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Giancarlo De Cataldo: «La nuit de Rome prendra fin»

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Mercredi, 4 Mai, 2016 - 05:59

Interview. L’auteur de «Romanzo criminale» est aussi magistrat. Dans son dernier roman, «La notte di Roma», Giancarlo De Cataldo continue de dire des horreurs sur la capitale italienne. En fait, il l’adore et plaide la cause de son infinie douceur.

Sa femme lui a dit: «Tu écris des gialli (des romans noirs, jaunes en italien, ndlr), on va peindre ton bureau en jaune.» Voici donc Giancarlo De Cataldo, le juge romancier qui peint Rome en noir, dans son lumineux bureau du quartier de Prati, entre Tibre et Vatican: élégant, convivial, très tendance. Un délice de tous les jours.

Giancarlo De Cataldo est un auteur heureux: rien qu’en Italie, Romanzo criminale a dépassé les 400 000 exemplaires. Un film a suivi, puis une série TV. Une décennie plus tard, en 2013, il remet ça, en collaboration avec le journaliste Carlo Bonini: Suburra passe la barre des 80 000 et se décline à l’écran. Et voici maintenant La notte di Roma, dont la traduction française est promise pour cet automne chez Métailié.

Romanzo criminale était inspiré de faits réels: il racontait la prise de Rome par une bande mafieuse dans laquelle on reconnaissait celle de la Magliana, active dans les années 80. Suburra relevait de la prophétie fictionnelle: le trio infernal des entrepreneurs, des criminels et des hommes politiques y dansait une sarabande très semblable à celle révélée, l’an dernier, par le scandale Mafia capitale. Dans La notte di Roma, on replonge avec un mélange d’horreur et de fascination dans les mécanismes de la corruption. Mais, cette fois, c’est sur l’Année sainte, voulue par le pape François, que les «forces du mal» tentent de mettre la main…

Les forces mafieuses ont-elles vraiment essayé de s’emparer de l’Année sainte, comme le raconte votre roman?

Non, cette fois, on est vraiment dans la fiction. Ce qui a allumé notre fantaisie, à Carlo Bonini et à moi, c’est ce pape François: il nous fascine, nous, les laïcs. Il nous a inspiré le personnage de Mgr Giovanni Darè, responsable du jubilé, une figure qui est décidément du côté des forces du bien. D’ailleurs, dans le livre, la tentative mafieuse échoue. Ce qui, dans ce roman, recoupe bel et bien la réalité romaine, c’est un certain nombre de mécanismes: les trafics entre pouvoir politique et sociétés de construction autour des adjudications, les luttes de pouvoir pour la syndicature…

… le fait que la gauche n’échappe pas au pourrissement du pouvoir?

Effectivement. Les enquêtes de ces dernières années autour de Mafia capitale ont frappé à gauche comme à droite.

Il y a aussi le business sur le dos des réfugiés.

C’est une réalité. Il y a des malins, dans les structures d’accueil, qui se sucrent au passage sur le dos des immigrés. Je ne sais pas si ce phénomène est plus important en Italie qu’ailleurs. Ce qui est sûr, c’est que l’Italie est parmi les premiers pays au front, et elle supporte un poids que d’autres se refusent d’assumer. Elle fait aussi, par ailleurs, preuve d’une énorme générosité. La maire de Lampedusa mérite le prix Nobel.

Au bout du compte, votre livre est sombre mais pas désespéré. La nuit de Rome prendra fin?

Oui, elle prendra fin, c’est une certitude. Cette ville a 2000 ans. Elle a été vandalisée, tyrannisée, bombardée. Elle a fait l’objet des plus sombres prophéties: «Et Rome sera détruite…» Mais Rome s’est toujours relevée. Il y a en elle une force organique collective tendue vers la survie. Une force faite de la somme de toutes ses faiblesses.

Vous aimez vivre à Rome, malgré le tableau si sombre que vous en faites?

C’est paradoxal, je sais. J’écris des choses horribles, je raconte une Rome nocturne et criminelle, très éloignée de La grande bellezza. Mais j’aime profondément cette ville, unique et exagérée. Et je me surprends à en parler avec des accents de propagandiste! En fait, ce qui m’anime, c’est une exigence extrême, à la mesure de mon amour. Le sous-texte, c’est: toute cette splendeur ne peut pas être laissée en des mains scélérates. Ajoutez à cela que, dans un roman, les méchants sont absolument nécessaires pour faire ressortir les bons. Schiller disait qu’il faut savoir plonger dans le mal pour faire ressortir, par contraste, la vertu.

