Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Rome: les secrets de la Ville éternelle

$
0
0
Mercredi, 4 Mai, 2016 - 06:00

Dossier. Entre jubilé et dolce vita, nos bons plans pour découvrir autrement la cité la plus durable du monde.

Les murs sont couverts d’affiches. Rome se cherche un maire, qui sera élu le 5 juin. Elle est actuellement régie par un commissaire, nommé par le chef du gouvernement, Matteo Renzi, après une énième affaire mafieuse d’appels d’offres truqués. Dans n’importe quelle ville, ce vide du pouvoir municipal ferait mauvais genre, surtout en année de célébration d’un jubilé, alors que les touristes affluent. Mais pas à Rome, où cohabitent deux capitales, celle de l’Etat italien et celle de l’Etat pontifical.

Les Romains sont fatalistes. Leur cité a toujours eu d’autres patrons qu’eux-mêmes, le pape, le gouvernement… C’est le pape François, justement, qui a décidé que cette année 2016 serait celle d’un nouveau jubilé, celui de la Miséricorde (précisément du 8 décembre 2015 au 20 novembre 2016). Un choix pastoral, mais dans une Péninsule qui peine à sortir de la crise économique, les perspectives de retombées juteuses apparaissent comme une manne appréciable. L’an dernier, l’Expo de Milan a généré une croissance du PIB de 0,4%, deux fois mieux que prévu.

Dante et le pape simoniaque

Les jubilés sont une vieille habitude qui remonte au Moyen Age. Le premier date de 1300, inspiré au pape Boniface VIII par une tradition hébraïque. Le souverain pontife essaie de reprendre la main dans une période troublée. L’afflux de pèlerins est tel qu’il marque les contemporains: Dante en parle dans la Divine Comédie et place Boniface VIII dans le cercle des simoniaques, c’est-à-dire ceux qui font commerce de sacrements ou de charges ecclésiastiques.

La périodicité initialement prévue était d’une fois par siècle, puis elle fut réduite à tous les 50 ans, puis à tous les 33 ans (en référence à l’âge du Christ), puis à tous les 25 ans pour offrir la chance à chacun au moins une fois dans sa vie de venir à Rome. Merveilleux pragmatisme de l’Eglise catholique. Par ailleurs, chaque souverain pontife jouit de la prérogative de décider d’une année sainte pour un moment particulier de la vie de l’Eglise, mais d’une durée variable allant de plusieurs jours à une année. Le premier jubilé extraordinaire date ainsi de 1423. Du coup, le nombre d’années saintes reste incertain, on l’évalue à 131.

Osons une théorie audacieuse: et si cette manière de convoquer, à intervalles réguliers, les chrétiens à Rome, pour qu’ils puissent se faire absoudre de leurs péchés, était à l’origine du tourisme? On sait que le mot tourisme vient du Grand Tour, que les aristocrates anglais et allemands effectuaient afin de parfaire leur éducation. Dès le XVIIe siècle, il est de bon ton de venir contempler les cités de la Péninsule qui conservent le souvenir des grandes heures de l’Antiquité comme de la Renaissance, points de référence historiques essentiels. Ne dit-on pas que tous les chemins mènent à Rome? De fait, sur la carte de l’Europe, les premiers touristes suivent les mêmes voies que les légions de l’empire et les pèlerins.

Quoi qu’il en soit, les espérances sont grandes. En 2000, 32 millions de pèlerins-touristes ont été comptabilisés à la porte sainte de la basilique Saint-Pierre; un bilan après cent jours faisait était de 3 millions. Il semblerait que la crainte du terrorisme décourage les voyages vers des lieux bondés et à haut potentiel de risque. De plus, le pape a demandé aux évêques d’ouvrir des portes saintes partout dans le monde. Pour les catholiques avides de pardon, la Ville éternelle n’est pas la seule possibilité.

Alors que l’agglomération compte 4 millions d’âmes, Rome accueille en temps normal 12 millions de touristes, 33 000 par jour. Bien moins que Paris, Londres ou même Florence et Venise. Et, au grand désespoir des habitants et des responsables touristiques, les visiteurs se concentrent sur quelques spots: le Vatican, le Colisée, la place Navone, la fontaine de Trevi (récemment somptueusement rénovée) et les escaliers d’Espagne (en cours de réfection). Des centaines d’autres trésors, moins fréquentés et moins «bunkérisés», s’offrent aux voyageurs curieux et à tous ceux qui souhaitent éprouver la dolce vita, cet art de prendre le temps de savourer les belles et bonnes choses de la vie (lire notre sélection d’adresses).

