Récit. Power, karma ou encore vinyasa, il existe toutes sortes de yogas. Dont l’«orgasmic yoga», enseigné à Zurich et qui le sera dès cet été à Fribourg. «L’Hebdo» a testé, en primeur.
Il fait beau ce mardi du mois d’avril. La gare de Zurich est une fourmilière. Pressés d’arriver au but, les voyageurs marchent vite. Sauf moi. «J’y vais ou j’y vais pas?» Cela fait quatre jours que je me pose cette question. Depuis que le Zurichois Didi Liebold, sexological bodyworker de son état, m’a décrit le déroulement d’un workshop d’orgasmic yoga. Occupée depuis une semaine à lui assurer mon honnêteté journalistique pour faire un reportage sur la chose, j’ai oublié de lui demander les détails. Tous les détails.
Le cofondateur de l’International Institute for Sexological Bodywork (IISB) rappelle enfin, énumère le programme et conclut: «On peut se sentir un peu démuni lorsque son voisin gémit de plaisir en se masturbant et que soi-même on n’y arrive pas.» Silence à l’autre bout du fil. Comment dit-on dans la langue de Goethe «Zut, alors je dois réfléchir»? Réfléchir et observer les réactions des uns et des autres. A voir la petite lumière qui s’allume dans les regards aux mots orgasmic yoga et l’avalanche de questions qui l’accompagne, il y aura des lecteurs. «J’y vais!» Et puis il y a ceux qui trouvent les organes génitaux moches et se disent dégoûtés par un tel spectacle et ne liront pas. «C’est vrai ça! Alors j’y vais pas.»
Mardi matin, la curiosité l’emporte. L’adresse, différente de celle qui figure sur le site internet de l’IISB, parvient par e-mail. Elle est accompagnée d’une liste d’accessoires à prendre avec soi: un morceau de tissu de 160 sur 200 cm, un grand linge de 90 sur 200 cm pour le sauna, un autre de 80 sur 100 cm, un longhi, des habits confortables, des articles personnels pour l’hygiène, des plumes d’autruche, une petite peau, de l’huile de noix de coco, de sésame ou de jojoba pressée à froid et du lubrifiant.
Mazette, une séance d’orgasmic yoga, ça ne s’improvise pas. Branle-bas de combat et fouille des placards. Pour les linges et l’huile, c’est OK. Mais pour les plumes? Celles d’une vieille coiffe d’Indien feront peut-être l’affaire. Vert, jaune, orange, violet, quelle couleur choisir? Va pour deux plumes fuchsia. Et tant pis pour le reste.
La route est longue jusqu’au lieu du cours. Le numéro 38 de la rue-qui-doit-rester-secrète, enfin. Le bâtiment abrite un jardin d’enfants. Etonnement et vérification de l’adresse. C’est bien là. Sur la droite du bâtiment, un escalier semble conduire quelque part. Un chat se frotte langoureusement au barreau. Un signe peut-être? Les marches donnent accès à un chemin qui contourne la maison. Au bout de ce dernier, une porte grise, entrebâillée. Sur une des sonnettes, une inscription, sobre: «Kurszentrum».
Trois heures pour soi
Longue chevelure grise et silhouette élancée, Aditi accueille chaleureusement les participants, qu’elle tutoie d’emblée, à la mode alémanique. Sur son T-shirt, une grande inscription, «Be extatic». Ça, on verra. Sur la grande table, de l’eau, des pommes et des fruits secs. L’ambiance est agréable et les orgasmic yogis présents semblent sympathiques. La salle de cours est grande, les fenêtres immenses et le vestiaire, un couloir exigu caché par des paravents, est mixte.
Alors que je suis affairée à passer un épais pantalon de training et un très ample T-shirt ras le cou, le plus loin possible de tous les autres, un homme, nu, genre beau et très abonné à un fitness, me tend la main. «Hoï, ich bi dä Gino!» A leur rythme, les participants prennent place autour de la table. Certains sont en marcel et training léger, d’autres n’ont qu’un paréo autour de la taille, comme s’ils allaient à la plage. Malaise: j’ai dû mal interpréter les consignes vestimentaires. Première constatation: l’orgasmic yoga est une activité plutôt très masculine. Neuf hommes et deux autres femmes, de la vingtaine à la cinquantaine, s’apprêtent à suivre le workshop de trois heures. A présent, un silence embarrassant occupe toute la place. Aditi invite le groupe à rejoindre la salle.
Des coussins de méditation sont placés en cercle, une bougie brûle au centre. Vite, une place à côté d’un pilier, ça fera un voisin de moins. Mauvaise pioche, presque invisibles, deux chauffages à infrarouge d’une puissance insoupçonnée y sont fixés. A moi le sauna. Chacun installe son grand linge et s’assied à genoux ou les jambes croisées devant soi. Certains ont le ventre très rond, rien sous leur paréo, mais semblent très à l’aise. Ambiance. Aditi fait un tour du groupe pour demander à chacun de se présenter et de dire comment il se sent. Quelques-uns sont novices et nerveux, d’autres disent être très curieux de ce qui va se passer, d’autres encore, en paréo, participent régulièrement aux séances d’orgasmic yoga et se réjouissent beaucoup.
