Zoom. De la cuisine de rue à la gargote, le guide Michelin défriche la scène culinaire cantonaise. Et donne des adresses traditionnelles, rapides et accessibles.
11 h 30 et déjà une file d’attente qui s’étire sur le trottoir du Yat Lok. Au premier abord, ce bouiboui de Hong Kong, fondé en 1957, tient plus d’une adresse crasseuse que d’un rendez-vous incontournable du monde de la gastronomie. Et pourtant, sur la vitrine suintante, l’autocollant du bonhomme Michelin flanqué d’un macaron tend son pouce tout sourire. La propriétaire hurle un numéro en cantonais. Un couple se distance timidement de la queue: une table pour deux vient de se libérer.
D’autres partageront la leur avec des inconnus. A l’intérieur, exit l’ambiance feutrée qu’un habitué du guide rouge s’attendrait à retrouver. Le décor se résume à des oies rôties, la spécialité du chef, pendues à des crochets. Dans un brouhaha incessant, les serveurs jouent de leurs hanches pour se faufiler d’une table à l’autre.
A Hong Kong, 41 restaurants se targuent de posséder une étoile au guide Michelin. Véritable carrefour d’influences gastronomiques avec la présence de chefs internationaux à l’instar de Joël Robuchon ou Alain Ducasse, c’est la cuisine cantonaise qui, servie dans des adresses modestes, prend du galon. Certains proposent l’offre gastronomique la plus abordable du monde. L’autre point commun de ces adresses? La vitesse du service. Trente minutes par client. Ici, on mange et on paie directement à la caisse pour libérer au plus vite sa place. La note oscille entre 5 et 15 francs par personne.
Ainsi, ces Malaisiens de Sydney dégustent leur volaille à coups de baguettes, qu’ils accompagnent d’une soupe de nouilles de riz rehaussée de lamelles de porc laqué. Ce n’est pas l’étoile de la prestigieuse institution française qui les a attirés ici mais la notoriété dont jouit le restaurant en Asie: «Les blogs vantent l’adresse.» Certains voyageurs vont jusqu’à ramener une volaille entière à leur famille.
Vingt heures de préparation
«Figurer dans l’édition 2016 n’influence pas les prix, qui dépendent de l’inflation. Cette distinction ouvre nos portes à une clientèle européenne, constate le chef, Chu Kin Fai, avant d’asséner un coup de couteau à l’une des 70 volailles servies chaque jour. Depuis que mon père a ouvert ce restaurant, la recette reste identique. Pour nous, cette étoile symbolise le respect d’une tradition culinaire.» Il faudra donc vingt heures de préparation pour que l’oie devienne savoureuse avec une peau croustillante et une chair tendre entourée d’un gras fondant.
Gras, c’est ce que l’on retiendra aussi du restaurant concurrent, le Kam’s Roast Goose, spécialisé dans ce même volatile et aussi couronné d’une étoile. Kam, l’arrière-grand-père de l’actuel chef, a ouvert cette adresse dans les années 40.
Dans le même registre d’adresses étoilées à bas prix, deux chaînes se distinguent. Au dernier étage du centre commercial Silvercord, le Din Tai Fung sert ses fameux dim sum. Le premier restaurant ouvrait en 1958 à Taiwan. Aujourd’hui, ce fast-food étoilé du ravioli vapeur ou frit, établi dans toutes les mégalopoles d’Asie, accueille 1000 clients par jour. De son côté, le Tim Ho Wan sert des talons de phénix, ces pattes de poulet cuites dans une sauce abalone. Dans le quartier du North Point, seul le symbole du Michelin sur la devanture de cette cantine la différencie des autres échoppes qui se concurrencent.
On commande plusieurs assiettes à partir de 4 francs tout en sirotant un thé Pu-erh servi d’office. L’originalité des textures surprend, comme cette gelée de nèfles et de pétales servie en dessert.
Le Michelin inclut pour la première fois 23 stands de rue dans son édition 2016. Des raviolis cuits dans une soupe au gingembre aux brochettes de papaye en passant par du flan au riz ou au tofu, mais aussi du poulpe ou du foie de canard mariné dans du soja, ces chariots ambulants incarnent la tradition du snack cantonais à avaler sur le pouce. S’il faut manger vite, autant que ce soit savoureux.