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Cinecittà, l’envers de la ville

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Mercredi, 4 Mai, 2016 - 05:55

Reportage. Sur les traces des grands réalisateurs italiens, la ville du cinéma, fondée il y a près de huitante ans, dévoile ses trésors d’illusions, de souvenirs et d’émotions.

Un fort sentiment de familiarité vous étreint lorsque vous déambulez dans Rome, ses ruines ou ses rues. Il n’est pas dû qu’à la fréquentation des livres: cette impression d’être déjà passé par là vient de Cinecittà, les studios cinématographiques italiens inaugurés en 1937 dans la périphérie, où ont été tournés tant de films qui ont fait de nous des habitués virtuels de la Ville éternelle.

On rejoint ce lieu mythique depuis la rare ligne de métro A, qui s’arrête exactement devant l’entrée. Bienvenue dans la fabrique des rêves. Depuis cinq ans, Cinecittà si mostra («Cinecittà se montre») et a déjà reçu un demi-million de visiteurs. L’expérience commence par un parcours muséal retraçant l’histoire du lieu, à moins que ce ne soit celle du cinéma ou alors celle de nos émotions de spectateurs. «Il y a là toute notre histoire, tous nos rêves destinés à être vus les yeux ouverts», a commenté Roberto Benigni.

Bercé par les musiques entêtantes de Nino Rota, vous vous rapprochez des maîtres en illusions – Fellini, Visconti, Leone, Moretti… –, des acteurs et, surtout, des sublimes actrices qui ont donné vie à leurs songes: Marcello Mastroianni, Sophia Loren, Claudia Cardinale, Virna Lisi…

Pour les lauriers d’un homme

Sarabande de sons, d’images, de regards, de sourires, de costumes, mais vous pouvez aussi lire les panneaux explicatifs, qui, avant de nous plonger dans La dolce vita et Vacances romaines, ne font pas l’impasse sur les périodes délicates: Cinecittà a été voulue par le Duce, inaugurée par lui. Mussolini ambitionnait de faire la course avec les autres lieux de production cinématographique alors que le passage au cinéma parlant ouvrait de nouvelles frontières à l’art du spectacle et de la propagande. La guerre stoppe l’élan fondateur, les studios végètent. Dès 1943, la cité du cinéma trouve une nouvelle affectation: les halles des studios accueillent des centaines de réfugiés. Certains joueront même les figurants dans Quo Vadis, une superproduction d’après-guerre.

D’une salle à l’autre sont évoquées les années glorieuses du cinéma italien, l’industrie des westerns et des superproductions internationales, qui privilégiaient Rome non seulement pour des questions de coût, non seulement pour la qualité de ses techniciens (plusieurs salles rendent hommage aux métiers du cinéma), mais aussi à cause de la météo: le ciel du Latium est invariablement plus souvent bleu que celui de Londres…

Car, dans la cité du cinéma, l’extérieur est tout aussi important que l’intérieur. Par petits groupes accompagnés d’une guide, les touristes peuvent partir à la découverte des studios et des décors en plein air. On s’approche ainsi de la halle 5, la préférée de Federico Fellini, où il avait même installé un petit coin pour dormir. Mais pas question de pénétrer dans le temple et de déranger le travail des équipes.

Pour ne pas frustrer les curieux, on convoque leur imagination. Le saviez-vous? Lors du tournage de La dolce vita, un tronçon de la Via Veneto a été reconstitué ici parce qu’il était périlleux de filmer dans un lieu aussi bruyant, mais aussi parce que la célèbre rue est légèrement en pente, une épreuve physique pour les équipes techniques. Seul l’œil aguerri des vrais Romains décèle, paraît-il, la reconstitution.

Pour souligner l’incroyable savoir-faire des artisans et des monteurs de Cinecittà qui font surgir du vide des mondes enchantés, le Maestro ne disait-il pas: «Cinecittà est l’endroit idéal, le vide cosmique avant le Big Bang.»

En quête de particules d’éternité fantasmée, la promenade se poursuit avec le temple de Jérusalem, reconstruit pour les besoins du film Le jeune Messie, qui vient de commencer sa carrière commerciale. Photos interdites en raison des droits d’auteur, pendant quelques semaines encore. Le décor pourra être réutilisé, mais il faudra veiller à ne pas réaliser les mêmes plans, les mêmes éclairages.

On s’approche des colonnes: petit choc sensoriel, elles ne sont pas en pierre mais en résine. L’illusion est parfaite. De telles reconstitutions ont une durée de vie d’une quinzaine d’années. Avis aux amateurs de réalisations bibliques.

Le «set» suivant, présenté comme celui nous transportant à Florence, attend les passionnés de Renaissance. De fait, sa composition a été inspirée par des monuments de la petite ville d’Assise. Le décor a servi pour un téléfilm retraçant la vie de saint François. Pour projeter le spectateur dans la cité des Médicis, il faudra tout l’art des techniciens. Le décor est un trompe-l’œil: derrière les portes, il n’y a que des échafaudages, les intérieurs étant toujours reconstitués en studio.

Le clou du parcours regroupe des rues, des bâtiments et des temples de la Rome antique. Ceux-ci ont servi pour la série Rome, diffusée par HBO en 2005-2007, au budget pharaonique (225 millions de dollars pour les deux saisons). Ce forum représente comme une mise en abyme des ruines que l’on contemple au centre de la Ville éternelle. Ici tout resplendit sous le soleil, tout est debout, intact, coloré et impérial, les pavés ne s’enfoncent pas. N’étaient de vastes plastiques au motif de mosaïques qui pendent sur le côté et une grue parquée à l’ombre d’un palais, on se croirait revenu deux mille ans en arrière.

Avec plus de 3000 films tournés dans un coin ou l’autre de ses 587 738 m², Cinecittà n’est pas que la fabrique des péplums. Martin Scorsese y a réalisé Gangs of New York au début des années 2000, des baraquements de bois en témoignent encore ainsi que quelques inscriptions en anglais.

On termine le tour en contemplant la «piscine» qui a permis de jouer de grandes batailles navales ou d’établir un camp de base de l’Everest. Magie du découpage sur fond bleu ou vert. La proximité avec des HLM et les herbes folles qui poussent entre deux flaques de béton nourrissent furieusement la sensation d’être face à un terrain vague quelconque. On est pourtant là au cœur de la fabrique des songes éveillés. Puissance du cinéma. Il suffira de quelques claps pour que le savoir-faire des alchimistes du Big Bang, établis à Cinecittà depuis bientôt huitante ans, nous propulse au cœur de nouvelles aventures.
 
Renseignements pratiques:

Documentation en italien et en anglais, visites guidées en français sur demande, atelier didactique pour enfants, restaurant et boutique souvenirs.

Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9 h 30 à 19 h 30.

Tarifs: 10 euros pour les expositions, 20 euros pour les expositions et la visite des décors (réductions pour les familles).

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Moris Puccio / Lux Vide
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