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Nouveaux parlementaires: ceux qui émergent, ceux qui rament

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Jeudi, 5 Décembre, 2013 - 06:00

Mi-législature.Parmi les nouveaux élus romands entrés en 2011 au Parlement fédéral, seuls deux s’imposent avec force. Inquiétant.

Catherine Bellini et Michel Guillaume

Sous son air arrondi et sa molasse vert-de-gris, le Palais fédéral cache un univers impitoyable. On fait et défait des réputations derrière de majestueuses colonnes de marbre, on fomente des coups, on réalise des alliances, on médit, on intrique, on ignore ou l’on flatte. Les larmes s’écrasent au bord des yeux, de bonheur ou de dépit. On y aime aussi, on y hait parfois. Et il arrive qu’y naissent des amitiés. Le tout sous l’œil des caméras, près de l’oreille des journalistes. De quoi rendre nerveux les nouveaux élus qui, il y a deux ans, gravissaient les marches du Palais. Pour influer sur le cours de la politique du pays et prouver à leurs électeurs que leur confiance est bien placée, ils allaient devoir apprendre le métier, prendre leurs marques, ramer, s’imposer sur un sujet, décrocher une place dans une bonne commission – la plus prestigieuse demeurant celle qu’on appelle la WAK, de son acronyme alémanique: la Commission de l’économie et des redevances.

Dures lois de la concurrence. Les parlementaires n’arrivent pas égaux sous la Coupole. La Saint-Galloise Karin Keller-Sutter (PLR), tout auréolée de sa presque accession au Conseil fédéral, a obtenu toutes les commissions qu’elle désirait. Les tenaces, les rapides et les compétents parviennent à arracher le devoir de rapporteur de commission.

Le Vaudois Jean Christophe Schwaab (PS) excelle à cet exercice, ce qui a largement contribué à sa bonne réputation. Rapporteur: du boulot, mais du prestige aussi le jour où l’on expose les arguments face au plénum. Attention: cet exercice, réservé aux meilleurs, nécessite de maîtriser la langue allemande, le A et le 0 de la réussite fédérale, encore, toujours et plus que jamais! A défaut, les malins ou les flegmatiques peuvent toujours se consoler à l’heure des questions, une institution qui permet, deux fois par session, d’adresser directement une question à un conseiller fédéral qui doit y répondre en personne.

Effort minimal, effet maximal. Mais encore faut-il que tout cela se sache. Rares sont les travailleurs de l’ombre qui, comme l’excellente Josiane Aubert (PS/VD), s’y sentent bien. Pour exister sous la Coupole, la plupart des parlementaires cherchent à exister dans les médias. Parce que, les lois du marketing s’appliquant en politique, une forte présence médiatique permet souvent de conquérir de nouvelles responsabilités. Les partis, sensibles à l’image et à l’identification qu’elle permet chez les électeurs, confient plus volontiers une campagne de votation ou un poste en vue, vice-président du parti ou chef de groupe, à une étoile montante qu’à une souris grise.

Aide-toi et le ciel t’aidera. Pour se tailler un chemin, les parlementaires doivent d’abord compter sur eux-mêmes. Ceux qui ont réussi en furent conscients dès le premier jour. Parce que, mis à part les directions de parti qui souhaitent préparer la relève, personne, au Palais, n’a terriblement intérêt à ce qu’un bleu freluquet vienne se dresser devant lui. Tout au contraire, les politiciens tiennent à leur place au soleil, ils y travaillent depuis longtemps. Alors va pour un conseil de temps à autre, mais pas question d’expliquer en long et en large la meilleure façon de lancer la motion de commission ou le coup qui permet la percée d’un dossier et assoit une réputation.

