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Suisse-Chine: l’empire des bons sentiments

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Jeudi, 4 Juillet, 2013 - 05:57

LIBRE-ECHANGE. La signature historique d’un accord, le 6 juillet prochain à Pékin, parachève une relation amicale qui dure depuis soixante ans. Retour sur des décennies d’efforts diplomatiques.

A Berne, ce printemps, la surprise est divine. Soudain, le tout nouveau gouvernement chinois en place montre de l’empressement à conclure les négociations d’un accord de libre-échange avec la Suisse. Tandis que le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) tente d’arracher d’ultimes concessions, le ministre des Affaires étrangères Didier Burkhalter effectue une visite éclair de dix-huit heures à Pékin le 25 avril. Lorsque tout est sous toit en mai déjà, le premier ministre Li Keqiang gratifie la Suisse de sa première visite en Occident.

En cette fin de semaine, le ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann signera donc un beau succès de politique économique extérieure pour la Suisse, fruit de décennies d’efforts diplomatiques. Il apposera son paraphe sur les trois versions du texte – en anglais, français et chinois. Un document de 80 à 90 pages pour l’accord principal, mais d’au total un millier de pages si l’on inclut les accords connexes et les annexes! Un précieux sésame pour s’ouvrir encore davantage les portes du plus grand marché du monde: 1,3 milliard de consommateurs, dont 100 à 300 millions qui composent désormais la classe moyenne de la Chine.

«Cet accord est le fruit d’une longue relation amicale entre nos deux pays», souligne Christian Etter, le chef de la délégation helvétique au Seco.

Plusieurs dates jalonnent cette étonnante complicité, malgré les énormes différences culturelles et politiques. Tout commence bien sûr par la reconnaissance très rapide de la République populaire de Chine par la Suisse en 1950. Peu après, en 1954, le premier ministre d’alors Zhou Enlai assiste à la Conférence de Genève sur l’Indochine et pose, en marge de l’événement, au côté de Charlie Chaplin: un cliché resté célèbre.

Le rôle pionnier de Schindler. Mais les relations économiques ne démarrent qu’en 1980, alors que la Chine est au bord du précipice économiquement parlant. L’empire communiste parie sur une ouverture très contrôlée et fait de Schindler la première entreprise étrangère à pouvoir s’y implanter. «Nous avons d’abord été invités à visiter le pays, puis à développer un projet de collaboration», se souvient Uli Sigg, à l’époque cadre supérieur chez le fabricant d’ascenseurs.

Schindler esquisse un modèle de joint-venture dans lequel elle investit 4 millions de dollars et intègre dans son projet deux usines chinoises déjà existantes de 1000 employés chacune.

Uli Sigg, devenu par la suite ambassadeur de Suisse en Chine, puis collectionneur d’art, est l’un des premiers à déceler l’immense potentiel de ce marché. «A l’époque, personne ne croyait encore à l’avenir de la Chine, qui n’était pas prise au sérieux. De plus, de nombreux investisseurs étrangers craignaient que leurs produits ne soient copiés. J’ai eu autant de mal à convaincre mon propre conseil d’administration que les Chinois», témoigne-t-il.

Dans un passé plus récent, en 2007, la Suisse marque un point décisif en reconnaissant la Chine comme une économie de marché. Un geste symbolique très fort, d’autant plus que l’Union européenne s’y refuse toujours. «De la part de la Suisse, c’était la reconnaissance des profondes transformations qu’a subies cette économie, même si celle-ci reste très dirigée par l’Etat, toujours très interventionniste dans les domaines qu’il juge stratégiques», note Gérald Béroud, fondateur de SinOptic, une entreprise lausannoise qui anime une plateforme d’études sur les relations sino-suisses.

La Chine a beau afficher des taux de croissance qui feraient pâlir d’envie l’Europe, elle n’en reste pas moins un géant aux pieds d’argile. Elle a d’urgents défis à relever devant elle: le vieillissement de la population, le renchérissement des coûts de production, la lutte contre la pollution, pour n’en citer que trois. Afin d’y parvenir, elle est condamnée à maintenir une croissance d’au minimum 8% par année.

