Steve Riesen
Décodage. Les applications de diffusion de vidéo en direct comme Periscope ou Faceboook Live s’imposent de plus en plus dans le paysage médiatique mondial. Elles permettent de partager concerts et événements en temps réel depuis un smartphone. De quoi inquiéter les médias traditionnels qui perdent le monopole du direct, y compris en Suisse.
La journée débute tranquillement par un petit concert de bossanova à Rio. Elle se poursuit avec un mariage unique dans les ruines de Gaza, avant de finir en beauté devant un coucher de soleil depuis une plage de sable chaud à Sydney. Sur les applications Periscope et Faceboook Live, le monde se dévoile en temps réel à travers le regard des autres.
Une démocratisation qui a également une conséquence très concrète sur le paysage médiatique: la fin du monopole de la télévision sur la diffusion en direct. Grâce à ces applications, les événements sportifs, politiques, les concerts ou même les attentats peuvent être diffusés en temps réel par n’importe qui. Des instruments que des personnalités ont su, elles aussi, saisir pour dispenser leur message à une large audience, sans être invitées sur un plateau de télévision.
Aux Etats-Unis, les candidats à la présidentielle ont ainsi tous diffusé leurs discours sur Periscope. En France, Marine Le Pen s’est adressée en direct à près d’un demi-million de spectateurs par Facebook Live. Sur un ton plus léger, Jean-Louis Aubert, du groupe Téléphone, a partagé un moment d’intimité avec ses fans en chantant depuis son salon. En Suisse, Bastian Baker a diffusé 30 minutes d’un concert en direct, visionné par 10 000 internautes sur Facebook.
La presse s’est également rendu compte qu’elle avait entre les mains un outil intéressant pour donner rapidement de l’information en vidéo via les réseaux sociaux. Ainsi, L’Hebdo a transmis en direct sur son site et sur Facebook Live l’intégralité des quatre heures du Forum des 100. Un canal que le quotidien 24 heures a aussi emprunté pour diffuser des images sur la destruction des halles de la gare de Lausanne. Quant à la Tribune de Genève, elle en a profité pour couvrir en direct le Salon de l’auto, notamment lors de la présentation d’une nouvelle Lamborghini, qui a généré 100 000 vues simultanées.
S’adapter aux réseaux sociaux
Le premier contact avec Periscope a été une révélation pour Laurent Keller, rédacteur en chef de Léman Bleu. «J’ai essayé cette application pour la première fois en mai 2015, lors d’un match du Genève-Servette. Lorsque j’ai commencé à enregistrer, j’ai eu un vertige: je me suis rendu compte à quel point c’était devenu facile et que l’on devait rapidement évoluer.» Quelques mois plus tard, la chaîne annonçait que son téléjournal estival serait entièrement tourné avec un iPhone. Une expérience concluante qui a fait parler d’elle aux quatre coins du globe, de Canal + à la BBC, en passant par la télévision camerounaise.
Léman Bleu a également diffusé quelques événements sur Periscope. «Nous optons pour cette plateforme lorsque nous sommes les premiers à couvrir une actualité qui a une résonance internationale, explique le rédacteur en chef. Nous avons par exemple filmé la conférence de presse du parquet genevois consacrée à l’accord trouvé avec HSBC. Nous étions suivis en Angleterre, notamment par les journalistes du quotidien The Guardian.»
La RTS s’intéresse aussi de près à ces nouvelles technologies. Une cellule de trois collaborateurs dédiée à la stratégie des réseaux sociaux a été mise sur pied en septembre. «En tant que service public, nous avons pour mission de toucher tous les publics, là où ils se trouvent. Sur les réseaux sociaux, nous visons une audience plus jeune, mobile et connectée», explique David Lamon, responsable des contenus digitaux pour la RTS. L’application Periscope a notamment été utilisée pour une interview participative de Darius Rochebin, après une édition du 19h30. «La véritable valeur ajoutée pour nous est cette dimension participative, qui est très appréciée par nos utilisateurs.»
