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Samuel Schmid: «Qu’a-t-on appris au catéchisme? Comment vivre l’amour du prochain si on clôture la Suisse?»

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Jeudi, 26 Mai, 2016 - 05:54

Interview. Loin des projecteurs, l’ancien conseiller fédéral UDC devenu PBD s’engage pour une certaine idée de la Suisse, démocratique et humaniste. A la veille de la votation sur l’asile, il enjoint aux Suisses de ne pas renier leurs valeurs, leur culture chrétienne et la Constitution.

Il n’a pas l’air d’un résistant et pourtant il résiste, Samuel Schmid, ancienne bête noire de l’UDC de Christoph Blocher, lui qui devint conseiller fédéral en 2001 contre la volonté de son parti. On le taxa de candidat sauvage, même si cet adjectif colle mal à l’homme du Seeland, notable posé, lent dans la diction, tout en rondeur et recherche de compromis, épris de Socrate comme des penseurs du Siècle des lumières. Car, oui, la passion de Samuel Schmid était et reste le questionnement fondamental et permanent.

Il organisa une grande conférence sur l’euthanasie il y a… quarante-quatre ans. Encore député au Grand Conseil, il passa de longues heures avec la philosophe genevoise Jeanne Hersch avant de se plonger dans les travaux de la nouvelle Constitution du canton de Berne, dont il dirigeait les travaux. Il proposa aussi des compromis décisifs dans la loi sur l’avortement.

Plus récemment, Samuel Schmid s’est engagé dans un tout autre combat: contre l’initiative de son ancien parti pour le renvoi effectif des étrangers criminels. C’est lui qui a prié le conseiller d’Etat socialiste Hans Stöckli de demander à tous les ex-conseillers fédéraux de signer le manifeste en faveur du non. Onze sur 18 signeront. Et le Bernois compte bien résister aussi à la prochaine initiative de l’UDC contre les juges étrangers, une catastrophe à son avis.

Aujourd’hui, jour d’interview, Samuel Schmid revient de l’Assemblée générale de l’association Table couvre-toi, organisation qui distribue en Suisse des denrées alimentaires vouées à la destruction à des personnes dans le besoin. Rencontre avec un ex-UDC qui philosophe tout en travaillant à des solutions concrètes aux problèmes d’aujourd’hui. En Suisse mais aussi en Tunisie.

Vous avez pris la présidence, en février, du groupe d’amitié Suisse-Tunisie. Pourquoi?

La Tunisie a souhaité la création de ce groupe d’amitié. Il doit favoriser la poursuite du développement du pays dans la formation professionnelle, la culture et l’administration publique, notamment.

L’ex-ministre tunisien des Finances et de l’Economie est vice-président du groupe, et nous collaborons avec des entreprises suisses actives en Tunisie, comme Emmi ou ABB. Dans l’immédiat, je cherche en Suisse des employeurs potentiels et des possibilités de loger des jeunes de 20 à 30 ans environ, en possession d’un diplôme. Comme ils sont francophones, des places en Suisse romande seraient particulièrement adéquates.

Et pourquoi vous?

C’est une des suites du discours que j’avais prononcé à Tunis en 2005, quand j’étais président de la Confédération. J’avais ouvert le Sommet mondial sur la société de l’information et déclaré qu’il n’était pas acceptable que des pays, dont la Tunisie, emprisonnent des citoyens parce qu’ils critiquaient leurs autorités sur l’internet ou dans la presse.

Les anciens opposants sont aujourd’hui au pouvoir. J’ai été invité en 2013 au second anniversaire de la révolution et, plus tard, par la communauté tunisienne de Genève. Les gens m’ont dit que j’avais été le premier chef d’Etat à tenir un tel discours devant le président Ben Ali. Je leur ai répondu: «Merci, mais vous, vous devriez être en Tunisie maintenant. Votre pays a besoin de savoir et de compétences.»

Chéri des Tunisiens, vous avez longtemps été la cible de votre ex-parti, l’UDC. Désormais, il s’en prend à Simonetta Sommaruga. Qu’avez-vous pensé de l’attaque de Roger Köppel contre elle?

C’est la preuve que rien n’a changé à l’UDC. Malgré l’élection d’un deuxième conseiller fédéral que, par ailleurs, j’apprécie beaucoup. On a placé un président qui a l’air modéré lui aussi, mais on l’entoure de personnes agressives, peu domestiquées, pour gérer les dossiers les plus importants: Andreas Glarner pour l’asile, Roger Köppel pour l’Europe ou encore Magdalena Martullo-Blocher pour l’économie. Le spiritus rector a bien placé ses tireurs et il reste le chef de la stratégie.

L’autre preuve est l’attitude adoptée par le parti dans la question des réfugiés: on entend beaucoup de provocations et d’attaques verbales, mais rarement l’ébauche d’une solution réaliste. Au bout du compte, on déstabilise une partie de l’opinion publique, quand bien même le Conseil fédéral fait bien son travail et propose, lui, des solutions comme la nouvelle loi sur l’asile, qui permettra d’accélérer les procédures.

