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La Suisse, centre du mal

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Jeudi, 5 Décembre, 2013 - 05:57

Evasion fiscale.L’économiste français Gabriel Zucman charge les banques helvétiques. Une attaque en règle que réfute l’avocat Philippe Kenel.

Si Gabriel Zucman n’était pas professeur à la London School of Economics (LSE), son livre* ne mériterait pas que l’on s’y attarde. En effet, les thèses qui y sont développées n’ont rien de nouveau. Cependant, il est important de dénoncer cet ouvrage car il légitime, sous la plume d’un professeur universitaire de qui on est en droit d’attendre rigueur et honnêteté intellectuelle, deux a priori plus dignes des pubs londoniens que de la LSE.

Dès la première page, Zucman déclare s’attaquer aux paradis fiscaux en omettant de définir ce concept et surtout en mettant sur un pied d’égalité les Etats permettant à des personnes de soustraire illégalement de l’argent à leur fisc national et ceux permettant à des multinationales de faire de la planification fiscale légale.

 

Cette manière de procéder, qui s’inscrit dans la même ligne que celle de certains politiciens français qui veulent mettre au même niveau l’acte illégal qui consiste à ne pas déclarer son argent au fisc et l’acte légal qui consiste à décider de changer de domicile, est non seulement malhonnête intellectuellement, mais des plus dangereuses dans la mesure où elle nie l’existence même de l’Etat de droit.

Les règles légales peuvent évidemment être changées. Mais ne plus faire la distinction entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas ouvre la porte à la légitimisation de tous les actes illégaux, puisque de toute manière la frontière du droit n’est plus reconnue.

En second lieu, l’auteur, qui consacre plus d’une dizaine de pages à l’histoire du secret bancaire suisse, omet le fait que, depuis plus d’une vingtaine d’années, les banques suisses ont l’obligation de connaître le bénéficiaire économique d’un compte, peu importe qu’il soit détenu directement ou indirectement.

Cette omission volontaire permet à Zucman d’écrire: «Les comptes numérotés sont aujourd’hui interdits par la législation anti-blanchiment. Ils ont été remplacés par les trusts, les fondations, et les sociétés écrans […] Dans un cas comme dans l’autre, le véritable propriétaire reste indétectable.»

S’il est vrai que, dans certains pays anglo-saxons, les banques ne s’intéressent pas au réel bénéficiaire économique des structures, tel n’est absolument pas le cas en Suisse. Il n’existe pas, dans notre pays, de comptes dont les banques ne connaissent pas le bénéficiaire économique.

Cette «erreur» n’est pas neutre dans la mesure où il s’agit de la prémisse qui permet à l’auteur d’écrire qu’«il ne faut toutefois pas exagérer la concurrence que ces derniers [les autres paradis fiscaux] font subir à la Suisse» et qu’«opposer la Suisse aux nouvelles places d’Asie et des Caraïbes n’a pas grand sens». Le seul vrai et méchant Etat, c’est la Suisse!

Dans son dernier ouvrage, L’identité malheureuse, Alain Finkielkraut cite ces propos de Charles Péguy: «Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est le plus difficile, voir ce que l’on voit.» Et Finkielkraut ajoute: «Ce [ceux qui ne voient pas] ne sont ni des idiots ni des méchants mais des hommes et des femmes de bonne volonté qui ont besoin de croire que la scélératesse a une seule adresse.» Ces propos s’appliquent parfaitement à la manière de penser de Zucman et d’autres pour qui la Suisse est le mal absolu qui ne doit sa réussite qu’à son secret bancaire. Il est intellectuellement, voire peut-être même psychologiquement, impossible pour eux de voir que la Suisse a tourné la page de son secret bancaire. Le voir, ce serait en effet remettre en cause un certain nombre de présupposés idéologiques, ce qui va au-delà de ce qui est possible pour eux.

* «La richesse cachée des nations – Enquête sur les paradis fiscaux».
Editions du Seuil et La République des idées.


Philippe Kenel

 

Avocat à Genève, Lausanne et Bruxelles et blogueur de L’Hebdo, il défend l’adoption par la Suisse de l’échange automatique de renseignements fiscaux depuis 2010.

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