De par leur maîtrise, les chaînes de télévision relativisent l’impact que peut avoir la démocratisation de la vidéo en direct. David Lamon rappelle qu’un match filmé au smartphone depuis les tribunes n’est pas comparable à la qualité d’une retransmission professionnelle. Laurent Keller de Léman Bleu renchérit: «Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour réaliser un bon reportage. Nous avons un savoir-faire qui nous donne une longueur d’avance sur les internautes lambda.»
Six millions d’événements
Néanmoins, la transmission de vidéos en direct sur l’internet suscite de véritables enjeux entre diffuseurs, à croire que cette source d’informations pourrait devenir une priorité pour, par exemple, Facebook: n’a-t-il pas racheté des droits de diffusion du championnat de football américain. Et la plateforme Livestream, lancée à l’EPFL, n’a cessé de progresser depuis sa création en 2007. «A nos débuts, on nous demandait si ce que l’on faisait était vraiment important, raconte Mark Kornfilt, cofondateur de l’entreprise américaine et diplômé de la Haute école lausannoise. Désormais, la question ne se pose plus: nous diffusons six millions d’événements par année!»
Parmi les clients de la start-up, on retrouve des entreprises privées, des organisations sportives, des églises, des universités ou encore l’Agence spatiale européenne. Autant d’entités qui peuvent donner leur communication en direct et en haute qualité, sans passer par une chaîne de télévision.
«Nous franchissons une nouvelle étape avec des diffuseurs tels que Facebook ou Livestream, estime Bernard Rappaz, rédacteur en chef de l’actualité à la RTS. Nous devons nous battre face à une compétition de plus en plus accrue pour l’achat des droits, notamment dans le domaine du sport. Nous devons également considérer ce déluge d’images en direct comme une nouvelle source d’informations, pas toujours faciles à vérifier et à contextualiser.»
«2016 sera l’année des vidéos en direct, prédit Mark Kornfilt, qui se réjouit de l’amplification du phénomène. Aujourd’hui, lorsqu’un événement se passe quelque part, on s’attend à pouvoir en trouver une trace vidéo après un certain temps. Nous pensons que bientôt, les gens s’attendront à pouvoir assister à n’importe quel événement en direct sur l’internet.»
Facebook, Twitter, Google: la lutte des titans
Au printemps 2015, les applications concurrentes Periscope et Meerkat sont nées presque simultanément. La vidéo en direct s’invitait ainsi dans nos téléphones mobiles, grâce notamment à l’amélioration de la qualité de la caméra et de la bande passante. Moins d’une année après, Meerkat a perdu la bataille. Pour une raison simple: Twitter a racheté Periscope, lui permettant d’acquérir une large audience et un canal de distribution puissant.
En avril, Periscope a fêté sa première année avec un bilan vertigineux: 200 millions de vidéos diffusées depuis sa naissance et 110 années de contenu visionné chaque jour. Mais la bataille ne fait que commencer. Depuis quelques mois, l’application fait face à un nouveau concurrent de taille: Facebook. Le réseau social avait d’abord limité son option de live streaming à quelques VIP, avant de l’étendre à tous les utilisateurs en début d’année.
Cette fois-ci, l’avantage de l’audience n’est plus dans le camp de Twitter, qui compte quatre fois moins d’utilisateurs que Facebook. Ce dernier n’apporte d’ailleurs que peu de nouveautés par rapport à son concurrent, si ce n’est la promesse d’une audience sans précédent.
Google voudrait également s’imposer sur ce marché, Depuis quelques mois, des rumeurs se précisent sur le développement d’un produit, qui serait baptisé YouTube Connect. La firme, dont le réseau social Google + a été un flop, devra toutefois faire preuve d’ingéniosité pour battre Facebook et son 1,5 milliard d’utilisateurs.