Dejan Nikolic
Interview. Pour Corine Moinat, présidente de Genève Aéroport, l’atout de Cointrin est d’être une plateforme urbaine, proche du centre-ville. C’est aussi son principal problème. La campagne dans laquelle il s’insère s’étant urbanisée, son développement y est limité.
Corine Moinat préside Genève Aéroport depuis janvier 2015. C’est la première personne extérieure à l’exécutif genevois à occuper cette fonction stratégique, pour laquelle elle n’avait pas postulé. Si l’on est allé la chercher pour remplir ce rôle, c’est en raison de son expérience de terrain des centres commerciaux – elle affiche trente-six ans de carrière chez Migros – et de grands travaux d’infrastructure. Des compétences fort utiles, sachant que Cointrin est en chantier perpétuel et que la moitié de ses recettes émane de boutiques, de restaurants et de parkings.
Quelle est la mission centrale de Genève Aéroport?
Nous sommes spécialisés dans le «point à point» et avons vocation à relier Genève aux principales villes européennes dans un rayon de deux heures de vol en moyenne. Parallèlement à cela, nous développons quelques lignes intercontinentales dans le même but d’améliorer la connectivité de Genève. En cela, nous sommes au service de la population de notre zone de chalandise et de son activité économique, touristique, diplomatique. En reliant des villes et des hommes, nous avons aussi une dimension sociale et culturelle.
Quels sont les avantages et les inconvénients du tarmac genevois?
Son atout fondamental est d’être une plateforme urbaine, proche du centre-ville. C’est toutefois aussi son principal problème: la campagne dans laquelle nous sommes nés s’est lotie et urbanisée. Notre développement y est limité.
Comment réagissent les associations de riverains, remontés contre les nuisances engendrées par leur voisin aéroportuaire, quand vous leur expliquez que vos infrastructures sont indissociables de l’essor économique de la région?
Personne ne nie le fait que les aéroports sont des plateformes industrielles qui génèrent des pollutions: nous mettons en œuvre des mesures environnementales et énergétiques pour réduire notre empreinte écologique et limiter notamment le bruit. A certains riverains exposés à ces nuisances, notamment sur la rive droite, je voudrais rappeler que nous menons des programmes ambitieux d’insonorisation des logements.
Par ailleurs, les avions seront de moins en moins bruyants à l’avenir. Et, surtout, l’aéroport n’étendra jamais ses horaires d’exploitation. Lorsqu’on se plaint du bruit, je doute que l’on soit très sensible aux arguments économiques. Pourtant, il faut rappeler que l’aéroport est l’épine dorsale de l’activité de toute une région et bénéficie à plus de 6,4 millions de personnes. Quoi qu’il en soit, nous devrons aller au-devant de ces populations pour faire plus de pédagogie.
C’est-à-dire?
Je pense qu’un certain nombre des critiques qui nous sont faites sont le fruit d’un manque d’information: sans doute avons-nous été défaillants sur ce point et nous allons y remédier. Nous le devons à nos riverains d’abord, mais aussi à notre infrastructure: les aéroports qui gèrent mal les relations avec leur voisinage sont en général des plateformes en très grande difficulté. Ce qui ne fait au final que des perdants.
En quoi les compétences spécifiques du nouveau directeur de Genève Aéroport, André Schneider, vont aider à accompagner les défis à venir?
André Schneider est un scientifique – il est docteur en informatique – autant qu’un homme de culture (il fut joueur de tuba dans des orchestres prestigieux, ndlr). C’est un bon communicant, une personnalité qui aime les défis. Ses expériences au CERN, au WEF ou à l’EPFL font qu’il est rompu à travailler dans des structures qui connaissent des évolutions rapides. Il est en outre doté d’une autorité naturelle doublée d’un esprit d’innovation et dispose d’un excellent réseau international et de relais politiques locaux, régionaux et nationaux. Le fait qu’il ne soit pas un expert en aéronautique importe peu. Nous disposons déjà, à l’interne, de toutes les compétences requises pour cela. André Schneider a pour tâche de comprendre le modèle d’affaires de Genève Aéroport, de développer une stratégie et une vision globales.
