Dejan Nikolic
Révélations. Les développements projetés par les autorités aéroportuaires à l’horizon 2030 n’ont pas encore été rendus publics. Les informations auxquelles a eu accès «L’Hebdo» évoquent la construction d’une vaste esplanade publique au-dessus de l’autoroute. Ainsi que celle d’un «business center» et d’un hôtel.
A quoi pourrait ressembler Genève Aéroport dans quinze, vingt ou cinquante ans? Un projet ambitieux, imaginé par les autorités aéroportuaires et dont le contenu précis est classé secret depuis plusieurs années, vise à repousser les limites d’un tarmac dépassé par son succès. Son nom de code: Cointrin Vision.
Pour l’heure, les croquis dorment, couchés sur du papier à l’abri des regards. L’Hebdo a pu se procurer en partie cette feuille de route confidentielle, ayant fait l’objet d’un appel d’offres l’été dernier. Les plans relativement détaillés laissent entrevoir de très importants travaux. Soit l’aménagement de 25 000 m² supplémentaires dédiés aux activités aéroportuaires et la création d’une esplanade dotée d’un espace commercial dont la surface irait de 40 000 à 74 000 m².
«Les premières estimations de coûts sont de l’ordre de 2 milliards de francs, dont 1,230 milliard pour les parties utiles à l’aéronautique», indique l’étude d’intention, qui explore plusieurs clés de répartition pour ces investissements. Pourraient participer au financement: l’Etat, un consortium de cantons romands, Cointrin – qui, seul, ne dispose pas de la capacité d’endettement suffisante pour mener à bien ces développements –, des partenariats privés, etc.
Revaloriser tout un quartier
Cointrin Vision plaide pour une extension des halls de départ et d’arrivée, ainsi que d’un espace supplémentaire pour le traitement des bagages. Le projet s’intégrerait dans un nouveau pôle d’activité enjambant l’autoroute, avec une place publique, un business center, des restaurants, d’autres commerces, davantage de bureaux, un hôtel et un parking.
Il est aussi question de construire une plateforme de transport multimodal, pour 250 millions de francs supplémentaires, prix comprenant l’enfouissement de la ligne à haute tension passant par là. «Ce projet permettrait de revaloriser le quartier et à l’aéroport de couvrir ses besoins futurs, tout en bénéficiant d’une possibilité de recettes commerciales complémentaires (ndlr: les magasins, restaurants et parkings représentent à ce jour près de 50% du chiffre d’affaires de Genève Aéroport)», précisent les auteurs de Cointrin Vision, craignant des retards importants du chantier en raison de probables oppositions, alors qu’une extension serait nécessaire dès à présent.
Le terminal genevois est l’un des plus vieux d’Europe encore en service sous sa forme originelle. Sorti de terre à la fin des années 1960, il a été conçu pour accueillir 5 millions de passagers. Ce cap a été franchi en 1985. Le tarmac accueille aujourd’hui trois fois plus de voyageurs. Et il attend 10 millions d’usagers supplémentaires d’ici à 2030.
Cointrin Vision évalue la demande future entre 18 millions – estimation la plus conservatrice – et 25 millions de passagers en 2030, soit une hausse de 30 à 80% par rapport à 2012 (la croissance a été de 80% entre 2002 et 2012). Certes, indiquent les auteurs du projet, des bâtiments ont été ajoutés pour augmenter la capacité, comme l’aile ouest en 2000, mais toujours de manière réactive, sans véritable planification à long terme. Le cœur de l’aérogare a, pour l’essentiel, conservé sa forme originelle.
Conséquence: en l’état, Cointrin serait incapable de gérer certains incidents, notamment en période de forte affluence. Sachant que les aéroports de taille comparable à la plateforme genevoise visent au moins la norme IATA C, correspondant à un service bon, pour un flux de passagers stable et un volume de retards acceptable (E étant la note décrivant un service incorrect, un trafic de voyageurs instable et des retards inacceptables). «Pour satisfaire au standard IATA C, il faudrait au maximum 10,3 millions de passagers par an», relève Cointrin Vision, qui fixe la capacité limite de l’aérogare à 16 millions de voyageurs, soit le niveau actuel.
Nouveau terminal côté français?
Au-delà de ce seuil, l’essor de l’aéroport sur le territoire suisse relèvera de l’impossible, souligne un procès-verbal du département de l’Ain, daté de novembre 2015 et que L’Hebdo s’est procuré. Raison pour laquelle une étude visant à mesurer les effets de l’aménagement d’un nouveau terminal côté français (secteur douane/Colovrex ou vers le bois de la Bagasse) a été votée à l’unanimité par les autorités voisines il y a quelques mois.
La source d’inspiration probable de cette mesure exploratoire: Gatwick, l’aéroport monopiste (comme à Genève) le plus fréquenté du monde, avec ses plus de 34 millions de passagers par an. Ce dernier, contrairement à Cointrin, dispose de deux terminaux (un à chaque bout du tarmac), lui permettant d’organiser 55 atterrissages ou décollages par heure, contre 40 au bout du lac. Pourtant, selon nos informations, un autre scénario se profilerait également à l’horizon. Celui de réaliser, au nord du tarmac, sur le plan d’herbe actuellement dédié à l’aviation de loisirs, des pistes de dégagement rapides, toujours afin d’accélérer les rotations des avions.
Toujours d’après Cointrin Vision, 18 week-ends par an, des mesures extraordinaires doivent être prises en raison de sérieux «goulets d’étranglement», conduisant à rouvrir le «vieux terminal 2, dont certaines zones ne correspondent même pas au niveau IATA E». Début janvier dernier, par exemple, Genève Aéroport a accueilli quelque 160 000 passagers sur un week-end. Ce qui correspond théoriquement à près de 30 millions de voyageurs par an!
Problèmes de sécurité
Toujours d’après Cointrin Vision, la structure du terminal et la vétusté des installations – préviennent les responsables aéroportuaires – peuvent être à l’origine de risques importants, «comme lors d’incendies ou d’attaque terroriste». Le manque d’espace et de profondeur, ainsi que la concentration du pôle de sûreté en un seul endroit, contrairement à d’autres aéroports tels que Zurich, compliquent une évacuation efficace. «Un début d’incendie en février 2009 a démontré le risque potentiel d’une rupture d’exploitation, voire l’engagement de la responsabilité de l’aéroport [ou même de l’Etat]», signale le rapport.
Selon Cointrin Vision, la plateforme genevoise n’exploite pas entièrement son potentiel économique. En effet, les dépenses par passager y sont de 50% supérieures en comparaison avec d’autres aéroports (12 fr. 70 par voyageur au lieu de 8 fr. 40). L’espace dévolu au shopping est ainsi 40% inférieur, en surface, à la référence internationale.
«Il devient urgent pour Genève de prendre position et d’avoir un rôle proactif sur son développement futur, étant donné les implications éventuelles de nombreux projets touchant à son environnement direct et la concurrence pour les budgets fédéraux et cantonaux dans des domaines qui le touchent indirectement (ndlr: futur quartier de l’Etang, projet d’agglomération Mail Sud, agrandissement de l’autoroute, transports publics comme le CEVA, etc.)», concluent les auteurs du rapport stratégique visant à éviter que Genève Aéroport ne subisse un enclavement définitif, sans plus aucune marge possible d’essor.