Valérie de Graffenried
Portrait. Au cœur de l’actualité, le secrétaire d’Etat aux migrations, Mario Gattiker, résiste aux pressions grâce à son sens du compromis.
Mario Gattiker est un homme surprenant. Plutôt discret, le patron du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) donne d’abord l’impression d’être une «souris grise», un fonctionnaire loyal qui fait bien son travail. Rien de plus. Un homme au visage sombre, les yeux creusés. Et puis, quand on passe un peu de temps avec lui, on découvre quelqu’un de plutôt jovial, farceur même, qui, malgré la pression qu’il subit constamment, sait rire de choses simples. Et parler de sa passion pour la cuisine marocaine. Avec un peu de harissa, s’il vous plaît.
A la tête d’un office important – plus de 1000 collaborateurs –, Mario Gattiker, 60 ans cette année, n’a jamais de répit. Libre circulation, asile: il est en permanence, qu’il le veuille ou non, au cœur de l’actualité, au front, exposé, en proie aux critiques. S’il montre parfois des signes de fatigue, il ne semble jamais perdre son calme. Mario Gattiker avance, sans plier.
Le 5 juin sera un nouveau test. Le peuple se prononcera sur la grande réforme de l’asile de la ministre socialiste Simonetta Sommaruga, qui vise une accélération des procédures. L’UDC a saisi le référendum. Et s’attaque aux «avocats gratuits» ainsi qu’aux menaces d’expropriation. Cette fois, la bataille sera plus facile: l’UDC est seule contre tous. Ou presque: quelques voix discordantes à gauche ont décidé de faire également acte de résistance. Mais avec le retour du beau temps, les traversées de la Méditerranée reprendront de plus belle, et ce sont bien des événements extérieurs qui pourraient venir influencer la campagne. En 2015, 39 523 personnes ont déposé une demande d’asile en Suisse. Pour 2016, les prévisions sont similaires. Les cantons viennent de présenter leurs mesures urgentes, un plan qui sera déclenché en cas d’afflux. Et le Conseil fédéral est prêt à envoyer des soldats aux frontières.
Au Parlement, Mario Gattiker est plutôt apprécié. On lui reconnaît une connaissance parfaite des dossiers dans le domaine de l’asile. Il est souvent dépeint comme un homme de compromis. «C’est quelqu’un qui sait de quoi il parle, qui va droit au but et qui trouve toujours le bon ton», glisse Cesla Amarelle (PS/VD). Mêmes remarques louangeuses de la part de Gerhard Pfister, président du PDC fraîchement élu, qui le côtoie aussi en commission: «Il est loyal, intelligent et sait argumenter. Il a le grand mérite d’avoir su stabiliser le SEM, après les problèmes laissés par ses prédécesseurs. Il a aussi de l’humour.» On dit d’ailleurs de Mario Gattiker qu’il a un bon réseau au PDC, parti dont il est proche.
Pour Isabelle Moret (PLR/VD), le patron du SEM est quelqu’un qui écoute beaucoup et a une «très bonne relation avec les parlementaires». Heinz Brand (UDC/GR), ex-candidat au Conseil fédéral, président de la Commission des institutions politiques du Conseil national, est un peu moins élogieux. «J’ai du respect pour lui, mais je trouve qu’il manque parfois de courage et de stratégie pour son office. Il suit la voix de son maître, en l’occurrence celle de la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga. Il amène rarement de vraies solutions aux problèmes à force de vouloir satisfaire les uns et les autres. On peut dire qu’il slalome un peu.» Mais, Heinz Brand l’admet, il est peut-être plus critique que d’autres, étant lui-même un expert des migrations: le Grison était pendant vingt-cinq ans chef de la police des étrangers dans son canton et a collaboré avec lui dans différents dossiers.
Expérience africaine
Mario Gattiker a quatre fils. Son propre père, qui était journaliste, il l’a à peine connu: il est décédé quand il n’avait que 2 ans et demi. «Ma mère, infirmière, s’était occupée de rescapés des camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale, nous avait-il confié il y a quelques mois. Elle était très engagée, sensible, attentive aux droits de l’homme. Elle nous a transmis cela.»
Le Bernois travaille dans le domaine des migrations depuis plus de trente ans. Après des études de droit à Berne, il exerce pendant un an dans une ONG active dans la politique familiale, puis part quatre mois en Afrique du Nord, où il visite notamment un camp de réfugiés du Polisario, en Algérie. De retour en Suisse, il travaille comme conseiller juridique pour migrants pendant quatre ans. Puis est engagé chez Caritas Suisse.