L’art du recyclage permanent

Peu de villes, à vrai dire aucune autre au monde, superposent autant d’épisodes de l’histoire de l’humanité. Au choix, vous pouvez décider de vous concentrer sur la Rome antique (lire Des ruines pleines de vie), la Rome médiévale, la Rome papale, la Rome baroque, la Rome de l’Unité italienne, la Rome fasciste, la Rome moderne et contemporaine (lire La musique adoucit le quartier).

Ce n’est pas que du storytelling inventé par le poète Virgile, déjà: cette cité-là est éternelle. «Rien n’est jamais absolument grave pour nous, raconte Alessandra, une Romaine. On sait que tout peut arriver, et que la vie de la cité reprendra son cours.» Souvent saccagée par des hordes venues du Nord, l’urbs se réinvente toujours. Au fil des siècles, les architectes y ont pratiqué le recyclage permanent.

Ces strates, ce tout-en-un, ont amené Sigmund Freud à comparer Rome à un être psychique où «rien de ce qui se produit ne serait perdu et où toutes les phases récentes de son développement subsisteraient à côté des anciennes».

Fondations antiques, murs médiévaux, ajouts baroques et usage contemporain sont fréquents. Quelques exemples. Vous croyez visiter une basilique d’origine médiévale, elle repose sur une villa antique aux fresques somptueuses. C’est le cas de San Giovanni e Paolo, que l’on découvre le long d’une des rues les plus anciennes de la ville (Clivo di Scauro) qui monte la pente douce de la colline du Celio. Quelques centaines de mètres plus haut, Santo Stefano Rotondo présente, autour d’un cercle de colonnes ioniques, des fresques du XVIe et du XIXe siècles dédiées à des martyrs. Non loin de là, la basilique à trois niveaux de San Clemente permet de descendre dans les entrailles de l’urbs: elle a été édifiée sur un ancien lieu de culte dévolu à Mithra, divinité persane très en vogue dans l’Empire romain.

Proche de Saint-Jean-de-Latran, dont elle est une sorte d’annexe fortifiée qui fut utilisée comme refuge par les papes au haut Moyen Age, la basilique Santi Quattro Incoronati régale un cloître médiéval où méditer en toute quiétude sur le destin des femmes qui venaient s’y exiler du monde.

Jardin avec vue

Dans la série des habitations papales, le visiteur peut également choisir de préférer le château Saint-Ange au Vatican. Le monument déploie son faste deux fois millénaire au bord du Tibre. A l’origine, les murs servirent de tombeau à l’empereur Hadrien. Plusieurs salles ont été utilisées comme appartements par divers papes et témoignent de l’opulence de leur train de vie. Pour comprendre la ville et mesurer la richesse infinie de son histoire, il faut prendre de la hauteur. Le château Saint-Ange est un endroit parfait pour cela, avec sa vue imprenable sur Saint-Pierre. Du sommet, on contemple la ville à 360 degrés.

L’Aventin est un autre bon poste d’observation. Le trou de la serrure aménagé dans la porte de la propriété de l’ordre des Chevaliers de Malte permet de contempler le dôme de Saint-Pierre, comme par effraction. A quelques centaines de mètres, le parc Savello et son jardin des oranges offrent une vision dégagée. Dans le quartier du Pincio, la terrasse de l’Institut suisse de Rome concède aussi un panorama complet de la ville (lire La fabuleuse histoire de la Villa Maraini).

S’il est recommandé de prendre de la hauteur pour saisir l’extraordinaire richesse de la cité, c’est parce que, à ras le bitume, ceux qui l’arpentent peuvent éprouver un sentiment de chaos. La circulation est désordonnée (surtout pour des Suisses habitués aux lignes de présélection). Passer d’un quartier à l’autre peut se révéler compliqué.

Parmi les candidats à la mairie de Rome, Chiara, une jeune étudiante, qui attend souvent en vain l’arrivée de son bus entre un quartier de la périphérie et le centre, déclare qu’elle votera pour celui qui annoncera un vrai programme d’amélioration de la mobilité. Les vestiges sur lesquels on tombe chaque fois que l’on veut creuser une nouvelle ligne de métro sont une excuse indigne de la longue histoire de la plus durable des villes.

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Romaoslo Getty Images
123 RF
DR
DR
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles