Zoom. Pour aider le promeneur à reconnaître les plantes, les applications fleurissent. La palme à celles du Vaudois Roland Keller, spécialiste de l’identification végétale.
L’autre dimanche, avec un petit groupe de membres du Cercle vaudois de botanique, Roland Keller quadrillait, le nez dans l’herbe et l’œil en alerte, une portion de campagne dans la région de Gimel. Le recensement de la flore vaudoise est en marche, le premier depuis 1882.
Ce dimanche parmi de nombreux autres, chaque plante identifiée sur le terrain a été consignée dans un tableau à entrées multiples. Encore fallait-il la reconnaître: renoncule âcre ou renoncule bulbeuse? Euphorbe douce ou euphorbe à feuilles d’amandier? Dès qu’un doute surgissait, tout le monde se tournait vers Roland Keller: question identification, c’est un vrai crack. «Il est fort, confirme Gwénolé Blanchet, responsable du groupe ce jour-là: il reconnaît même les graminées, une famille difficile, que peu de botanistes maîtrisent.» Là, on parle des brins d’herbe, donc.
Cette formidable connaissance du monde végétal, Roland Keller l’a traduite dans deux applications destinées au grand public. Téléchargeables pour 10 francs, Wild Flora et Wild Trees, l’une pour les fleurs, l’autre pour les arbres, ouvrent au promeneur du dimanche, et à ses enfants ébahis d’admiration, les portes de la vertigineuse diversité du monde végétal. C’est magique: plus vous regardez, plus elle se déploie. A condition de savoir quoi regarder.
La forme de la feuille, celle de sa nervation, la forme et la couleur de la fleur? Par étapes, à l’aide de dessins limpides, votre œil s’aiguise. Vous avancez dans l’identification jusqu’à la fiche d’identité de la plante: photos, noms latin et commun (en français, en anglais et en allemand), environnement. Bonjour l’hellébore et le rampon sauvage, salut à l’armoise et au millepertuis.
Il y a peu encore, pour parvenir au même résultat, l’amateur éclairé trimballait de gros bouquins nettement plus compliqués à consulter. La bible suisse de l’identification s’appelle Flora helvetica: 3000 photos, 140 francs, un guide de poids. Depuis quatre ou cinq ans, les applications ont fleuri. Flora helvetica est désormais téléchargeable, mais reste chère (80 à 100 francs). Avec son partenaire, Marc Seinet des Editions Micromegas, Roland Keller a conçu un instrument moins touffu, plus abordable. Un équilibre particulièrement réussi entre rigueur et convivialité.
Il y en a d’autres (lire ci-dessous). Dans la catégorie superfastoche, on a les Shazam de la flore: vous prenez la plante en photo, vous envoyez votre requête et son nom vous revient. «Mais leur fiabilité est moindre, note Roland Keller. Et, surtout, la démarche n’est pas intéressante, on tombe dans la botanique du nom. Certaines personnes ne s’intéressent qu’à ça: mettre un nom, ça devient plus important que regarder.»
Sauvagerie du géranium
La botanique du nom, c’est la bête noire de Francis Hallé, le célèbre chercheur et conférencier qui a inspiré à Luc Jacquet le film Il était une forêt (2013). Roland Keller, après avoir grandi à Lausanne, a été son élève à l’Université de Montpellier. Il y a étudié l’architecture des arbres. Puis il a rédigé une thèse sur l’identification des arbres tropicaux, alimentée par plusieurs missions dans les Guyanes et en Indonésie.
En Suisse, comme botaniste indépendant, il s’est surtout concentré sur le suivi de la biodiversité. Du modeste brin d’herbe en bas de chez lui à la canopée exotique, son «univert» ne connaît pas de hiérarchies. Il a 60 ans et, sur chaque créature végétale qu’il croise, il pose un regard de premier rendez-vous.
En quelques heures de promenade avec lui, voici, en vrac, ce que j’ai appris. Les plantes néophytes arrivent chez nous depuis le sud ou l’est. Les plantes indifférentes poussent sur des sols de natures diverses. L’armoise commune s’appelle, en ukrainien, tchernobyl. Les champignons sont plus proches, du point de vue biochimique, des animaux que des plantes. Les géraniums qui garnissent les balcons hyperhelvétiques viennent d’Afrique du Sud, et d’ailleurs leur vrai nom est «pélargonium». Les vrais géraniums sont dans les prés et les bois. Il y a le brun, le fluet, le sanguin, le géranium des marais, des bois ou des Pyrénées…
Ça, ce n’est pas Roland Keller qui me l’a dit. J’ai seulement tapé «géranium» dans son application.
Quelques applications vertes
Wild Flora et Wild Trees
630 espèces pour la première, 170 pour la seconde: par souci de lisibilité, Roland Keller et Marc Seinet ont choisi «les grands arbres et les fleurs visibles». En excluant par exemple les graminées, les lèches et les joncs. L’identification se fait par choix successifs de critères (formes et couleurs), appuyés par des dessins très lisibles. Un mélange réussi de convivialité et de rigueur scientifique, disponible en français, en allemand et en anglais. Les espèces sont suisses, mais l’immense majorité d’entre elles se retrouvent dans toute l’Europe centrale. Prix: 10 francs.
Flora Helvetica
C’est la version numérique de la bible du botaniste helvétique, avec un panorama exhaustif des 3000 espèces connues. Le processus d’identification est le même que dans Wild Flora, mais en plus touffu et avec des options supplémentaires (clé dichotomique). Deux prix: 80 francs sans clé dichotomique, 100 francs avec.
iForest
Développé en Suisse alémanique, présente 101 conifères, arbustes et feuillus indigènes. Existe aussi en version française, mais dans une traduction qui rend le processus d’identification, déjà peu limpide au départ, encore plus énigmatique («plante d’exercice», «succession fixe»?). Prix: 15 francs. Le même développeur propose aussi iPflanzen (fleurs) et iGarten (plantes de jardin), mais uniquement en allemand et en anglais.
FlowerChecker
Développé par une équipe de «botanist geeks» tchèques qui se flatte d’avoir déjà identifié 134 477 plantes. Sympa dans la catégorie «Shazam botanique». On envoie la photo de la plante, les spécialistes en ligne l’analysent et son nom vous parvient dans les vingt-quatre heures. Le prépaiement de 1 dollar donne droit à trois réponses. Inconvénient, outre la non-immédiateté de la réponse: tout est en anglais.
Proposé par le Cirad, l’organisme français de recherche agronomique. Même principe que FlowerChecker (par photo), mais la réponse arrive immédiatement et en français. Inconvénient: une fiabilité moindre. Dans notre essai, l’outil a confondu un chèvrefeuille avec une mimosacée. Avantage: c’est gratuit.