Portrait. Chef de son groupe au Parlement fédéral, tranchant, autoritaire, Adrian Amstutz est l’homme fort de l’UDC à Berne. Davantage que le nouveau président Albert Rösti. En campagne actuellement, il se bat sur tous les fronts.
Là-haut sur la montagne, devant le chalet centenaire rénové avec soin, on reste le souffle coupé par tant de beauté. Pas celle du politicien, non, même si son physique avantageux – regardez la photo – a déjà fait couler pas mal d’encre. La beauté qui bouleverse nos sens se situe au-delà d’Adrian Amstutz: le long des Alpes qui scintillent, de la Jungfrau au Niesen, et sur les flancs verdoyants, piqués de pommiers en fleur, qui dominent sa commune de Sigriswil et le lac de Thoune. On ressent une envie de voler, comme le milan qui ne cessera de tournoyer sur nos têtes durant l’entretien. D’ailleurs, s’il devait renaître animal, le conseiller national UDC choisirait l’aigle. Parce que voler, planer, il connaît ce bonheur, l’ancien champion du monde de saut en parachute et adepte de parapente.
Ce qu’il connaît aussi, c’est la décharge d’adrénaline que ressent le politicien qui fond sur ses proies, toutes griffes dehors. Les gens ne goûtent pas beaucoup cela, mis à part les plus fanatiques. Même dans son village, certains estiment qu’il va trop loin quand il attaque sans respect les conseillers fédéraux, notamment l’ennemie préférée de son parti, Simonetta Sommaruga, qui, socialiste et chargée de l’immigration comme de l’asile, fait forcément tout faux aux yeux de l’UDC.
On se souvient de la première grande joute verbale entre les deux Bernois sur le plateau d’Arena en novembre 2010. Simonetta Sommaruga, au gouvernement depuis cinq jours à peine, s’élevait alors contre l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers, première du nom. Après quelques échanges hargneux, l’homme lui balança qu’elle racontait «une connerie après l’autre».
Contre Merkel et Sommaruga
Il est comme ça, Adrian Amstutz. Et il n’a pas changé. D’ailleurs, nous voilà à peine assis qu’il se met à pester contre la «Willkommenskultur» de Mme Sommaruga. Un élément de langage que tous les membres alémaniques de l’UDC répètent comme un mantra. Parce que la «culture de bienvenue» envers les réfugiés n’a évidemment rien de positif à leurs yeux. Ils ont repris la formule aux Allemands, critiques envers la politique d’Angela Merkel. Ils aiment bien ajouter, tel l’ex-président Toni Brunner, que «Mme Sommaruga, c’est notre Mme Merkel à nous».
Et Adrian Amstutz de s’échauffer encore: «Tout le monde contrôle ses frontières, les Suédois aussi ont compris, les Autrichiens et les Français également.» Mais pourquoi s’oppose-t-il à l’accélération des procédures d’asile que veut la nouvelle loi et qu’a toujours réclamée l’UDC? «Nous, on veut une accélération des sorties, que ceux qui n’ont pas le droit d’asile s’en aillent. Or, beaucoup restent ou s’évaporent illégalement dans la nature.» Il faut empêcher les gens qui n’ont pas le statut de réfugié selon la loi sur l’asile d’arriver. «En leur donnant de mauvais signaux qu’ils sont les bienvenus, l’Europe porte une partie de la responsabilité des morts en Méditerranée.»
Vous l’aurez compris, l’Oberlandais ne plane pas. Il est au four et au moulin en prévision des votations du 5 juin. Président de l’Astag, l’Association suisse des transports routiers, il défend l’initiative dite vache à lait, qui exige d’affecter l’entier des recettes des taxes sur l’essence à la construction et à l’entretien des routes. Tout en multipliant les interventions contre la réforme de l’asile.
Adrian Amstutz n’est pas seulement très occupé, il s’impose comme le nouvel homme fort de l’UDC à Berne. C’est lui qui tient les rênes, impose la discipline, conseille les uns, engueule les autres. C’est lui qui a orchestré l’élection du second conseiller fédéral UDC. A ses côtés, le gentil nouveau président Albert Rösti fait pâle figure. A moins que les rôles n’aient été attribués à dessein, Rösti-Amstutz good cop - bad cop, le good cop étant censé donner une image plus consensuelle.
Le radicalisateur
Fort, Adrian Amstutz l’est aussi parce que, contrairement à d’autres, comme le rédacteur en chef de la Weltwoche Roger Köppel, il ne doit pas sa carrière professionnelle à Christoph Blocher. Il s’est fait tout seul. Maçon, dessinateur en bâtiment, chef de chantier, il a fondé sa propre entreprise de construction. Cela dit, Christoph Blocher a bien placé ses plus fidèles émules dans la direction du parti et reste lui-même stratège en chef. Ce dont se félicite Adrian Amstutz: «Il voit plus loin que tous les autres et dispose d’un immense savoir. Le parti serait idiot de le laisser de côté.»
L’Oberlandais qui incarne la radicalisation des agrariens bernois doit tout de même beaucoup, politiquement, à l’UDC zurichois. Mais, si vous voulez agacer Adrian Amstutz, dites-lui qu’il a suivi l’aile zurichoise. Il vous rétorquera que, personnellement, il a toujours suivi la même ligne. Entré à 26 ans au parti, son modèle à lui s’appelle Fritz Abraham Oehrli. «Il a dix ans de plus que moi, on a un peu la même histoire. Il habite en pleine campagne à trente minutes d’ici. Conseiller national, paysan de montagne, marié très jeune, il était contre l’EEE, comme moi, quand l’élite de l’UDC bernoise était pour.»
