Décryptage. Née sur les cendres de la révolution des parapluies, une mouvance radicale veut libérer la cité portuaire du joug de la Chine. Par la force s’il le faut. Début février, elle a mis un quartier populaire à feu et à sang.
Ce jour-là, il faisait une chaleur étouffante sur le tournage. «Deux acteurs sont allés se baigner dans la rivière, et ils se sont noyés», se souvient Yeung-tat Wong, un cinéaste hongkongais qui travaillait à l’époque en Chine. Il apprend, choqué, que les familles des victimes n’ont touché que 4000 dollars. «Je me suis rendu compte que c’était le prix d’une vie en Chine, alors j’ai quitté mon emploi et je suis retourné vivre à Hong Kong.» Mais peu à peu cet homme de 37 ans voit sa ville natale changer.
La métamorphose commence en 2003, avec l’introduction d’un visa de touriste simplifié pour relancer l’économie locale après l’épidémie de SRAS. Les voyageurs chinois arrivent en masse. Tout comme les petits trafiquants, qui revendent les biens achetés à Hong Kong de l’autre côté de la frontière. «Les magasins et les restaurants de quartier ont été remplacés par des bijouteries et des boutiques de luxe», dénonce Yeung-tat Wong, le regard dur derrière ses grosses lunettes blanches. Les Chinois sont accusés de submerger les métros et de faire exploser le prix de l’immobilier en achetant des appartements.
Au même moment, Pékin durcit son emprise sur Hong Kong en introduisant une loi antisubversion, en refusant de lui octroyer le suffrage universel et en imposant un curriculum scolaire inspiré de celui de la Chine.
En 2012, Yeung-tat Wong en a assez et crée Civic Passion, une organisation qui se bat pour préserver la culture hongkongaise. D’autres groupuscules voient le jour, comme Hong Kong Localism, Youngspiration et, en 2015, Hong Kong Indigenous, un mouvement cofondé par Edward Leung, un étudiant en philosophie de 24 ans qui a fait ses armes lors de la révolution des parapluies de 2014. Tous se réfèrent à un ouvrage, On the Hong Kong City-State, publié en 2011 par Horace Chin Wan-kan, un ethnologue hongkongais considéré comme le parrain du mouvement localiste.
Les revendications de cette mouvance sont un pot-pourri de causes ultralocales ainsi que de grandes idées révolutionnaires. Elle veut doter Hong Kong d’une usine de désalinisation, pour ne plus dépendre de la Chine. Elle s’oppose à une ligne de train rapide qui relierait Canton à Hong Kong, ainsi qu’à un projet de pont entre la Chine et Macao, qui passerait par la cité portuaire. Elle dénonce l’usage du mandarin dans les écoles plutôt que le cantonais. Et elle réclame l’indépendance.
«Nous voulons un référendum d’autodétermination, détaille Edward Leung, assis entre un vélo et une pile d’habits dans le bâtiment industriel qui sert de quartier général à Hong Kong Indigenous. Nos parents ont raté l’ultimatum de 1997 pour nous libérer du joug des Chinois, nous ne devons pas commettre la même erreur.» Horace Chin Wan-kan appelle à créer une «confédération chinoise incluant Hong Kong, Macao, Taïwan et le Tibet». Il dit avoir été inspiré par les modèles allemand et suisse, lors d’un séjour doctoral à l’Université de Göttingen, dans le land de Basse-Saxe. Et, fin mars, un nouveau parti réclamant l’indépendance, le Hong Kong National Party, a vu le jour.
Tentation populiste
Mais derrière ces belles paroles se cache une tentation populiste. «Le mouvement localiste évoque à bien des égards les partis d’extrême droite européens, note Chor-yung Cheung, politologue à la City University de Hong Kong. Ils veulent défendre leur territoire contre les immigrés chinois, se sentent culturellement supérieurs à ces derniers et s’opposent à la mondialisation.» Les dérapages ne sont jamais loin, comme cette manifestation localiste organisée en 2015 pour exiger la déportation d’un sans-papiers chinois de 12 ans.
Cet aspect sulfureux se retrouve également dans les tactiques déployées par le mouvement. Début 2015, Hong Kong Indigenous a organisé plusieurs manifestations contre les touristes chinois qui ont dégénéré en violents clashs avec la police. Le 8 février, durant la nuit du nouvel an chinois, une centaine de localistes ont jeté des briques et mis le feu à des voitures dans le quartier populaire de Mong Kok pour protester contre des inspecteurs venus contrôler les vendeurs de rue. Près de 130 personnes ont été blessées et 74 arrêtées, dont Edward Leung.
«J’ai participé à la révolution des parapluies en tant que militant pacifiste, mais nous n’avons rien obtenu, explique ce jeune politicien aux airs de Harry Potter, qui vient de briguer un siège au parlement de la ville, remportant 15% des voix. Désormais, je pense qu’il nous faut répondre à la violence par la violence.» Il dit trouver l’inspiration auprès du soulèvement taïwanais de 1947, qui a débouché sur la création d’un mouvement indépendantiste. «Nous devons provoquer la Chine pour qu’elle montre son vrai visage aux Hongkongais», conclut Horace Chin Wan-kan.