Aïna Skjellaug
Enquête. Les erreurs de gestion du projet «Champions!» doivent-elles conduire à la démission du ministre? Le microcosme bruit de rumeurs.
L’amateurisme avec lequel a été traitée la gestion budgétaire du spectacle Champions!, en l’honneur des 100 ans du CIO à Lausanne, laisse à la ville et au canton un déficit financier mortifiant. Le crédit initial est dépassé de 1,3 million de francs, soit près de 58% de son budget de 2,25 millions. Alors qu’on leur demande de justifier au franc près leurs besoins de subventions, les milieux associatifs et culturels fulminent.
Le Conseil d’Etat est embarrassé par l’implication de son ministre de l’Economie et du Sport, Philippe Leuba. Il s’appuie sur un rapport commandé au Contrôle cantonal des finances (CCF) pour s’étonner «que les engagements pris s’éloignent des principes de bonne gouvernance en matière de subventions. Il regrette en outre de n’avoir été informé à temps ni du suivi du budget prévisionnel de la manifestation ni des engagements contractuels, pourtant élevés, pris par le département. De tels manquements ne sont pas admissibles.»
Comment est-on arrivé à un tel fiasco, alors que les intentions étaient si louables (faire plaisir au CIO)? La gestion du projet donne un parfait exemple de ce que l’on pourrait appeler «une entente à la vaudoise». La présidence de l’association organisatrice de Champions! était tenue par le municipal POP de la Ville de Lausanne Marc Vuilleumier. Le conseiller d’Etat PLR Philippe Leuba était son vice-président et Thierry Meyer, rédacteur en chef de 24 heures, en était membre. Se retrouvent donc mouillés dans le même bain la gauche, la droite et le principal quotidien du canton.
Confusion des rôles
Le rapport très factuel du CCF épingle cet amalgame dérangeant. «La présence de ces autorités (Marc Vuilleumier et Philippe Leuba, ndlr) au sein des organes de l’association n’est pas adéquate et peut prêter à confusion quant à leurs rôles respectifs. Cela vaut notamment s’agissant de l’octroi de la deuxième contribution (subvention), décidée et accordée en décembre 2015 (de 525 000 francs, ndlr), aux motifs de la prise en charge d’une partie de la perte prévisionnelle attendue à la suite de l’organisation de l’événement.» Des erreurs d’appréciation sont aussi relevées. Un tableau de synthèse dévoile une absence d’ajustement du budget entre juin et décembre 2015. On reproche encore à Philippe Leuba d’avoir engagé l’Etat de Vaud dans l’organisation d’un événement à haut risque sans en référer au Conseil d’Etat, ni l’avertir des dépassements budgétaires.
Pour sa défense, Philippe Leuba répète à qui veut l’entendre que «le spectacle comportait des risques liés notamment aux conditions météorologiques». Mais sur quelle édition du Messager boiteux les organisateurs se sont-ils fondés pour prévoir un spectacle en plein air et par beau temps au mois de novembre?
Le municipal d’extrême gauche Marc Vuilleumier arrive au terme de son mandat politique, qu’il n’a pas souhaité reconduire. Mais les manquements et erreurs du conseiller d’Etat Philippe Leuba sont d’autant plus surprenants que l’homme n’a jamais manqué une occasion de distribuer des conseils sur la bonne gestion de l’argent public. Député, il se faisait l’apôtre de l’Etat maigre. Avec Champions!, le chantre de la rigueur financière se retrouve aujourd’hui en emblème du gaspillage des recettes publiques. En termes d’éthique personnelle, c’est une tache.
De quoi imaginer une démission? Interrogé par L’Hebdo, Philippe Leuba nie s’être posé la question. Mais le microcosme bruit de rumeurs: l’hypothèse d’une démission aurait été évoquée avec son état-major, peu avant la commande du rapport au CCF, alors que le conseiller d’Etat libéral-radical se sentait acculé.
Qu’il se rassure, au Grand Conseil, personne ne songe à demander sa tête. A un an des élections cantonales, alors que les partis viennent d’enchaîner les fédérales et les communales, l’organisation d’une élection complémentaire constituerait un trop gros stress. La gauche se contentera d’exploiter l’affaire Champions! pour désigner en Philippe Leuba le nouveau maillon faible du gouvernement. Une manière de rétorquer à la droite, qui cherche à regagner la majorité et a mis dans son viseur le siège vert de Béatrice Métraux.