La Suisse, un des rares pays à avoir résisté à la crise financière mondiale de 2008, intéresse donc beaucoup l’Empire du Milieu. Non seulement par sa position de leader mondial en matière d’innovation, mais aussi par le génie organisationnel, par exemple sa faculté à créer des ponts entre les hautes écoles et le monde du travail. «La Chine ne veut plus être que l’atelier du monde, mais surtout devenir son laboratoire de recherche», souligne Gérald Béroud.

Blaise Godet, ancien ambassadeur de Suisse en Chine aujourd’hui consultant, corrobore l’analyse. «Les Chinois savent que la Suisse n’est pas seulement Heidi, mais high-tech, qu’elle est un pays pointu dans les nouvelles technologies.»

Tête de pont européenne. De plus, mais cela elle ne l’avouera jamais, la Chine veut utiliser la Suisse comme tête de pont pour pénétrer le marché européen dans un second temps. Entre elle et l’UE, le climat est on ne peut plus tendu, il est celui d’une guerre économique loin de respecter l’esprit de l’OMC. Ulcérée par ce qu’elle dénonce comme des «prix de dumping», l’UE a frappé les importations de panneaux solaires chinois d’une surtaxe de 47%! La Chine a riposté en pénalisant les vins européens, qui viennent surtout de France. Après s’être rendu en Suisse, Li Keqiang a encore fait un saut en Allemagne, un pays de l’UE qui s’est opposé aux mesures de rétorsion de l’UE. Le message était clair: messieurs les Européens, écoutez les Allemands, surtout pas les Français.

Même si on n’en est pas encore totalement sûr, car tous les détails n’en sont pas connus, l’accord de libre-échange satisfait les deux parties, malgré leur énorme différence de taille. Il abaissera par exemple de 60% les taxes douanières pour l’horlogerie suisse. «Cet accord constitue pour nous un gros progrès», affirme le président de la Fédération horlogère (FH), Jean-Daniel Pasche. La Chine est son troisième marché, elle y réalise un chiffre d’affaires de 1,6 milliard de francs (2012).

Ce que l’on sait moins, c’est que la Chine est aussi le premier fournisseur étranger des horlogers helvétiques, qui y importent notamment des composants pour 700 millions de francs. Un exemple révélateur: «La complémentarité de nos deux économies a été notre grande chance», souligne Christian Etter, au Seco.

Bien sûr, personne n’ignore que la Chine est aussi le plus grand producteur de contrefaçons de montres suisses. Chaque année, on y saisit de 500 000 à 600 000 breloques, toujours sur l’intervention de la FH. Par son chapitre sur la propriété intellectuelle, l’accord de libre-échange, de même que le memorandum of understanding qu’il a permis de signer spécifiquement dans l’horlogerie, permettra une meilleure protection du label Swiss made.

Décidément, le climat entre la Chine et la Suisse semble au beau fixe. Difficile à croire pour ceux qui ont vécu la colère du président Jiang Zemin, très irrité par une manifestation de Tibétains en face du Palais fédéral lors de sa visite en 1999. Un incident vite oublié, apparemment.

Droits humains. Il n’en demeure pas moins que les ONG, dont la Déclaration de Berne et Alliance Sud, n’ont guère goûté la conclusion si rapide de cet accord sans que l’on sache si et comment il aborde la question des droits humains dans son préambule. Elles ont déposé une pétition – munie de 23 000 signatures – et demandent notamment que l’entrée en vigueur de cet accord soit liée à la fermeture des camps de travail forcé où croupissent, selon elles, «entre 3 et 5 millions de prisonniers, notamment politiques».

Les droits humains figurent expressément dans le préambule de l’accord, affirme-t-on au DFAE. Tout le monde sait que la Chine doit encore accomplir de gros progrès sur ce plan. Mais elle est sur la bonne voie. Lors de sa visite éclair du 25 avril à Pékin, Didier Burkhalter a obtenu une relance du dialogue sur ce sujet. Il s’y rendra de nouveau durant le second semestre de l’année.

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Peter Klaunzer, Keystone
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