«La Rome qui ne se rend pas» est bien vivante?

Oui! La corruption, il y en a dans tous les pays. Le fait qu’ici on voie naître autant de scandales et d’enquêtes, c’est aussi la preuve que les anticorps agissent. Nous avons une bonne magistrature.

Vous en faites partie…

Je suis juge en cour d’assises, et désormais seulement en appel. Mais les affaires de corruption dont je parle dans mes livres ne sont pas mon rayon. Je traite surtout des homicides.

Mais, entre la Rome de «La grande bellezza» et celle de la Mafia, laquelle est la vraie?

Les deux réalités cohabitent. Il y a la violence et la corruption politique. Et puis il y a l’immense, l’infinie douceur de Rome. Celle que je goûte avec délices au quotidien et qui envoûte le visiteur. Il faut dire que dans la rue, à Rome, on marche tranquille: il y a la Mafia, mais cela n’empêche pas la ville d’être une des capitales les plus sûres au monde.

Vous n’êtes pas né ici.

Non, je suis arrivé à 18 ans, de Tarente. On dit que le nouveau venu ne peut que rejeter Rome ou en tomber amoureux. Je suis tombé amoureux sur-le-champ et, quarante ans plus tard, l’émotion est intacte: chaque fois que je passe le Ponte Sant’Angelo, que j’arrive sur la Piazza Navona, j’ai un frisson. Je ne suis pas le seul. Parmi les auteurs qui ont le mieux raconté cette ville, la plupart étaient des provinciaux: Catulle venait de Vérone, Virgile de Mantoue, Juvénal d’Espagne, Pasolini du Frioul, Cassola de Turin. A part Belli (le poète Giuseppe Gioachino Belli, 1791-1863, ndlr) et Moravia, tous venaient d’ailleurs.

Comment avez-vous été reçu?

Derrière leurs airs cyniques, les Romains ont un côté très sain. Il y a chez les gens d’ici des traits de générosité bouleversants. Quand j’étais étudiant et très fauché, je suis allé chez le boucher pour acheter de quoi nourrir des amis de passage. J’ai demandé les morceaux les moins chers, les poumons, le cœur. Le boucher m’a dit: «C’est pour le chat?» Il m’a coupé 2 kilos de spezzatino de bœuf et m’a dit: «Tu paieras plus tard.» J’ai demandé: «Et sinon?» Il a répondu: «Tu as la tête de quelqu’un qui paiera. Si je me trompe, j’aurai perdu 2 kilos de viande, mais toi, tu auras perdu la face.» Ça a été une grande leçon de vie. A Rome, si tu tombes dans la rue, il y a toujours quelqu’un pour te donner un coup de main. En jurant, si ça se trouve… C’est une ville qui sait être solidaire.

Alors, ce nouveau matin, c’est pour bientôt?

On est au fond de la piscine, ça ne peut aller que mieux. Rapidement, j’espère.

Grâce au préfet extraordinaire Tronca?

Dans la Rome ancienne, quand le Sénat n’arrivait plus à gouverner, il nommait un dictateur. C’est ce qui s’est passé: le maire est tombé, et nous avons un préfet extraordinaire, doté de pouvoirs d’exception. Mais son rôle est seulement de nous amener jusqu’aux prochaines élections, en juin.

Et qui va gagner?

Je n’en ai aucune idée, ça n’a jamais été aussi peu clair. Ce qui est sûr, c’est que le prochain qui gouvernera Rome aura un tas de problèmes. Les candidats ne se bousculent pas au portillon. Figurez-vous qu’une députée du Mouvement 5 étoiles a dit: «Il y a un complot pour nous faire gagner…»

«La notte di Roma». Ed. Einaudi.
Traduction française chez Métailié cet automne.


PROFIL

Giancarlo De Cataldo

Né en 1956 à Tarente, il a étudié le droit à Rome avant d’y devenir juge à la cour d’assises. Il est aussi un écrivain prolixe, doublé d’un scénariste, dramaturge, essayiste et traducteur. Son plus grand succès: Romanzo criminale (2002), Prix du polar européen. Sa passion confidentielle: Leonard Cohen, dont il a traduit deux recueils de poésie.

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