Que pouvez-vous dire du processus de recrutement?
Je ne parlerai pas des candidats malheureux à ce poste (selon nos sources, une dizaines de personnes, dont une poignée seulement aurait été auditionnée, jusqu’à ne retenir que deux finalistes, ndlr). Concernant André Schneider, son profil nous a été recommandé par un chasseur de têtes. Il ne cache pas qu’il avait déjà été intéressé par l’aéroport à d’autres moments de sa carrière. Il nous arrive aujourd’hui riche d’expériences complémentaires.
Quelle est précisément votre zone de chalandise?
Il s’agit d’un bassin de 6,4 millions d’habitants, qui comprend les six cantons romands, la France voisine, mais aussi le val d’Aoste. La France voisine s’est longtemps limitée aux départements de l’Ain et de la Haute-Savoie. Avec le développement de notre offre longs courriers, nous aimantons à présent aussi des voyageurs venant de Savoie, de l’Isère et du Rhône.
Cointrin est-il complémentaire ou rival des aéroports zurichois (28 millions de passagers) et bâlois (7 millions)?
A la limite de leurs zones de chalandise respectives, les aéroports peuvent jouer une certaine concurrence. Un Bernois, par exemple, hésitera certainement entre les trois plateformes, si ces dernières desservent les mêmes routes. Interviennent alors le paramètre linguistique et le choix de destinations offertes. Avec 142 destinations desservies depuis Genève, soit l’une des densités de dessertes les plus fortes d’Europe – si on la ramène à un canton qui flirte avec les 500 000 habitants –, nous disposons d’un atout certain. Le reste de la différence se fait sur la qualité du service offert, et nous travaillons à son optimisation.
L’aviation d’affaires est-elle un segment stratégique, de poids égal au trafic commercial?
La concession fédérale au bénéfice de laquelle nous gérons cette plateforme nous fixe des priorités avec le trafic de ligne et charter. Cela étant, nous nous efforçons de conserver à l’aviation générale la place importante qui est la sienne à Genève. Nous sommes le deuxième aéroport d’aviation d’affaires en Europe après Paris-Le Bourget, car ce segment est vital pour Genève et sa région. Nous conservons des créneaux à cette aviation, soit un minimum de quatre mouvements par heure. Nous travaillons en outre à la densification du stationnement des jets. Et nous continuons à nous donner les moyens d’accueillir chaque année le fameux salon EBACE.
Comment comptez-vous gérer l’essor attendu de Cointrin (25 millions de passagers d’ici à quinze ans), tenant compte de son confinement?
Rappelons d’abord que ce chiffre (+56% de fréquentation par rapport à aujourd’hui, ndlr) ne constitue pas un objectif de croissance, mais une évaluation de la demande. Ce qui équivaut à une augmentation du nombre d’usagers de 3,3% par an sur les quinze ans à venir, soit un rythme inférieur aux années précédentes (taux annuel de 5,9% entre 2002 et 2013, ndlr). Quoi qu’il en soit, les besoins évoluent beaucoup plus vite que notre capacité à y répondre. Ce d’autant plus que les étapes suivantes appelleront des investissements plus importants.
Nous avons donc toujours un temps de retard dans l’adaptation de nos infrastructures. En effet, il faut en moyenne dix ans pour développer un projet, alors que les lignes aériennes peuvent se multiplier en beaucoup moins de temps. Nous ne disposons certes pas de réserves foncières, mais nous sommes encore en mesure d’optimiser l’utilisation des ressources existantes.
Quel est votre programme de nouvelles infrastructures, et quel est l’ordre de grandeur des investissements prévus?
