PERCEE. Comment le ministre des Affaires étrangères a obtenu le feu vert de ses collègues pour tenter de «rénover» la voie bilatérale avec l’Union européenne.
Il y a parfois des micro-événements qui se révèlent être, dix ou vingt ans plus tard, des points de bascule. Le 26 juin dernier, le feu vert que le ministre des Affaires étrangères Didier Burkhalter a arraché au Conseil fédéral pour «rénover» la voie bilatérale avec l’Union européenne (UE) pourrait bien en être un. Le leader europhobe de l’UDC Christoph Blocher l’a bien senti. Il a dans la foulée occupé le terrain médiatique en annonçant vouloir repartir en croisade comme il l’avait fait en 1992.
Concrètement, il ne s’est pas passé grand-chose. Lors d’une troisième discussion du Conseil fédéral sur la politique européenne, Didier Burkhalter a fini par imposer une stratégie offensive modérée. Auparavant, Ueli Maurer (UDC), Johann Schneider-Ammann (PLR), Doris Leuthard (PDC) et Simonetta Sommaruga (PS) avaient multiplié les corapports. Très intéressée par la perspective d’un accord sur l’électricité, Doris Leuthard a levé son opposition. Quant au ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann, qui ne voulait pas que la reprise dynamique du droit européen s’applique aussi aux accords déjà existants, il n’a pas insisté. Plusieurs sources confirment qu’il n’y a pas eu de vote au terme du débat.
Consultation. Didier Burkhalter a donc passé laborieusement un premier obstacle, mais ne fait que commencer son parcours du combattant. Il n’a pas encore de mandat de négociation. Celui-ci ne lui sera délivré cet automne par le Conseil fédéral que si la nouvelle procédure de consultation n’est pas trop négative.
Et pourtant l’histoire retiendra peut-être cette date du 26 juin. Sur la pointe des pieds pour ne pas faire trop de bruit, le ministre neuchâtelois s’est engouffré par la seule porte – très étroite – qui lui reste pour réchauffer la relation avec Bruxelles en réglant le casse-tête institutionnel. En cas de différend, la Suisse admettrait que la Cour européenne de justice se prononce, mais sans que cet avis soit exécutoire. Elle pourrait faire valoir ses processus de décision, jusqu’à la sanction populaire. De son côté, l’UE pourrait suspendre, voire résilier un accord en cas de querelle non résolue à son gré.
Concession de Bruxelles.«C’est un traité colonial, le diktat inacceptable des juges étrangers», a tonné l’UDC! En réalité, le compromis esquissé par les deux négociateurs, Yves Rossier et David O’Sullivan, est très équilibré. L’UE a aussi fait des concessions, que les partis eurosceptiques passent volontiers sous silence. Elle renonce à exiger la reprise automatique du droit européen, admettant une procédure «dynamique» respectueuse de nos institutions. Elle abandonne aussi l’idée d’une autorité de surveillance supranationale.
A Bruxelles, le Service européen de l’action extérieure (SEAE) de la diplomate en chef Catherine Ashton a réagi avec prudence. Il ne cesse de souffler le chaud et le froid envers la Suisse. Le froid surtout: voilà quelques semaines, la Suisse a appris par la bande que le SEAE avait obtenu la suspension des négociations pour la reconduction des accords-cadres sur la recherche et l’éducation. Une pilule dure à avaler: le Parlement helvétique a déjà approuvé un crédit de 4 milliards de francs pour les programmes européens des années 2014-2020.
Pourquoi ce blocage dans le seul dossier où la Suisse et l’UE collaborent à merveille? Certaines rumeurs ont fait état des réticences de notre pays à participer au surcoût du développement de Galileo, le pendant américain du GPS. Impossible! La Suisse a paraphé un accord portant sur 76 millions de francs pour 2013, 58 millions pour 2014, et 34 millions par année dès 2015. La tactique de Bruxelles est soudain apparue au grand jour: on ne signe plus rien avant que la Suisse trouve une solution acceptable sur le plan institutionnel.
La Suisse sait désormais ce qui l’attend: soit elle donne suite au rapport Rossier-O’Sullivan, soit elle cède aux sirènes populistes de l’UDC au risque d’une stagnation de sa relation avec l’UE. Qui serait suivie d’une période de glaciation dont souffrirait très vite notre économie.