Andrea Böhm
Zoom. Même rigoriste, la religion musulmane n’exclut pas l’humour. On rigole beaucoup de soi-même et même Daech n’échappe pas à la plaisanterie.
La vague de réfugiés venue du Moyen-Orient crée le débat sur l’aptitude des musulmans à s’intégrer aux valeurs européennes. Voile, minarets, appel à la prière: au fond, à part brimer les femmes et se prosterner devant Allah, le musulman sait-il au moins rigoler? La satire fait-elle partie des mœurs licites?
L’Arabie saoudite est un pays dont le régime n’a pas la réputation d’être porté sur la galéjade. L’acteur Nasser Al Qasabi ne cesse pourtant de tester les limites de la satire au royaume wahhabite. Il gorille l’Etat islamique qui, en retour, le menace de mort. Il raille la polygamie et suscite la colère du clergé ultraconservateur: dans un sketch, il incarne une femme qui se demande lequel de ses quatre maris elle va mettre à la porte pour pouvoir convoler une cinquième fois.
Pendant ce temps, pour critiquer lui aussi les institutions mais sur un ton sérieux, le blogueur Raif Badawi est condamné à 1000 coups de fouet. Al Qasabi, lui, est en quelque sorte le fou du roi. Les censeurs du régime savent que la jeunesse saoudienne a besoin de lui comme soupape. D’autant plus que la télévision officielle a désormais un puissant concurrent: YouTube, le moyen privilégié choisi par une génération de jeunes comiques qui multiplient les gags sur les fatwas bizarres, l’interdiction faite aux femmes de conduire et la paresse de leurs compatriotes vivant de la rente pétrolière. Ces vidéos font l’objet de millions de clics. Mais la rigolade s’arrête au seuil du palais: interdit de s’en prendre à la famille royale, la répression est impitoyable.
Tourner en bourrique l’Etat islamique sur les scènes arabes et les médias sociaux est devenu un sport populaire. Certes, les parodies d’exécution par des djihadistes présentés comme des imbéciles et des ignorants suscitent un rire un peu jaune mais, vu le contexte, il est libératoire. Idem pour la troupe musicale libanaise Al-Rahel Al-Kabir qui, sur scène, soupçonne le «calife» de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, d’être directement inspiré par Dieu pour lutter contre la surpopulation en faisant exploser des voitures piégées sur les marchés. Le même jugerait la vue de tétines animales immorale selon les commandements divins. Et le groupe d’entonner: «Si j’étais une vache, je porterais un soutif.»
Miss piggy version arabe
En Iran, l’ayatollah Khomeiny, qui n’avait pas la réputation d’être un rigolo, fait désormais l’objet de multiples blagues sur les médias sociaux mais, là aussi, mieux vaut ne pas laisser son identité sur les posts. Dans tous les Etats autoritaires, la menace de tomber sous les coups de la censure ou de quelque fanatique fait partie des risques professionnels des comiques et satiristes.
Ces derniers ont la vie dure en Egypte depuis l’accession au pouvoir du maréchal al-Sissi. Mais la propagande du régime les dispense souvent de s’exprimer, tant la réalité peut dépasser la fiction. Que dire de plus, en effet, lorsqu’un gouverneur de province suspecte ouvertement le Mossad d’être derrière une attaque de requin en mer Rouge?
En Egypte, désormais, la figure la plus populaire est une marionnette: Abla Fahita, version arabe de Miss Piggy, est souvent en bigoudis, bas résilles et une cigarette au bec. Elle cancane à la télévision sur le sexe, la politique et les fesses des femmes qui, sous l’effet d’une situation économique toujours plus désastreuse, ne cessent de se ratatiner. «Nous vivons les plus belles années de la démocratie en Egypte et ceux qui ne sont pas d’accord, on leur coupera la langue», disait le comique Bassem Youssef à la télévision. Juste avant que son émission ne soit supprimée et qu’il quitte le pays.
© Die Zeit
Traduction et adaptation Gian Pozzy