D’ailleurs, il s’agit de prendre garde aux mirages des interventions parlementaires. Même si les observateurs les comptent à l’heure des ratings. L’influence d’un politicien ne se mesure pas à la quantité d’objets déposés en son nom. Sinon, comment expliquer la carrière ma foi assez réussie d’un Alain Berset qui n’en a déposé que 25 durant ses huit ans au Parlement? Et que dire de Karin Keller-Sutter qui n’en compte que quatre à ce jour? Un parlementaire de poids nous confiait que plus le temps passait, moins il en déposait. Socialiste, il glisse plutôt son idée à un collègue du centre droit, histoire de la rendre plus susceptible de séduire une majorité.

Les surdoués et les autres. Oui, les voies pour s’imposer au Parlement s’avèrent aussi tortueuses qu’encombrées. Rien de bien surprenant dès lors que, parmi les Romands élus lors des élections fédérales de 2011 et qui entament leur troisième année de session, rares sont ceux qui se sont déjà révélés, qui influent sur les décisions, se voient souvent sollicités dans les médias et remarqués en Suisse alémanique. A ce jour, selon notre analyse et l’avis de nombreux acteurs et observateurs de la scène politique, ils ne sont que deux conseillers nationaux à y être d’ores et déjà parvenus: le PDC valaisan Yannick Buttet et le socialiste vaudois Jean Christophe Schwaab (voir ci-dessous). Quelques-uns s’avèrent solides, comme la Vaudoise Cesla Amarelle (PS). D’autres doivent confirmer des débuts prometteurs, tel Mathias Reynard (PS/VS). Mais beaucoup peinent à sortir de ce brouillard mélancolique qui flotte au bord de l’Aar. On pense aux Jurassiens Jean-Paul Gschwind (PDC) et Pierre-Alain Fridez (PS) ou à Manuel Tornare (PS) qui semble se languir de Genève.

Inquiétudes. Si les difficultés des Romands à éclore à Berne s’expliquent, elles n’en sont pas moins inquiétantes. Les dossiers à défendre prennent de l’ampleur. Aux enjeux en matière d’infrastructures routières et ferroviaires viennent se greffer le financement de la rénovation des sièges des grandes organisations internationales à Genève, mais aussi et surtout le crucial dossier de la fiscalité des entreprises, ses imbrications avec l’Union européenne et nos voisins, ses pertes de recettes, ses compensations fédérales. Le manque d’une relève très affirmée inquiète d’autant plus que les poids lourds romands se dispersent. Du trio socialiste Berset-Levrat-Steiert, le premier a grimpé au Conseil fédéral, le deuxième au Sénat et il s’en est fallu de peu pour que le troisième s’en aille au gouvernement fribourgeois. L’ex-vice-président de l’UDC Yvan Perrin? Remonté à Neuchâtel. Antonio Hodgers, chef du groupe des Verts? Retourné à Genève. Le président du PDC Christophe Darbellay? Il a annoncé qu’il serait candidat au Conseil d’Etat valaisan en 2017.

Parmi ceux qui restent, le socialiste Roger Nordmann demeure le plus écouté, dans les autres partis et en Suisse alémanique. A droite, on ne voit pas qui pourrait reprendre le flambeau des grandes figures à la Pascal Couchepin. Les PLR Christian Lüscher ou Isabelle Moret s’activent mais n’ont pas acquis jusqu’ici de poids politique au-delà de la Sarine. Bref, les nouveaux Romands ont intérêt à apprendre vite, très vite, plus vite.


Yannick buttet, démocrate-chrétien valaisan, 36 ans
Le téméraire conservateur

28 interventions, nombreuses en lien avec le Valais
«Buttet, c’est pas un bleu, c’est un noir, noir de noir.» Ces propos n’émeuvent pas le principal intéressé. Bien au contraire. Noir, catholique, conservateur, il assume parfaitement. D’autant plus qu’avec son grade de major à l’armée, sa présidence de commune et son omniprésence aux manifestations cantonales, il signe l’AOC du pur PDC valaisan. Et ce produit du terroir s’exporte ma foi fort bien dans le reste de la Suisse. Les médias s’arrachent ce type impeccable qui ne parle pas la langue de bois, s’oppose au mariage des gays ou à l’éducation sexuelle à l’école, ce débatteur musclé qui n’hésite pas à se lancer dans les sujets les plus scabreux et à parler de prostitution devant les caméras d’Infrarouge.

