Zoom. Après l’Allemagne et la France, Fribourg lance un concours de lecture publique. Vertus de l’oral.
«Un frisson la parcourut, malgré la chaleur du soleil estival...» Maxime, de Granges-de-Vesin, aime le suspense. Il a choisi un extrait de Traquenard sur la plage. Mais en ce mercredi d’avril, dans la vaste salle de la Bibliothèque d’Avry-sur-Matran, le frisson pour lui est ailleurs: trois minutes de lecture à haute voix, debout face au public, c’est une aventure. Sur les quatre participants à cette première manche de Lecture académie, il est le seul garçon à avoir osé.
C’est Candice, de Saint-Aubin, qui a gagné, ce jour-là, la place en finale, à Fribourg le 11 juin. Mais tous les enfants auront goûté, dans une ambiance bienveillante, à l’expérience forte de la lecture à haute voix: celle où, tout à coup, les mots ont un corps, et c’est le vôtre. Celle dont on sort, comme dit Candice, «moins timide qu’avant».
Un concours de lecture à haute voix: riche idée. Les bibliothécaires fribourgeoises qui l’ont lancée l’an dernier espèrent qu’elle contaminera la Suisse romande. En Suisse alémanique, elle démarre timidement, alors qu’en Allemagne, elle s’ancre dans une longue tradition: le concours de Lesung existe depuis 1959, avec éliminatoires dans chaque land, et grande finale à Berlin.
En 2012, la France s’y est mise, à l’initiative des acteurs du marché du livre, et l’affaire a tout de suite pris des dimensions considérables: 26 000 inscrits à l’édition 2016 des Petits champions de la lecture et des éliminatoires relayés sur YouTube. «Les Français font les choses en grand, avec une finale à la Comédie-Française en présence des auteurs dont les enfants lisent les textes, dit Claire-Lise Progin, responsable de la Bibliothèque régionale du Gibloux, à Farvagny, et créatrice du concours fribourgeois. Nous nous sommes inspirés de leur modèle, mais, ici, avec une cinquantaine d’inscrits cette année, tout se fait beaucoup plus modestement.»
«Comme une gêne»
Ce profil bas n’est pas seulement une affaire de taille de population: «Lire à haute voix, prendre la parole en public, est une prestation réputée difficile, en Suisse plus qu’en France et probablement à Fribourg plus qu’à Genève, observe Claire-Lise Progin. Il y a comme une gêne, clairement transmise par les adultes: j’ai vu des parents décourager leurs enfants qui voulaient s’inscrire au concours. C’est souvent les parents que je dois rassurer en premier…»
Vieille histoire que celle du complexe romand face à la prestation orale: à l’ombre du «bon français» scintillant de Paris, la posture du paysan taiseux continue de nous coller aux basques. «La culture de l’oralité, c’est ce qui nous manque, dit Christian Yerly, prof de lecture à la HEP de Fribourg et promoteur de littérature jeunesse. Quand je vois le culot avec lequel s’expriment les petits Américains, même quand ils n’ont rien d’intelligent à dire…»
On a trop mis l’accent sur l’écrit et la lecture silencieuse, observe encore le pédagogue. «On a négligé l’importance de l’oral, alors qu’il est primordial: oraliser, c’est traduire sa compréhension, c’est s’ouvrir à toutes les dimensions de la signification d’un texte. Voyez le succès d’un virtuose comme Fabrice Luchini: notre époque est en train de redécouvrir les vertus de l’oral!»
Tanja Schmidt, bibliothécaire à Francfort, a fait partie du jury d’un concours de Lesung en Allemagne: «La lecture orale est très valorisée chez nous: dans les bibliothèques, dans les écoles, les enfants passent beaucoup de temps à écouter des histoires lues et sont incités à parler et à lire à leur tour par toutes sortes de stratégies didactiques.»
Et ici, que fait l’école? Dans les intentions et sur le papier, elle fait tout juste: «Dans les années 80 déjà, l’enseignement renouvelé du français mettait l’accent sur l’activité langagière, observe Christian Yerly. Et le Plan d’études romand prévoit explicitement de valoriser l’oral.» Dans les faits, la parole reste, en classe, le parent pauvre: «C’est inscrit au programme, mais j’ai l’impression que les enfants n’acquièrent pas les outils pour faire le pas», déplore Chantal Rosa, responsable de la Bibliothèque d’Avry-sur-Matran.
Comme les autres participants à Lecture académie, Candice a pu suivre un atelier de lecture à haute voix organisé par le Théâtre des Osses. Même plus peur. De moins en moins peur.