Dejan Nikolic
Enquête. En 2030, 25 millions de passagers devraient passer annuellement par Cointrin, soit une augmentation de fréquentation de l’ordre de 56%! Les infrastructures de l’aéroport doivent donc être adaptées, modernisées. L’enjeu économique est grand pour toute la région, et le financement est lui aussi de taille. «L’Hebdo» a eu accès à des documents confidentiels.
C’est à la fois l’enfant mal aimé de la République et l’épine dorsale du développement de la Suisse occidentale. Genève Aéroport est source de préjudices: pollution, bruit – plus de 20 000 personnes seraient concernées –, etc. Mais il constitue aussi le baromètre économique de la région. Environ 35% des marchandises transportées (en valeur) le sont par les airs. Mieux: 6,4 millions d’individus, provenant des six cantons romands, de France voisine, jusqu’en Italie, profitent directement du tarmac.
La pesée d’intérêts penche clairement en faveur des bienfaits de Cointrin, nonobstant les préjudices qu’il occasionne. Car les chiffres sont têtus: Cointrin générait, voilà cinq ans, 7,270 milliards de francs de retombées économiques, pour 43 620 emplois directs et induits, selon une étude du bureau zurichois Infras. Il participe aujourd’hui à la création de 0,954 place de travail pour 1000 passagers transportés, d’après un rapport signé Intervistas datant de 2015.
Jamais aucune fausse note comptable
Prospère depuis sa création il y a près d’un siècle, le tarmac du bout du lac n’a jamais eu à présenter de bilan négatif. Rien que l’an passé, la plateforme a généré des ventes en hausse de 4,9%, à 423,7 millions de francs, pour un bénéfice de 76 millions de francs, dont la moitié a été reversée au canton. Voilà pour le côté pile.
Côté face, la plateforme genevoise voit s’amonceler d’inquiétants nuages à l’horizon. Cointrin devrait en effet connaître 25 millions de passagers d’ici à 2030, soit une augmentation de fréquentation de l’ordre de 56%, à en croire les calculs d’Intraplan (2014). La progression linéaire du nombre de voyageurs attendus est toutefois de 3,3% par an, contre 5,9% entre 2002 et 2013. Son corollaire: 248 000 atterrissages et décollages d’avions (un vol toutes les 90 secondes), soit une évolution annuelle (+1,6%) moins marquée que celle du nombre d’usagers en raison de taux de remplissage plus performants.
Quoi qu’il en soit, la combinaison de ces différents rythmes de croissance exigera d’adapter les infrastructures, sachant que la plateforme genevoise – qui s’étend sur environ 340 hectares – ne dispose plus d’aucune réserve foncière. Il devrait en coûter, du moins officiellement, quelque 100 millions de francs par an, soit une cadence d’investissements comparable aux précédents exercices. La Cour des comptes genevoise devait d’ailleurs livrer à ce sujet un audit exhaustif fin février dernier. Mais vu l’ampleur de la tâche rétrospective à l’œuvre, l’organe de contrôle a dû étendre son mandat. Un rapport final est annoncé pour juin prochain.
Discussions brûlantes
Comment éviter que Cointrin ne finisse par suffoquer? L’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) a lancé en 2013 la fiche du plan sectoriel de l’infrastructure aéronautique (PSIA) spécifique à Genève Aéroport, définissant les conditions d’exploitation et de développement de la plateforme.
Ce document est capital. Sans lui, la plateforme ne peut plus lancer aucun chantier. La feuille de route, en cours d’élaboration, doit mettre en balance les bienfaits et les inconvénients du trafic aérien, fixant les futures orientations du tarmac. A savoir, délimiter les volumes de passagers et d’avions attendus pour faire évoluer les installations en conséquence. Zurich a déjà dressé les contours de ses besoins à venir. Non sans difficultés: le processus aura pris cinq ans. Genève, qui s’y attelle en ce moment même, a pour défi complémentaire de devoir garantir la cohérence du dispositif avec son plan directeur cantonal, incluant par ailleurs dans les discussions les communes concernées. Ambiance.
A ce contexte s’ajoute l’avancement d’un projet confidentiel baptisé Cointrin Vision, dont L’Hebdo a pu obtenir une copie (lire Les pistes confidentielles de Cointrin Vision). Ce document formel, pour l’heure présenté comme étant de la musique d’avenir, ne dresse pas moins un état des lieux sévère du tarmac. Il contient des réflexions détaillées sur les dimensions souhaitées pour la plateforme genevoise, victime de son succès. Corollaire des ambitions immobilières qui y sont décrites: 2 milliards de francs d’investissements, répartis entre l’aéroport, le canton, les communes et des partenaires privés.
Face aux contraintes géographiques limitant sa marge de manœuvre, Genève Aéroport s’efforce pour l’heure d’optimiser chaque mètre carré. A tel point que son fonctionnement tiendrait parfois du miracle. Jamais personne n’aurait imaginé un tel essor de la plateforme du bout du lac Léman. Intraplan estimait, en 2014 déjà, que la croissance du nombre de passagers dépassait toutes les prévisions (six ans d’avance!). A noter toutefois que les partenaires du processus de coordination PSIA – pour l’heure ultraconfidentiel, avec un résultat attendu fin 2017 – ont revu à la baisse les derniers calculs d’Intraplan. Selon nos informations, ils ont retenu 235 000 mouvements, dont 190 000 pour le trafic de ligne et charter, au lieu des 248 000 estimés voilà deux ans.
Risque d’atrophie du PIB
Au fait, que serait la région sans Cointrin? «L’aéroport de Genève est l’un des plus anciens d’Europe. Son développement, notamment depuis la fin des années 30, a eu un impact très important sur notre richesse et nos industries phares», explique son ministre de tutelle, Pierre Maudet. Selon l’élu PLR, l’aéroport est un outil économique indispensable, également vecteur de vitalité universitaire. Sa desserte a favorisé l’implantation des multinationales – dont l’un des trois principaux critères d’implantation est la connectivité avec l’étranger – et contribue au maintien des 40 000 travailleurs de la Genève internationale.
«Enlever Cointrin, porte d’entrée vers les Alpes françaises et suisses, reviendrait à vider la plupart des hôtels situés entre Chamonix et le Valais», renchérit Pierre Maudet. Et ce dernier de rappeler: «Un avion ne transporte pas uniquement des passagers. C’est également du fret et donc des exportations de produits à forte valeur ajoutée.»
Cointrin est aussi, selon la formule consacrée, une petite ville dans la ville, employant près de 1000 personnes, ce qui représente 100 millions de masse salariale annuelle. Sans l’aéroport, il faudrait aussi faire une croix sur les 10 000 postes de travail – ventilés à travers 200 entreprises – que recense au total le site genevois.