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Rome: des ruines pleines de vie

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Mercredi, 4 Mai, 2016 - 05:58

Archéologie. Couleurs projetées, réalité virtuelle, évocations sonores: pour aider le visiteur à lire les vieilles pierres, de nouvelles mises en scène rivalisent de talent et d’ingéniosité.

Il y a le romantique de la ruine qui la préfère toute nue, incolore et silencieuse, discrète surface de projection de ses fantasmes. Il y a le connaisseur, capable de reconstruire un palais dans sa tête à partir de trois cailloux alignés. Celui-là trouve que le touriste n’a qu’à faire l’effort de se documenter et déteste la tendance actuelle à faire revivre les sites archéologiques pour lui faciliter la tâche. Mais la plupart des visiteurs sortent enthousiastes du Palazzo Valentini: depuis trois ans, on peut y voir ce qui se fait de plus convaincant en matière de présentation augmentée d’un site.

Les restes des domus romaines, deux luxueuses demeures de l’époque impériale, dorment dans le sous-sol du palazzo du XVIe siècle qui abrite le siège de l’administration provinciale. Le visiteur marche sur un sol transparent et contemple les vieilles pierres en contre-plongée, aidé dans sa lecture par toutes sortes d’artifices lumineux et sonores: des traits de lumière soulignent par exemple les contours des différents bassins dans les thermes privés de la demeure, attirent l’attention sur les briques creuses du système de chauffage, aident à comprendre les techniques de construction.

Puis, par projection lumineuse, les murs d’une pièce reprennent leurs couleurs d’origine, la mosaïque d’un sol redevient comme neuve. Enfin, une voix vous propose de découvrir l’ancienne demeure «telle qu’elle pourrait avoir été» et, sous vos yeux écarquillés, une domus flambant neuve surgit littéralement des ruines par la magie de la réalité virtuelle. C’est subtil, instructif et très émouvant.

«Imaginez que l’on fasse la même chose aux thermes de Caracalla! s’enthousiasme l’archéologue Letizia Rustico. Ce serait grandiose. Le site s’y prêterait, ce qui n’est pas toujours le cas. Le projet a été évoqué, le seul petit problème est que ça coûte des millions…»

Les techniques de conservation s’affinent, les développements du multimédia inspirent de nouvelles manières de valoriser les trésors du passé. Ajoutez à cela qu’à Rome, cette caverne d’Ali Baba des archéologues, le jubilé de l’an 2000 a donné une impulsion bénéfique au lancement de nouveaux projets. Mais l’euphorie archéologique est freinée par des forces adverses: le manque chronique de moyens, et aussi une évolution du tourisme qui n’encourage pas à la prise de risques.

«De plus en plus, les gens viennent à Rome pour deux ou trois jours, déplore Rita Paris, directrice, pour le Musée national romain, du site du Palazzo Massimo et de la Via Appia. Ils vont tous aux mêmes endroits: le Colisée, la fontaine de Trevi, la Piazza Navona… Pour les convaincre de se déplacer jusqu’à la Via Appia, il faut se lever tôt!» Conséquence: la tentation est grande d’exploiter à fond les sites archiconnus plutôt que d’investir dans des ruines périphériques ou confidentielles.

La Via Appia en récits

Pour appâter le visiteur, Rita Paris et son équipe ont imaginé une application inédite, primée par le Content Award 2015. Elle mise sur le pouvoir de l’évocation verbale et invite à parcourir la première route romaine avec des histoires dans les oreilles. On entend par exemple l’écrivain Paolo Rumiz en personne expliquer pourquoi il a décidé un jour, avec quelques compagnons, de parcourir à pied, de Rome à Brindisi, cette «mère oubliée de toutes les routes européennes […] faite de sang et de sueur, parcourue par les légionnaires et les camionneurs, les apôtres et les putains, les bergers et les tanks, les marchands et les charretiers».

