de valeur anticyclique. Mais le titre a plongé de près de 80% depuis son plus haut de 2007. Que s’est-il passé?
D’abord, la crise financière a caché des problèmes plus fondamentaux. A commencer par un marché du PC non pas en ralentissement mais en récession. Et malgré nos compétences à imaginer de bons produits, ceux-ci s’adressaient à un univers en déclin. Ensuite, la dynamique du portefeuille de consommation a été bouleversée. Si l’usage de l’internet n’a pas vraiment changé, les moyens d’y accéder se sont en revanche multipliés avec l’arrivée des smartphones et des tablettes. Nous n’avons pas imaginé que ce changement aurait un impact aussi important sur le marché du PC traditionnel.
Certes, nous sommes arrivés en retard dans le secteur des produits mobiles, comme cela nous a été reproché. Mais nous avons surtout raté l’occasion d’appliquer nos capacités d’innovation et notre savoir-faire technologique à ce nouveau monde de la mobilité. Dans un premier temps, du moins. Chaque produit correctement ciblé que nous avons depuis mis sur le marché, à l’exemple du clavier-couverture ultrafin pour iPad, est en effet rapidement devenu l’accessoire numéro un de sa catégorie dans le monde, car le plus vendu.
Le marché du PC ne va pas repartir, mais il ne disparaîtra pas non plus. Nous devons donc maintenir une rentabilité raisonnable du côté des périphériques PC, tout en déployant, petit à petit, les accessoires destinés à l’informatique mobile. C’est la gestion de ce subtil équilibre qui nous permettra de retrouver une position anticyclique.
Vous misez sur l’informatique mobile, mais c’est un secteur dans lequel le cycle de vie des produits s’est considérablement raccourci. Comment s’adapter à un rythme en constante accélération?
Les compétences nécessaires à l’univers PC sont en effet très différentes de celles requises par le secteur de la mobilité, dont la caractéristique principale est la vitesse de rotation des produits. Nous avons dû opérer un certain nombre de changements et d’adaptations afin d’accélérer la disponibilité de nos accessoires sur le marché. Nous sommes ainsi passés de treize mois à trois semaines de développement en ce qui concerne les claviers pour tablettes, par exemple. A contrario, cette vitesse de rotation a un avantage, celui de nécessiter moins de stocks. Ce sont donc autant de coûts en moins.
Les analystes qualifient néanmoins votre plan d’ambitieux, notamment parce que la plupart de vos produits phares n’ont pas fait état de croissance dernièrement. Vos accessoires pour tablettes ne génèrent que 6% de vos revenus nets contre 80% encore pour les périphériques PC...
Nous n’avons pas le même horizon temps. Notre business model n’est pas orienté sur le long terme, mais couvre la période 2013-2016. Pour cet exercice, nous avons prévu de dégager un chiffre d’affaires de 2 milliards de dollars pour un résultat opérationnel de 50 millions de dollars. 2015 sera une année charnière avant le retour à la croissance en 2016. Et c’est sur ces chiffres que nous voulons être jugés par la communauté financière.
Le fait de verser des dividendes alors que vous avez essuyé des pertes (228 millions de dollars sur l’exercice 2012-2013) a également été critiqué, les analystes estimant que le modèle d’affaires d’une société technologique est de privilégier les dépenses d’investissement.
Les pertes de l’exercice 2012-2013 étaient de nature comptable et non pas opérationnelle. Elles ne diminuent en rien notre disponibilité de cash. Ayant précisé cela, la réaction est négative, car tout ce que fait Logitech est maintenant analysé sous l’angle de la déception. Pourtant, la grande majorité des sociétés techno versent des dividendes à leurs actionnaires. Sur l’exercice 2011-2012, nous disposions d’un excès de liquidités que nous avons décidé de redistribuer en partie aux actionnaires. Avec 300 millions de dollars en cash, nous allons refaire cette proposition à l’occasion de notre assemblée générale en septembre prochain, car nous croyons que c’est dans l’intérêt des actionnaires. Cette politique n’entrave en rien nos dépenses d’investissement qui représentent 5% de notre chiffre d’affaires depuis des années.
Entre euphorie et drame, les titres techno sont très souvent l’objet de réactions extrêmes du marché. Avez-vous une explication sur cet amour-haine?
Ces réactions sont certes excessives, mais rationnelles. La vitesse d’évolution des technologies est telle que nombre de sociétés n’arrivent pas à rebondir et finissent par disparaître. Parfois, il faut presque mourir avant de renaître, comme Apple dans les années 90. Pour Logitech, le problème ne se pose pas en termes de survie. Non seulement nous détenons des liquidités, n’avons aucune dette et disposons d’une ligne de crédit de 250 millions de dollars, mais les technologies sont les mêmes. Aujourd’hui, nous devons simplement, entre guillemets, adapter notre savoir-faire acquis dans le monde du PC à celui des produits mobiles. C’est une tâche nettement moins dramatique que de devoir faire face à une technologique vieillissante et à réinventer, comme c’est le cas de Microsoft actuellement.
Votre capitalisation boursière fait de vous une proie facile d’un groupe comme la marque à la pomme…
Une société publique est toujours une cible. Nous sommes en effet bon marché actuellement. Mais je ne vois pas quel groupe pourrait ajouter une valeur significative à son business model en nous rachetant.