Etes-vous donc favorable à la réforme de l’asile soumise au vote le 5 juin?

Oui. Celui qui refuse cette loi ne doit plus jamais se plaindre de procédures trop longues! Ensuite, il faudra continuer d’observer l’évolution de la situation. Je crains que la fin du mouvement migratoire ne soit pas encore à l’horizon.

En se positionnant dans l’opposition, l’UDC est plus forte que jamais, cela malgré la scission qui a vu naître le PBD, votre parti depuis 2008. Et le PBD a chuté aux dernières élections fédérales. Comment l’expliquer?

Ce qui est fatal dans la position de l’UDC, c’est le double jeu. Avec des moyens financiers dont aucun autre parti ne dispose, on mène une campagne permanente, comme si le parti se trouvait dans l’opposition. Et on exige pourtant de participer au gouvernement.

Pour mon parti, je constate que les assemblées sont très vivantes, mais que nous ne savons pas bien nous vendre. Ce que je déplore surtout, c’est l’affaiblissement du centre, du PBD mais aussi du PDC. D’autant plus que les libéraux-radicaux ont peur de se positionner au centre. Or, le centre, ce n’est pas simplement le milieu, c’est reconnaître la force de la raison, préférer une solution bourgeoise plutôt que faire du surplace durant des décennies. Notre pays a besoin de ce liant, lui qui se construit sur l’équilibre des forces et la recherche du compromis.

Un rapprochement entre votre parti et le PDC aurait pu renforcer le centre. Regrettez-vous l’échec de cette alliance?

J’ai regretté qu’on n’en parle pas davantage, surtout avec la base. Même moi, j’ai entendu parler de ce rapprochement par la presse. Il faut beaucoup de travail de conviction dans certains cantons où ces deux partis sont plutôt des adversaires politiques. Ce travail-là a été négligé.

Et quid du succès retentissant de l’UDC l’automne dernier?

J’imagine que le parti a attiré, en partie, de nouveaux électeurs qui partent de l’idée que l’UDC a des recettes contre la migration. Et d’autres citoyens continuent d’élire des UDC par fidélité au parti agrarien. Pourtant, l’UDC n’est plus celle d’antan, et cela depuis longtemps! Au fond, c’est ce dernier groupe que je peine à comprendre: ceux qui n’approuvent pas la ligne, qui me le disent en aparté, mais qui restent UDC. Il y en a à Berne, il y en a aussi dans le canton de Vaud. En tolérant, voire en défendant, une politique qui n’est pas la leur, ils la légitiment. Ils donnent l’illusion qu’elle est raisonnable. Or, elle ne l’est pas.

Est-ce pour cela que vous vous êtes engagé contre l’initiative de mise en œuvre contre les criminels étrangers?

Oui, bien que je ne sois pas pour les criminels étrangers, j’étais contre le texte de l’initiative de mise en œuvre.

Analysons le programme que l’UDC propose à la population suisse. Nous avons eu l’initiative «Contre l’immigration de masse» en 2014. On était prêts à risquer les accords bilatéraux. Souvenez-vous de la campagne. Nous l’avons complètement sous-estimée, laissant Mme Sommaruga très seule à défendre le non. Avant les votations sur l’ONU ou sur les accords bilatéraux, le Conseil fédéral dans son ensemble était bien plus engagé. A moi seul, j’ai été une cinquantaine de fois devant le peuple durant la campagne pour l’adhésion à l’ONU.

Puis est venue l’initiative de mise en œuvre. Heureusement, les opposants se sont mobilisés cette fois-ci car, si elle avait été acceptée, elle aurait rompu avec une longue tradition de notre démocratie qui consiste à laisser le Parlement légiférer, soit créer une loi d’application pragmatique qui respecte l’initiative, mais pas forcément à la lettre.

Pis encore est l’horrible initiative «Le droit suisse au lieu de juges étrangers». En cas de oui, elle changerait la face de la Suisse, complètement. Nous devrions éventuellement dénoncer des conventions internationales. Notre pays ne serait plus celui qui tend la main, nous devrions renier notre histoire et notre tradition humanitaire. Les partisans de l’UDC affirment qu’ils sont les derniers Suisses. Si l’on accepte leurs initiatives, effectivement, ce sera la fin d’une certaine idée de la Suisse.

Revenons à la question de l’asile, qui occupe tant l’agenda politique, mais aussi la population. Si l’UDC gagne, c’est aussi parce que les gens ont peur face à l’afflux de réfugiés en Europe. Vous ne les comprenez pas?

Mais si, je comprends que les gens puissent se sentir désécurisés. Nous vivons une période exigeante, avec plus de questions que de réponses. Ce qui, déjà, peut faire peur. Il est vrai aussi que nos acquis et le bien-être que beaucoup connaissent aujourd’hui sont menacés par la mondialisation.

Et tout cela profite à ceux qui lancent des solutions simples, comme fermer les frontières. Mais on ne résout pas les problèmes en les ignorant ou en niant les changements.