Ce n’est que douze ans plus tard qu’il entre dans l’administration fédérale. Mario Gattiker devient directeur de l’Office fédéral des migrations en janvier 2012. Le 1er janvier 2015, il monte encore d’un cran, et endosse officiellement les habits de secrétaire d’Etat aux migrations, un poste créé rien que pour lui. Parce que la question des migrations a «pris de l’ampleur» et pour qu’il puisse «mieux assumer ses nombreuses fonctions en matière de politique extérieure», précise le communiqué qui annonce cette promotion.
«C’est un juriste extrêmement pointu, commente encore Cesla Amarelle. Quand je lui soumets un dossier, je sais que j’ai tout intérêt à avoir bien préparé mes arguments.» Pointilleux, méticuleux, Mario Gattiker, qui se dit volontiers pragmatique, a été militant avant ses années universitaires. Il était parti en Italie comme volontaire dans un mouvement exigeant des réformes dans le domaine de la psychiatrie. Avec pour idée principale d’intégrer les patients dans la société plutôt que de les placer dans des «prisons psychiatriques». Aujourd’hui, certains l’accusent de prendre des décisions dures. Lui ne cesse de rappeler qu’il a été conseiller juridique pour de nombreux requérants, et qu’il sait pertinemment ce que certains choix peuvent signifier sur le plan humain.
Habitué aux critiques, il a appris à avoir la peau dure. A peine deux jours après avoir pris la tête de l’ex-Office fédéral des migrations, Mario Gattiker s’était attiré les foudres du sociologue poil à gratter qu’est Jean Ziegler, qui l’avait qualifié de «tête de bois» et avait suggéré à Simonetta Sommaruga de l’envoyer dans le désert. Là encore, Mario Gattiker n’a pas courbé l’échine. Il a d’abord tenu à rassurer ses fistons, puis a décidé d’affronter directement son détracteur, en proposant de le rencontrer. C’est sa méthode.
Des failles et faiblesses? Il en a. Il a notamment admis avoir commis une erreur en expulsant, en août 2013, deux Sri-Lankais déboutés qui, à peine renvoyés dans leur pays, ont été emprisonnés. La Suisse a dû présenter ses excuses. Mario Gattiker a concédé que les risques avaient été «mal évalués» et a suspendu les renvois vers le Sri-Lanka, tout en accordant l’asile à la femme et aux enfants d’un des deux requérants expulsés.
Stupeur et cacophonie
Et puis, il y a aussi eu l’affaire Bremgarten, qui l’a beaucoup marqué, confie une parlementaire. C’était également en août 2013. Un centre fédéral pour requérants a été inauguré dans la petite commune argovienne de 6500 habitants en créant la polémique. Des «zones d’exclusion» avaient été édictées, histoire d’empêcher que des requérants ne s’approchent trop de certains bâtiments publics, comme la piscine ou l’église. Stupeur, scandale et cacophonie généralisée, la presse étrangère s’était emparée de l’affaire. Bremgarten a fait parler d’elle à la BBC, dans le Telegraph ou encore sur la chaîne allemande ARD. Mario Gattiker était alors, nous dit-on, dans ses tout petits souliers, ces zones figurant dans un plan annexé à une convention passée entre la commune, son office et le Département fédéral de la défense.
Erreur de communication ou dossier ficelé trop rapidement? Un peu des deux. «Nous voulons juste éviter que 50 requérants n’utilisent ensemble un terrain de foot ou ne viennent en même temps à la piscine», avait maladroitement tenté d’expliquer Mario Gattiker au Tages-Anzeiger.
Plus récemment, en été 2014, une autre affaire a fait grand bruit: une Syrienne a perdu son bébé pendant qu’elle était escortée par des gardes-frontières entre Vallorbe et Brigue, avec d’autres migrants. On a alors accusé Mario Gattiker de fermer un peu trop les yeux sur ce drame, en renvoyant la faute aux gardes-frontières.
Son prénom fleure bon le Sud, mais Mario, qu’on ne s’y trompe pas, est un vrai Bernois. Pas de racines italiennes. Son prénom, il le doit à Thomas Mann et à son roman Mario et le magicien. Un roman plutôt sombre, qui se déroule dans une Italie fasciste, où le Mario en question devient un meurtrier. Et tue le magicien-hypnotiseur qui lui a joué un mauvais tour.