Analyse. Le cas de l’industrie musicale montre pourquoi il ne faut pas avoir peur de la révolution numérique.
Depuis la naissance de l’internet, les observateurs de l’univers numérique se divisent en deux clans irréconciliables: les techno-optimistes et les technopessimistes. Pour les premiers, le réseau est participatif, encourageant les individus à échanger et à collaborer; pour les seconds, il polarise, divise et fragmente. La communication numérique serait un outil de libération et d’autonomie, ou au contraire d’asservissement collectif. Tous ces arguments avaient déjà été explorés par Nicholas Negroponte, créateur du Media Lab de Boston et du magazine Wired, dans son livre Being Digital, paru en 1995. A l’époque, les modems crépitaient et se connectaient au réseau à la vitesse de l’escargot et au tarif exorbitant de 5 centimes la minute.
La bonne nouvelle, vingt ans plus tard, est que ce débat entre pro- et anti-technologie numérique a globalement cessé. Ces avancées ont trouvé leur chemin dans notre vie, et la plupart des inquiétudes apparues au début des années 1990 et 2000 se sont tout bonnement révélées fausses. L’une de ces craintes, très répandue il y a encore dix ans, était que les sites de piratage nés dans l’anarchie des réseaux numériques des années 2000 finiraient par réduire l’offre culturelle en dépossédant les artistes de leurs droits et de leurs revenus. En réalité, c’est le contraire qui s’est produit.
Le cas de l’industrie musicale est particulièrement révélateur, puisqu’il s’agit d’une des toutes premières à avoir subi les effets de la «disruption» numérique. Il démontre que, passé le chaos initial provoqué par l’apparition de nouvelles technologies, des équilibres économiques nouveaux tendent à se mettre en place.
Les services illégaux d’échanges de fichiers ont d’abord provoqué la ruine des majors de la musique, certes, mais ils ont surtout permis l’apparition d’offres payantes d’accès à la musique, comme Spotify. L’entreprise suédoise compte aujourd’hui plus de 75 millions d’utilisateurs, dont plus de 20 millions ont souscrit à l’offre payante. Son concurrent Apple Music, lancé en juin 2015, compte déjà 20 millions d’utilisateurs, dont 10 millions d’abonnés payants dans 100 pays.
Spotify a reversé 3 milliards de dollars aux ayants droit, contredisant le discours des pessimistes qui prédisaient que l’anarchie des sites pirates finirait par les déposséder totalement. Plus de 40 millions de personnes paient chaque mois pour écouter de la musique, soit cinq fois plus qu’en 2010. A ce rythme, les revenus de l’industrie musicale mondiale devraient retrouver la croissance d’ici à 2018.