Propos recueillis par Frédéric Koller
Interview. Pat Cox en appelle à se focaliser sur des solutions concrètes pour regagner le soutien des populations.
Le libéral irlandais Pat Cox préside depuis janvier 2015 la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, dont le siège est à Lausanne. Il avait présidé le Parlement européen de 2002 à 2004. Il livre son diagnostic.
Et si l’Europe se désintégrait, qu’adviendrait-il?
L’Europe se construira en surmontant ses crises, disait Jean Monnet. Mais la multiplication de crises profondes et simultanées peut-elle défaire l’Europe? Il est de la responsabilité des politiques de se poser la question, il faut mener ce débat. La fiction d’une Europe sans Union est toutefois un cauchemar que je ne veux pas anticiper. Il faut renverser cette fiction.
Comment?
L’Europe est entrée dans un temps d’incertitude, d’impatience, de populisme. Mais il n’y a pas que l’Europe qui est touchée par ces mouvements antipolitique, antiélite, cela existe un peu partout, voyez les primaires aux Etats-Unis. C’est le Zeitgeist. Il faut donc prendre de la hauteur. L’Europe est frappée par une crise économique qui crée de la désespérance, des flux migratoires qui provoquent des réflexes de repli et, après le Grexit et le Brexit, Mme Le Pen parle de Frexit.
L’Europe se fracture entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, et la Russie, qui a compris ce moment d’interrogation, en profite pour reprendre la main dans son voisinage. Jusqu’ici les réponses de l’UE n’ont pas été à la hauteur. Il faut se poser la question: vivons-nous dans une Europe avec des valeurs partagées ou seulement faite de valeurs ajoutées au sens économique du terme? Nous sommes confrontés à des problèmes communs et seules des réponses communes apporteront une vraie valeur ajoutée. Aujourd’hui on a perdu cette notion clé d’intérêt commun.
Ce type de discours ne suffit plus à convaincre. Faut-il penser autrement l’intégration?
Je reste favorable à une fédéralisation des institutions, mais, c’est vrai, il n’y a pas de consensus sur ce plan. Il faut donc se concentrer sur les moyens, l’action. La crise de légitimité européenne vient plus du déficit des réponses concrètes à la crise économique que d’un déficit démocratique. Ce sont les résultats qui comptent. Il faut donner une capacité d’action autonome à l’Union européenne, sans quoi l’on est piégé par des solutions en forme de demi-mesures qui ne satisfont personne. Se pose alors la question des moyens. On attend des solutions de l’Europe, mais son budget représente moins de 1% du PIB collectif des Etats. C’est une mission impossible.
On se contente du plus petit dénominateur commun, les égoïsmes et l’intérêt national l’emportent. Or, la capacité d’action de l’UE devient une question existentielle. Face au déclin de leur civilisation, les pères de l’Europe avaient su réagir. «Pour changer le cours des événements, il faut changer l’esprit des hommes. Mais la parole ne suffit pas, seule l’action réelle, immédiate et dramatique permet de changer les choses, de redonner espoir au peuple», disait Jean Monnet. C’est cette sagesse qu’il faut retrouver.
Angela Merkel n’est-elle pas dans l’action quand elle ouvre ses portes aux réfugiés?
Oui. Mais elle le fait pour des impératifs nationaux. Or, les défis sont plus larges. L’accord entre l’UE et la Turquie est encore une demi-mesure. C’est la même chose sur le front économique: la crise a été contenue mais rien n’a changé sur le fond; la croissance reste anémique. A quoi cela sert-il que le Conseil européen se réunisse douze fois pour discuter de la Grèce s’il n’est pas capable de décider d’une action commune? Pour changer l’opinion publique, il faut des résultats concrets.
Mais les positions au sein des Vingt-Huit sont de plus en plus irréconciliables, notamment sur les réfugiés.
S’il y a un désaccord sur les quotas, il faut alors, là encore, voir plus large et agir à la racine du problème, sur place: en Syrie, en Turquie, en Jordanie, au Liban, pour aider les réfugiés. Il n’y a pas de solution nationale et les demi-mesures sont plus coûteuses au final. Le coût de la fin de Schengen serait plus élevé que le budget de l’Union européenne. Avant d’envisager la désintégration de l’Europe, il faut avoir en tête que son coût serait énorme.