Sur le site de Capo di Bove, celle qui fut la maîtresse des lieux, Annia Regilla, est évoquée via un dialogue imaginaire où elle raconte son mariage avec un Grec «richissime et bizarre», sa vie entre Athènes et Rome, sa mort violente et mystérieuse. Près des restes d’un bassin s’élève la voix d’un Sénèque furibard contre la pollution sonore générée par les thermes publics sous ses fenêtres.

Les acteurs (en italien et en anglais) sont excellents et l’ensemble est réalisé avec grande classe. Pour les agiles du numérique, l’application s’enrichit d’un réseau social géoréférencé qui permet de laisser des graffitis virtuels à tel ou tel endroit. Sa seule faiblesse tient, précisément, dans son support «über-moderne»: un smartphone déchargé, une allergie à la navigation sur icônes, et on reste sur le bord de la route.

«Je déteste les audioguides, dit Rita Paris, je pense que les réalités s’animent lorsqu’on arrive à bien les raconter.» Et d’expliquer que l’idée de Verba Appia (c’est le nom de l’application) a surgi dans son équipe lorsque, pendant des fouilles, elle est tombée sur un paquet de lettres d’amour confiées aux mânes de la route millénaire en 1929, par un amant illégitime.

Longtemps négligé, le site de la Via Appia n’a été réinvesti que relativement récemment: «Du mausolée de Cecilia Metella jusqu’à la Villa dei Quintili (rayon d’action de l’application, ndlr), une bonne partie de ce que vous pouvez découvrir n’était pas visible il y a seulement quinze ans», précise encore Rita Paris.

L’Aventin invisible

Letizia Rustico, qui travaille elle aussi pour le Musée national romain, a participé à un projet plus classique dans sa forme mais non moins original dans son concept.

La voici sur la résidentielle colline de l’Aventin: «Vous voyez? On ne voit rien! Des villas Liberty, des piscines… Dans les années 30, ce quartier a été tapissé de maisons individuelles. Seulement voilà: il y avait eu un autre boom immobilier au même endroit, deux mille ans auparavant. Une domus sur l’Aventin, c’était déjà le must, pour l’aristocrate comme pour le nouveau riche, au tournant de l’ère chrétienne. Sous ces jardins, ces maisons, il y a des trésors que, trop souvent, les propriétaires omettent de signaler», soupire l’archéologue, une pelleteuse dans la pupille.

Il y a des exceptions, elles sont présentées dans l’application iAventino. Mais les sites sont délicats d’accès, impossibles à ouvrir sans réserve au public. La lumineuse Casa Bellezza, par exemple, douze mètres sous terre dans les entrailles d’une maison privée: ouverte seulement sur demande. Ou le magnifique sanctuaire au dieu Mithra retrouvé sous l’église de Santa Prisca: ouvert les 2e et 4e samedis du mois. L’application permet au promeneur de les localiser au cours d’un itinéraire suggéré, avec explications de style audioguide, photos et vues virtuelles.

Elle invite ainsi, comme l’indique son sous-titre, à une promenade sur «l’Aventin entre visible et invisible» qui vous plonge dans des abîmes de réflexion: lorsque les vivants et les morts entrent en concurrence pour le même espace vital, à qui revient la priorité? Allez, je pose la question bateau à Letizia Rustico: «Si vous étiez dictatrice de Rome, est-ce que vous raseriez ces maisons?» Elle sourit: «Les gens ont le droit de vivre chez eux. Disons que je creuserais au moins dans les jardins…»

Les fouilles sur l’Aventin ont commencé en 1958, mais il y a quelques semaines seulement, on a découvert les archives qui permettent de mieux lire les ruines. «Il serait désormais possible de les reconstruire virtuellement…» 


PRATIQUE

Le Palazzo Valentini est accessible en visite guidée (en français à 11 h 30). Réservation obligatoire. www.palazzovalentini.it

L’application Verba Appia est téléchargeable sur iPhone ou sur Android et disponible en italien ou en anglais. Elle ne s’active que sur place. www.verba.website

L’application iAventino n’est pour le moment disponible que pour l’iPhone (français et anglais). Dans le même esprit, l’application iTestaccio propose plusieurs itinéraires dans le quartier populaire de Testaccio. www.archeoroma.beniculturali.it

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