Et que dites-vous à ceux qui craignent l’islamisation de nos sociétés?

Je leur pose ces questions: quel est le noyau de notre culture chrétienne? Qu’a-t-on appris au catéchisme, si ce n’est l’amour du prochain? Comment vivre l’amour du prochain si l’on clôture la Suisse? Je crois que l’Eglise a ici une chance de jouer un rôle humaniste. Ou bien devrions-nous répondre à une mère musulmane, qui fuit la guerre et qui a peur pour ses enfants: «Nous aussi nous nous sentons menacés en tant que chrétiens; nous ne pouvons donc pas vous aider, désolés»? L’amour du prochain ne se limite pas à la nationalité ou à la religion.

Y voyez-vous une contradiction?

Certainement. Au lieu d’attiser la peur, il faut parler aux gens, rappeler quelles sont les valeurs suisses, celles qui reposent sur notre Constitution, dont le préambule stipule: «La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres.»

Nous ne devons pas renoncer à nos propres valeurs sous prétexte que nous nous sentirions menacés. Ayons confiance en nos forces, en nos valeurs! Vivons selon nos règles! Nous pouvons renvoyer les demandeurs d’asile quand ils ne courent pas de danger chez eux. Ou quand la situation se sera améliorée dans leur région. Mais, quand ce n’est pas possible, il est de notre devoir de nous occuper d’eux, de les nourrir, de les loger, de les intégrer. C’est un défi, c’est certain, mais nous en avons déjà relevé d’autres.

Surtout, restons pragmatiques et raisonnables. On ne va pas mourir de faim en Suisse. Dans nos campagnes seelandaises, quand arrivait un visiteur qui n’était pas attendu, ou qu’un enfant venait au monde alors qu’il n’était pas vraiment prévu, les paysans disaient: «Eh bien, on mettra un couvert de plus sur la table.»

Que voulez-vous dire?

Que les temps changent perpétuellement. Nous avons eu le temps des découvertes de Christophe Colomb, le Siècle des lumières, l’ère de l’industrialisation, le temps des guerres mondiales puis de la société de l’information. Aujourd’hui, nous entrons peut-être dans l’ère du partage. Si on l’aborde avec bon sens, beaucoup de ce que nous pensons impossible devient possible.

Chacune de ces époques a apporté avantages et désavantages. Avec l’industrialisation, le travail des enfants a augmenté, mais les plus pauvres ont pu mieux se nourrir. La Seconde Guerre mondiale fut une catastrophe, mais elle a au moins mis fin au nazisme. Quant à la communication mondialisée, elle permet à chacun de voir dans la cuisine d’un autre, le monde est redevenu plat, tout se trouve juste à côté et les distances ont perdu en importance. Elle a sans doute joué un rôle aussi dans les flux migratoires.

Je me souviens de plusieurs voyages à Bamako, au Mali, quand j’étais au Conseil fédéral. J’ai rendu visite à des familles qui vivaient dans des huttes. Ils me disaient: «Ah vous venez de Suisse? On connaît, la télévision diffuse souvent des reportages sur votre pays.» Dans ces quartiers, beaucoup rêvent d’émigrer.

Peut-on accueillir tout le monde, ou y a-t-il une limite?

Non, on ne peut pas accueillir chacun, mais fixer une limite est difficile. Si la situation changeait profondément, on pourrait en reparler. Mais, actuellement, j’aurais honte de fermer les frontières dans la situation privilégiée dans laquelle nous vivons. On ne peut pas dire «Laissez venir à moi les petits enfants» à Noël puis boucler les frontières au printemps. L’expérience montre qu’on peut partager bien plus qu’on ne le croit.

Décidément, vous croyez aux miracles!

Pas du tout. Plutôt à la capacité des êtres à s’adapter. Le défi consistera à ne pas étendre la pauvreté dans le monde, mais la prospérité. Je précise: la prospérité, pas le luxe.

Je ne suis pas pessimiste. En fait, je fais confiance à la force de la raison. A chaque époque, il y a des hommes et des femmes qui se sentent responsables, qui essaient de trouver des solutions pour répondre aux problèmes qui se posent. Chaque période charrie ses problèmes, car la Terre n’est pas le paradis. Elle va continuer de changer et les hommes d’émigrer. D’autant plus que les changements climatiques qui augmentent le niveau des mers et aggravent les sécheresses provoqueront de nouveaux mouvements de population.

L’ouverture envers les réfugiés syriens qu’a montrée la chancelière allemande Angela Merkel s’explique-t-elle par son éducation chrétienne – son père pasteur dirigeait un centre évangélique, dont un établissement pour handicapés?

Je l’ignore. Angela Merkel est une femme remarquable. Les législatures durent quatre ans, mais la question des réfugiés dépasse les prochaines élections, elle relève de l’histoire. Je pense que Mme Merkel, si critiquée aujourd’hui, sera perçue différemment dans les livres d’histoire. 

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Bernard van Dierendonck / Ex-Press
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