L’homme au corps d’Apollon confie n’être pas encore assez détendu pour oublier sa vie professionnelle, l’espace de quelques heures. Aditi rappelle qu’à tout moment il est possible de quitter le workshop si l’on se sent mal à l’aise et que chacun est libre de positionner sa tête au centre ou à l’extérieur du cercle. Elle distribue encore deux feuilles d’essuie-tout à chacun. Mon jeune voisin s’étonne. «Mais cela peut t’arriver aussi…» glisse-t-elle, malicieuse.
Elle baisse les stores, lance la première musique et, de sa voix douce, commence à guider les participants qui sont assis sur une natte recouverte de leur linge pour le sauna. Elle rappelle les trois maîtres-mots: respiration, voix et mouvement. Elle recommande de fermer les yeux, mais précise qu’il n’est pas interdit de les ouvrir brièvement pour regarder faire les autres et s’inspirer.
Plaisir pas si solitaire
L’échauffement, le vrai, peut débuter. Il s’agit de bouger lentement son corps, d’essayer de le sentir, de secouer légèrement les bras, les jambes. Certains se lèvent et agitent tout leur corps. Aditi, qui montre l’exemple, recommande de chasser toutes les pensées négatives de son esprit en faisant de grands gestes. Les participants se meuvent au rythme de la musique. Certains accompagnent leurs mouvements par des expirations bruyantes ou des grognements.
Deuxième phase: un morceau classique. Il s’agit de se laisser inspirer et de bouger tout son corps. Les chorégraphies des uns et des autres n’ont rien de celles du Lac des cygnes mais, après tout, il s’agit de lâcher prise et de sentir son corps en mouvement et d’effleurer différentes parties de son anatomie au gré de son humeur. Un peu trop secoués, quelques paréos en profitent pour amorcer une descente vertigineuse, sans l’ombre d’une gêne pour leur propriétaire. Certains tombent le marcel et se caressent tout en dansant. Divers exercices de respiration suivent, sur une autre musique, plus rythmée. Puis Aditi demande de se concentrer sur son bassin et ses hanches en exécutant des mouvements langoureux et en travaillant sa respiration.
Deux heures ont passé à la vitesse de l’éclair. Une pause silencieuse suit: les uns vont boire, les autres grignotent quelques fruits secs ou s’éclipsent aux toilettes. Les choses sérieuses peuvent commencer. Couchés sur leur natte, les participants se détendent, s’étirent et écoutent la voix d’Aditi qui les bercent. Lorsque je me réveille, j’ai raté un épisode: tout le monde est nu. Certains ont étalé leur grand morceau d’étoffe pour créer leur pré carré. D’autres ont dégainé leur huile ou leur lubrifiant et s’en enduisent les zones érogènes. Sueurs froides et question brûlante: et maintenant, je fais quoi? Aditi demande aux participants de sentir leur corps, de commencer à se donner du plaisir en devenant leur propre amant.
Un homme dans la cinquantaine a visiblement anticipé ses instructions et s’occupe de lui-même avec l’ardeur d’un amoureux transi, les jambes écartées, le sexe entre ses mains. Il n’arrête pas de recommencer. Le lapin Duracell est en lui. Certains ont des gestes plus maladroits, d’autres sont à mille lieues de toute pudeur et Aditi s’occupe d’elle-même en poussant des gémissements plus ou moins sonores. Avant de partir pour le nirvana, elle a eu la délicatesse de déposer une plume d’autruche, une petite fourrure et un paréo à portée de main de la journaliste. Nue sous un paréo, ça compte aussi, non?
À en perdre haleine
Dans la salle, quelques éléments masculins s’en donnent à cœur joie. Leurs efforts semblent presque naturels, peut-être un peu lassants à observer au bout d’un moment. A l’invitation de la sexological bodyworker, certains se sont mis debout et laissent libre cours à leur organe vocal et à son cousin du bas, le frottant à perdre haleine. Une jeune femme, qui ressemble aux nanas de Niki de Saint Phalle, ondule sur sa natte, les mains entre ses jambes. Elle semble s’être envolée pour une autre planète. Sacrés Zurichois, ils sont moins coincés et plus jouisseurs qu’il n’y paraît. Je fais un peu de figuration, la plume d’autruche entre les mains. Pour le lâcher-prise, il faudra repasser.
L’heure tourne et Aditi invite l’assemblée à retrouver peu à peu son calme et à se rhabiller tout en tendant à chaque participant un peu de lotion désinfectante. Elle demande à ceux qui le désirent d’exprimer ce qu’ils ont vécu durant ces trois heures. Beaucoup sont en train d’atterrir, parlent d’un moment exceptionnel et de la formidable énergie qui les habite. Elle m’habite aussi, étrangement. Les participants se changent, se parlent gaiement et repartent dans la nuit, leur sac de sport sous le bras.