Julien Calligaro
Zoom. Les vêtements imperméabilisés contaminent l’environnement et peuvent avoir des effets néfastes sur la santé. Certaines marques y ont renoncé, mais le chemin pour parvenir à une interdiction complète semble encore long.
Amateurs de paysages immaculés, les randonneurs ne se doutent pas que leur simple présence dans la nature contribue à sa détérioration. La faute à leurs vêtements, dont s’échappent des particules nocives. Selon une récente étude de Greenpeace, de très nombreux habits de plein air contiennent des produits chimiques dangereux. L’ONG a testé 40 articles de 11 marques différentes. Seuls quatre d’entre eux ne renfermaient pas de composés perfluorés (PFC), des substances hautement toxiques qui se diffusent dans l’environnement et se fixent dans les organismes vivants.
Les perfluorocarbures, ou produits perfluorés, sont des composés organiques connus pour leur propriété hydrofuge et leur capacité à repousser la saleté. L’industrie textile les utilise pour l’imperméabilisation des vêtements, en particulier l’équipement de plein air, un marché estimé à plus de 25 milliards de dollars en 2012. L’étude de Greenpeace pointe du doigt les grandes marques: Mammut, The North Face, Patagonia ou encore Arc’teryx enduisent leurs produits de ces substances.
«Les PFC ont été utilisés jusque dans les années 80 sans que l’on se soit beaucoup soucié de leur impact sur l’environnement, regrette Jacques Diezi, professeur honoraire de pharmacologie et de toxicologie à l’Université de Lausanne. Pourtant, ce sont des composés chimiques très répandus et persistants dans la nature.»
Leur persistance est telle que les scientifiques en ont retrouvé dans les endroits les plus reculés de la planète tels que les montagnes dorées de l’Altaï, en Russie, ou les monts Kaçkar, en Turquie. Le Parc national suisse compte aussi parmi les zones touchées. Selon Françoise Debons-Minarro, porte-parole biodiversité et toxiques de Greenpeace Suisse, cela n’a rien de surprenant: «Plus de 85% des micropolluants des textiles importés sont libérés lors du premier lavage et finissent dans les cours d’eau.»
Autre constat alarmant: les PFC ne sont pas seulement nuisibles pour l’environnement, ils ont aussi une incidence sur la santé. «Des études récentes indiquent qu’ils affaiblissent les réponses immunitaires et perturbent les systèmes hormonal et reproducteur», indique Jacques Diezi. Un rapport de l’OCDE datant de 2013 fait notamment état de produits perfluorés dans le foie des ours polaires et dans le sang humain. «L’organisme absorbe facilement ces éléments, poursuit le professeur. Ils peuvent y rester plusieurs années.»
Face à l’ampleur du problème, 152 pays ont signé la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, adoptée en 2001. Elle réglemente notamment l’utilisation des PFOS, une famille de PFC à chaîne longue qui s’accumulent plus facilement dans l’environnement et l’organisme. La Suisse l’a ratifiée en 2003 et a intégré l’interdiction des PFOS dans sa législation. Seules quelques exceptions sont tolérées, notamment pour l’industrie aéronautique.
Friction sur les valeurs limites
A terme, Greenpeace espère interdire l’utilisation de l’ensemble des composés perfluorés. Elle a d’ailleurs lancé en 2011 une campagne pour lutter contre les substances toxiques dans l’industrie textile. Cette opération semble trouver un écho favorable: 34 fabricants se sont publiquement engagés à renoncer à tout produit nocif d’ici à 2020. En février dernier, The North Face a également annoncé vouloir éliminer les PFC de ses vêtements.
«Le fait que ces marques puissent se passer de telles substances montre que des solutions existent bel et bien, remarque Françoise Debons-Minarro. Les équipements en polyuréthane ou en polyester peuvent parfois suffire.» Pourtant, une interdiction totale semble encore utopique: tous les perfluorocarbures ne sont pas encore répertoriés – il en existerait des centaines, voire des milliers – et les scientifiques ne s’entendent pas sur leurs valeurs limites d’exposition.
Les randonneurs ne souhaitant pas polluer peuvent, en attendant, s’appuyer sur plusieurs sources d’information: les rapports de Greenpeace sont disponibles en ligne et les organisations suisses de consommateurs effectuent régulièrement des tests dont les résultats sont accessibles sur demande. Des systèmes de contrôle et de certification pour les produits textiles aident également à y voir plus clair, à l’instar des labels Oeko-Tex ou GOTS. «Le traitement chimique des fibres textiles ne fait l’objet d’aucune obligation d’étiquetage, rappelle Laurianne Altwegg, responsable environnement pour la Fédération romande des consommateurs. Nous conseillons donc aux gens de bien se renseigner avant de se rendre en magasin.»