Il n’a donc pas dû se forcer. «Il pense vraiment ce qu’il dit, il épouse les thèses UDC», juge le conseiller aux Etats socialiste Hans Stöckli, qui croise souvent le fer avec lui.
Et, ajoute le syndicaliste et conseiller national Corrado Pardini, qui lui aussi le côtoyait déjà au Grand Conseil, «il a beaucoup usé de l’instrument typique du populisme qu’est le dénigrement systématique de la «classe politique». Quand bien même il en fait partie depuis plus de vingt ans.» En effet, en 1993 déjà, il était élu maire de sa commune, et il a présidé l’Association des communes du canton de Berne.
Quand on lui demande comment il a vécu le déchirement de l’UDC bernoise et la naissance du PBD, Adrian Amstutz, avant même d’admettre que «le processus fut difficile sur le moment», affirme: «Ce fut un coup de chance. Les positions s’étaient tellement écartées qu’un cadre clair s’imposait.» L’UDC bernoise, il est vrai, a retrouvé sa force d’avant la scission.
Et pour demain, à part les Alpes enneigées, que voit-il à l’horizon? L’aigle va-t-il encore prendre de l’altitude? A la question du Conseil fédéral, le politicien se montrait très ouvert en 2008 dans ces mêmes colonnes. D’ailleurs, ceux qui le connaissaient du Grand Conseil avaient noté qu’il se montrait plus agressif sous la Coupole fédérale. «J’ai sursauté au début. Et il refusait le budget militaire, je ne le reconnaissais plus, le Ädou», affirme Hans Grunder, ex-UDC et cofondateur du PBD. Beaucoup eurent alors l’impression qu’il voulait prouver quelque chose à Christoph Blocher – en 2003, celui-ci venait d’être élu conseiller fédéral – et nourrissait de sérieuses ambitions.
«Ce n’est plus le cas, je peux vous l’assurer», dit-il aujourd’hui. Quand Toni Brunner a lancé son nom pour le second siège, en août dernier, il a contré avec véhémence. Et n’en démord plus: «Je ne peux pas et je ne veux pas devoir défendre des positions contraires à mes convictions.» La collégialité, très peu pour lui.
Certains y voient un trait de sagesse chez l’homme qui, à 63 ans, connaît désormais ses limites. D’autres, la trace de son trop bref intermezzo au Conseil des Etats: en mars 2011, les Bernois l’élisent à la succession de Simonetta Sommaruga. Mais il s’en ira déjà à l’automne, éjecté par le Biennois Hans Stöckli. Une défaite qui n’empêchera pas son ascension, début 2012, à la présidence du groupe UDC aux Chambres fédérales.
Surveillant général
Là, il a l’œil sur chacun. Quand un parlementaire UDC s’épanche par trop dans la presse, l’Oberlandais lui passe un tel savon que les voûtes du Palais fédéral en tremblent sur leurs piliers. En petit comité avec Ueli Maurer, il hausserait aussi le ton. Idem à la commission de la sécurité, qu’il a préférée à la prestigieuse Commission de l’économie et des redevances. «Il prend la parole en premier, égrène de manière péremptoire, mais ridicule, tout ce qui doit changer dans le Département de la défense», s’étonne Carlo Sommaruga.
Pour le socialiste genevois, «Adrian Amstutz veut montrer de manière démonstrative qu’il est le patron et que l’UDC ne lâche pas la pression, même avec deux conseillers fédéraux». Comme le résume le chef du groupe des Verts Balthasar Glättli, membre aussi de la commission: «On ne peut pas s’empêcher de penser qu’Adrian Amstutz est là pour surveiller Guy Parmelin.» D’autant plus qu’Ueli Maurer vit sa propre vie, lui qui a choisi Jörg Gasser pour succéder à Jacques de Watteville au secrétariat d’Etat aux questions financières, l’homme de confiance d’Eveline Widmer-Schlumpf.
Taratata. Le Bernois reconnaît qu’il intervient beaucoup – «Je ne siège pas en commission pour encaisser les jetons de présence» – mais affirme qu’il s’entend très bien, et depuis longtemps, avec Guy Parmelin qui, avant d’être élu au gouvernement, le secondait à la tête du groupe. Chacun joue un autre rôle désormais. Normal.
Les rôles de sa vie
Adrian Amstutz ne joue pas systématiquement le bad cop, d’ailleurs. Ceux qui le rencontrent hors débat sont surpris. Chaleureux, il s’enquiert des enfants, de la santé. Plusieurs parlementaires le racontent: «Quand il a balancé ses arguments simplistes et que les micros se ferment, on peut parler avec lui, il est capable d’écouter, comme ce fut le cas avec Vera Weber sur les résidences secondaires. Et quand il a donné sa parole, il s’y tient.»
En revanche, il n’est pas du genre à traîner dans les bars. Il n’aime pas la ville, rentre chez lui dès qu’il le peut. On l’y voit souvent seul, sur son vélo ou sur ses skis. Ou avec sa femme, «la même depuis quarante ans», aime-t-il à souligner, avec qui il a trois enfants et cinq petits-enfants.
Et qu’advient-il de son rôle d’attaquant en chef de conseillers fédéraux avec l’entrée en scène du nouveau conseiller national Roger Köppel? En une seule intervention, il l’a dépassé dans le procès d’intention à Simonetta Sommaruga. Le chef du groupe UDC n’a pas remis à l’ordre le Zurichois. Il ne voit pas pourquoi. «Dans un débat parlementaire, on doit supporter cela. Quand je pense à tout ce que Christoph Blocher, à l’époque, ou Ueli Maurer ont déjà dû entendre.»
Adrian Amstutz ne semble pas craindre la concurrence. Il n’empêche, le nouvel oiseau de proie de l’UDC pique plus bas que l’aigle bernois.