Propos recueillis par Philipp Oehmke
Interview. L’acteur vient de terminer le tournage d’un film aux aspects critiques et subversifs, «Un hologramme pour le roi». Il dit son admiration pour Barack Obama et suggère que Hillary Clinton est la seule éligible en novembre prochain.
A Hollywood, l’acteur Tom Hanks a achevé le tournage du film Un hologramme pour le roi, tiré du roman du même nom de l’auteur américain Dave Eggers. C’est l’histoire d’Alan Clay, un manager accablé par les diverses faillites de ses entreprises. Il a perdu son emploi, son mariage n’y a pas résisté et il ne parvient plus à financer les études de sa fille. Devenu consultant, il est chargé de vendre aux Saoudiens une technologie de visioconférence par hologramme. L’œuvre souligne le caractère absurde des rapports entre les Etats-Unis et le reste du monde, le choc entre l’Occident et le monde musulman.
Alan Clay fait partie de cette classe moyenne blanche américaine qui ne cesse de s’appauvrir. Comme il ne peut plus payer les études de sa fille, elle devient serveuse. Clay paraît peut-être sympathique parce que c’est vous qui l’incarnez, mais en réalité c’est exactement le genre de type qui voterait Donald Trump.
Oui, il serait réceptif à des types comme Trump. Ou Bernie Sanders. Parce qu’il a mauvaise conscience; parce que c’est lui, lorsqu’il était manager, qui a contribué à délocaliser en Chine des fleurons de l’industrie américaine.
Trump d’un côté, le socialiste autoproclamé Sanders de l’autre: comment ressentez-vous votre pays ces jours?
Je ne me fais pas de souci une seule seconde quant au processus politique aux Etats-Unis. Je vais dissiper vos craintes typiquement européennes: les sondages ne veulent rien dire, les sondages changent tout le temps. En réalité, rien n’a vraiment d’importance avant début novembre, quand l’élection aura lieu.
Vous pariez sur Hillary Clinton?
Je suis démocrate. Donc oui. J’examine chaque candidat. Si on oublie les noms et que l’on ne considère que les CV, il y a une seule personne qui émerge, qui a surmonté les pires tempêtes, qui a beaucoup réalisé, qui connaît tout le monde, qui a travaillé à divers postes pour le gouvernement. Il faut miser sur cette personne.
Verserez-vous aussi votre obole à votre candidate?
Je fais toujours des donations aux candidats que je soutiens. Je l’ai fait pour Obama et je le referai cette fois.
Combien Obama a-t-il reçu de votre part?
Le maximum autorisé, je crois.
Officiellement, ce n’est que 2700 dollars.
Mais bien sûr, ensuite il y a l’argent gris. Cela vous conduit aux PACs – political action committees – et aux fameux Super PACs.
Des lobbys autorisés à collecter d’énormes montants à la place des candidats.
Ce qui nous amène à des questions morales désagréables. Je n’aime pas que des milliardaires paient des sommes astronomiques à ces Super PACs, que l’on peut juger diaboliques, parce que cela leur sert à acheter de l’influence dans le gouvernement à venir. Mais comment pourrais-je ne pas soutenir financièrement quelqu’un que je crois de mon côté?
Pourquoi Hollywood compte-t-il tellement dans cette affaire?
Question d’image. C’est la culture des celebrities, des people.
Participez-vous aux soirées de collecte de fonds ici à Hollywood?
Cela m’est arrivé. En tant qu’invité, vous payez 2700 dollars pour prendre place à une table. Puis il y a souvent un diaporama que vous devez regarder. Vous faites quelques selfies avec d’autres people, puis le candidat débarque et dit quelques mots. Vous dites que c’était génial et vous rentrez à la maison. L’été dernier, il y a eu l’une de ces soirées pour Hillary, qui a été sympa. C’était chez Scooter Braun, manager de Justin Bieber. Scooter est un ami de ma femme et, comme nous apprécions Hillary, nous y sommes allés. On traîne de-ci de-là avec un Coca Light à la main. Kanye West se pointe, on bavarde: «Hé, dans quelle école vont tes enfants?» Ou alors: «Hé, c’est le nouvel iPhone?» Je crois que vous y accordez trop d’importance.
Kanye West, Kim Kardashian et Tom Hanks dans un événement électoral pour Hillary Clinton, cela ne fait pas le poids?
Sûrement, mais c’est toujours présenté comme une conspiration de supporteurs pour que tel ou tel ait le mandat. En fait, nous nous contentons de collecter un peu d’argent pour que le candidat puisse s’offrir des spots de trente secondes sur la TV locale et des autocollants à mettre sur les pare-chocs.
Il y a quinze jours, il y a eu une sacrée collecte chez George Clooney, ici à Los Angeles.
Oui, mais je n’y étais pas. J’étais sûrement invité mais je reçois tellement de trucs. En une semaine normale, je suis invité à une quarantaine de manifestations. Parfois je n’ouvre même pas mes courriels.
Reste aussi que la collecte de fonds de George Clooney coûtait 33 400 dollars par invité parce que, officiellement du moins, la manifestation ne servait pas à collecter de l’argent pour un candidat mais pour le Parti démocrate. A ce prix, on y réfléchit à deux fois…
Je ne suis pas un activiste politique. Il y a des gens qui veulent se mêler de politique, qui ont un micro à la main et veulent montrer la voie. George est un type comme ça, c’est très bien. Moi pas.
Selon le «New York Times», Hollywood se diviserait entre Hillary Clinton et Bernie Sanders.
Certains des points soulevés par Sanders sont intéressants. En ce qui me concerne, je m’intéresse à la politique mais pas aux campagnes électorales. Je ne regarde pas les débats à la télé, je préfère voir un match de baseball.
Mais vous vous étiez fortement investi pour Obama.
Obama, c’était autre chose.
Pourquoi?
Parce que ce fut un progrès politique essentiel: un Noir à la Maison Blanche, c’était grandiose. Par ailleurs, après huit années de George W. Bush, Obama représentait une fraîcheur qui m’a enthousiasmé. Comme je le disais, désormais je ne m’engage plus dans tout ce cirque longtemps avant l’élection mais, quand il s’agissait d’Obama, j’ai battu le tambour.
Et maintenant? Trump passe pour un cinglé, Sanders pour un idéaliste, Clinton incarne un système dépassé et le fossé entre démocrates et républicains ne cesse de s’élargir.
Calmez-vous. Ce n’est pas le pays qui est divisé, seul le dialogue est interrompu. On ne parle ici que de politique. Sitôt qu’il y aura un ouragan, tout le monde s’entraidera. Croyez-moi, au bout du compte, l’Amérique sera OK. Il n’y aura pas de manifs dans la rue et la Garde nationale ne sera pas mobilisée.
Mais ne voyez-vous pas votre film «Un hologramme pour le roi» comme une allégorie du déclin de l’Amérique, incarnée par vous, humiliée par les Saoudiens et larguée par les Chinois?
Alan Clay représente le contrat social brisé aux Etats-Unis. Ce contrat s’énonçait ainsi: travaille dur, essaie de préserver ton mariage, réalise quelques bonnes affaires. Alan a échoué sur tous ces points, parfois du fait de ses propres carences, mais parfois sans être fautif. J’ai moi-même grandi à l’ombre de ce contrat social, dans les années 60, lorsqu’il était encore intact. Mais les pouvoirs qui se sont soustraits au contrôle de l’Américain moyen ont rompu ce contrat.
Quels pouvoirs?
Les hedge funds, les géants de la pharma, les pétroliers. La liste est longue.
Le film parle aussi de la fin des babyboomers, de cette génération américaine qui a eu tant de succès.
Oui, je suis né en 1956. Ce fut l’un des millésimes les plus prolifiques. Désormais, nous sommes en voie d’extinction.
Enfant, vous avez vécu à Reno (ndlr: ville de casinos, dans le Nevada).
Peu de temps. Mon enfance a été singulière. Mes parents ont divorcé quand j’avais 5 ans. Nous étions quatre enfants. Trois, dont moi, sont restés avec mon père. Il était cuisinier itinérant et travaillait sans cesse dans d’autres restaurants, si bien que nous devions déménager à tout bout de champ. Il n’était pas un chef étoilé mais connaissait bien son métier.
Parlait-on politique à table?
Non, mais ce temps-là était politique. Les assassinats de Martin Luther King et de Bob Kennedy, le Vietnam, les évolutions sociales induites par le mouvement hippie et, pour finir, le Watergate. Je vois encore notre délégué de classe annoncer que Nixon devrait quitter sa fonction la queue entre les jambes avant la fin de l’année. Mais l’enseignant le regarda en secouant la tête: de telles choses ne se produisent pas aux Etats-Unis d’Amérique. Le Watergate m’a marqué, je me suis promis de toujours aller voter, même si je ne l’ai pas toujours fait.
Regretterez-vous Obama?
Oh oui. J’ai toujours trouvé que son bon sens et son savoir-vivre faisaient merveille. Mais il n’a pu strictement rien entreprendre sans s’attirer immédiatement des critiques. Obama aura été un président exceptionnel, en dépit de cette opposition massive.
Vous mangez parfois en privé avec lui. Comment est-il?
Il se permet d’être authentique, sans faux-semblants. Dans ce job, il faut oser. On est là et on rigole. Un jour je lui ai demandé comment il s’y prenait pour surmonter tant d’avanies dans son travail. Il m’a répondu: «Mais je ne fais que parler avec des gens, c’est tout ce que je fais, pas de problème.»
Une litote.
J’appellerais ça du pragmatisme. Mais il faut conclure. La politique, toujours la politique! Je suis sûr que vous allez imprimer des choses pour lesquelles je devrai m’excuser. Tant pis. Ecrivez que Tom Hanks n’a répondu à ces questions politiques qu’en guise de protestation!
© DER SPIEGEL
Traduction et adaptation gian pozzy