Nous sommes en train d’élaborer la fiche du plan sectoriel d’infrastructure aéronautique (PSIA). Ce document va donner le cadre de notre développement futur. Avant qu’il ne soit sous toit, toute communication sur des projets d’envergure est prématurée. Mais nous avons effectivement diverses réflexions à l’horizon des prochaines décennies. On peut penser qu’un certain nombre d’aménagements interviendront au nord de nos installations. Au sud, l’aérogare actuelle, datant de 1968, va subir des travaux à partir de juillet prochain, durant dix-huit mois. L’objectif est de se mettre aux normes (le lieu a été conçu à l’origine pour 5 millions de passagers, ndlr), en repoussant les murs de 3 mètres, côté autoroute.
A quoi correspond le projet confidentiel Cointrin Vision? Il y est évoqué 2 milliards de francs d’investissements (lire Les pistes confidentielles de Cointrin Vision).
Aucune décision de construire Cointrin Vision n’a été prise. Le principe n’en a pas été voté par le conseil d’administration. Et, surtout, son financement n’est pas envisageable en l’état, compte tenu précisément des valeurs articulées. Par ailleurs, aucun coup de pioche nouveau ne sera donné avant que la fiche PSIA ne soit adoptée, ce qui rend toute communication sur de tels projets tout à fait prématurée.
Qu’en est-il de l’élargissement de l’aile est? S’agit-il du chantier de tous les chantiers?
Non, ces travaux ne sont qu’une étape, une remise à niveau dans l’essor et la modernisation de Genève Aéroport. Les destinations intercontinentales – les plus prestigieuses au départ de Cointrin – ne doivent plus être traitées dans des installations obsolètes, construites à titre provisoire dans les années 70.
Que feriez-vous si le flux de voyageurs devait atteindre la barre des 25 millions avant 2030?
Il ne faut pas craindre le nombre de passagers: ce ne sont pas eux qui font du bruit, mais les avions! Or la fréquence des mouvements n’est heureusement pas proportionnelle à la quantité d’usagers. En dix ans, leur nombre a progressé de 56%, tandis que les atterrissages et les décollages n’ont augmenté que de 7%.
Une participation au capital des aéroports de Lyon est-elle vitale pour Genève?
Non, mais c’est une occasion de donner un cadre officiel à une collaboration (déroutement d’avions, etc., ndlr) qui existe déjà depuis des années. Il faut voir cette entrée au capital des aéroports de Lyon comme une mutualisation de compétences et rien d’autre. Il ne s’agit pas non plus d’un investissement spéculatif, mais d’un calcul stratégique: Lyon et Genève sont souvent amenés à parler d’une même voix dans le cadre d’une région en voie de métropolisation.
EasyJet a indiqué dernièrement dans la presse suisse alémanique qu’elle se sentait à l’étroit à Genève, où elle détient plus de 42% des parts de marché. La compagnie britannique, souvent diabolisée en raison de son emprise au bout du lac, lorgne le tarmac de Zurich. Cela vous dérange-t-il?
Pas du tout, c’est même une excellente chose! Cette compagnie conservera à Genève une de ses bases (quelque 70 destinations, ndlr) les plus dynamiques en été comme en hiver. Il n’y a aucun risque qu’elle cannibalise sa clientèle genevoise. Il convient par ailleurs de relativiser les critiques faites à cette aviation à bas coût. Elle a beaucoup évolué depuis sa création et a eu une influence vertueuse sur un certain nombre de points à Genève. C’est une entreprise jeune, qui a contribué au rajeunissement de la flotte et a bousculé les lignes.
Si vous pouviez choisir, quelles lignes d’avion supplémentaires ouvririez-vous?
Genève Aéroport mériterait de développer d’autres vols longs courriers, à destination de l’Asie, de l’Amérique latine et de l’Afrique. Il faut toutefois garder à l’esprit que nous n’avons pas la vocation de devenir un hub, comme Zurich. Nous ne disposons de toute manière pas de la place pour le faire.