Comme il a bien appris l’allemand sous les drapeaux, l’émission Arena aimerait bien profiter de son franc-parler aussi. Invité par deux fois, il a dû refuser en raison d’autres engagements. Mais la prochaine fois, c’est sûr, il ira. A Berne, son côté conservateur et travailleur plaît aux UDC et pas seulement depuis qu’il a fait campagne pour leur initiative sur les familles. A la Commission de l’environnement et de l’énergie, ses positions progressistes et ses compétences en matière d’énergie renouvelable ne déplaisent pas non plus aux socialistes.

Mais sa carrure nationale, Yannick Buttet la doit à un combat au sein de sa propre famille politique, celui qu’il a mené contre la loi sur l’aménagement du territoire et les résidences secondaires, et par conséquent contre Doris Leuthard. Un crime de lèse-majesté dans un parti qui vénère sa conseillère fédérale comme une icône. Lui, courageux et même téméraire, affirme son indépendance, n’hésite pas à s’élever, même seul, contre son groupe.

Ce conservateur de granit apparaît un peu comme l’anti-Darbellay à l’insu de son plein gré.
A tant bousculer les uns et les autres, il sème l’inquiétude: que veut-il donc? Prendre le Conseil d’Etat valaisan à la barbe de son président? Entrer au Conseil des Etats? Va-t-il jusqu’à s’imaginer au Conseil fédéral, ce téméraire? Lui, il sourit: «Je n’ai pas de plan de carrière, c’est ma force.»


Jean Christophe Schwaab, socialiste vaudois, 34 ans
Le gauchiste ambitieux

28 interventions, avec une prédilection pour la protection des données et de la sphère privée
Sous ses airs bon enfant, le socialiste Jean Christophe Schwaab cache une volonté de fer, bien à gauche, qui n’a d’égale que sa capacité de travail: rapide, rigoureuse, redoutable. Il sait ce qu’il défend: la justice sociale. Il sait où il aimerait aller un jour: un exécutif, là où s’exerce le pouvoir. Alors, un dur plutôt qu’un doux? Peut-être bien. De son père, conseiller d’Etat et conseiller national souvent sous le feu de la critique, il a appris fort jeune que la politique était un panier de crabes. Piqûre de rappel il y a six ans quand, empli du désir de porter sa candidature pour le Conseil national, il se fait brutalement retoquer par ses camarades vaudois. Trop pressé, le p’tit Schwaab, trop soliste, trop médiatique, déjà qu’il a passé devant plusieurs anciens aux élections cantonales!

Belle revanche aujourd’hui que la réputation d’excellence dont il jouit sous la Coupole. «Il est fait pour ça», lancent en chœur une socialiste et un libéral-radical. Certes, le Palais, il connaissait. Il l’arpentait sous la casquette du lobbyiste pour l’Union syndicale suisse (USS). Certes, l’allemand il parlait, grâce à ses études de droit dans la capitale. Mais il y a beaucoup d’huile de méninges dans cette éclosion bernoise: des travaux ardus de rapporteur pour sa Commission des affaires juridiques. Des recherches de compromis avec les autres partis.

Le Vaudois a su profiter de sa spécialité, le droit économique, et de son accession à la présidence romande de l’Association suisse des employés de banque. Protecteur des collaborateurs des banques dont le nom pourrait être transmis aux autorités américaines, il est devenu un Romand qui pèse outre-Sarine, invité par la Neue Zürcher Zeitung à croiser le fer avec le président du PBD Martin Landolt au sujet de l’initiative Minder. Une interview qui a fait des jaloux. Un bémol? Son art oratoire déclamatoire donne de l’urticaire à plusieurs conseillers nationaux. Schwaab le sait, ce plaisir énorme qu’il éprouve à la tribune et au verbe, c’est son péché mignon.

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Béatrice Devènes 2009
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