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Le terrorisme décuple la population des aviophobes

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Jeudi, 2 Juin, 2016 - 05:49

Mehdi Atmani

Eclairage. Un tiers des passagers sont des phobiques de l’avion. Angoisse face aux bruits, aux décrochages, manque de confiance dans le pilote… Et, depuis peu, peur du terrorisme. Les compagnies et les aéroports prennent des mesures spéciales. Ils adaptent leurs cours de désensibilisation à ce contexte sécuritaire particulier.

Le vol 9268 de la compagnie russe Metrojet, à destination de Saint-Pétersbourg, avait quitté Charm el-Cheikh vingt-trois minutes auparavant. Ce 31 octobre 2015, cet Airbus 321-200 se pulvérise à une altitude de 30 000 pieds (9144 m) au-dessus du Sinaï. L’avion transportait sept membres d’équipage et 214 passagers. Deux semaines après la catastrophe, le groupe djihadiste Etat islamique revendique le crash. Il aurait profité d’une faille sécuritaire pour introduire un engin explosif dans l’appareil. Le 13 novembre 2015, la France subit l’attaque terroriste la plus meurtrière de son histoire. Puis, le 22 mars 2016, c’est Bruxelles, son métro ainsi que son aéroport Zaventem qui sont les cibles du terrorisme de Daech.

L’aviation a beau se targuer d’être le moyen de transport le plus sûr au monde, lorsqu’elle est victime d’une attaque terroriste elle enfante une nouvelle génération de phobiques et renforce les peurs des aviophobes de longue date. A chaque accident d’avion, les effectifs du cours «Voler sans peur», dispensé une fois par mois à l’aéroport de Genève Cointrin, décuplent. Dans le climat anxiogène entretenu par les actions terroristes de l’Etat islamique en Europe, les peurs des passagers ont-elles changé? Comment les compagnies aériennes, dont les mesures de sécurité augmentent sans cesse, intègrent-elles cette nouvelle donne sécuritaire?

Ce vendredi 8 avril 2016, Fabienne Regard sirote son café dans l’aire d’arrivée de Cointrin. Cette chercheuse académique est une ancienne phobique de l’avion reconvertie en coach. Depuis plus de vingt ans, elle pilote le stage «Voler sans peur» pour libérer les aviophobes de leurs angoisses. Ce matin, elle scrute l’écran des arrivées. «Le vol Swiss Zurich-Genève est prévu à 10 h 26.» Dans l’appareil, une vingtaine d’aviophobes du cours de Fabienne Regard tentent de mettre fin à leurs angoisses.

Tous et toutes ont payé entre 300 et 990 francs pour participer au stage de trois jours qui comprend l’aller-retour final entre Genève et Zurich sur un vol de ligne et le suivi gratuit à vie. Ils sont coachés par des anciens phobiques et du personnel navigant spécialement à bord pour les aider.

La peur panique de voler, comme toute phobie, est un tabou. Elle toucherait près d’un tiers de la population à des degrés plus ou moins sévères: peur du décrochage, des bruits pendant le vol, des turbulences, mais aussi angoisse de s’en remettre à la seule responsabilité d’un pilote, ou conviction que le personnel navigant ne dit pas tout en cas de pépins. Les phobies sont multiples. Elles touchent particulièrement des individus «perfectionnistes, qui aiment tout contrôler», souligne Fabienne Regard. Le stage «Voler sans peur» comprend une journée de questions-réponses avec un commandant de la compagnie Swiss. Mais aussi un programme de gestion de la peur et des émotions. Le dernier jour est dédié au vol entre Zurich et Genève, suivi du «débriefing».

Effet post-11 Septembre

Fabienne Regard constate que «la dimension peur de l’attentat augmente depuis plusieurs années. Les questions des participants évoluent. Il y en a beaucoup sur la sécurité, le tri et le contrôle des bagages ou l’état psychique du pilote. Le cours a pour objectif d’adapter la sensibilité du système d’alarme des phobiques à la réalité du danger encouru. On leur apprend donc quels sont les conseils de sécurité et comment on sécurise un vol, ainsi qu’un avion.» Fabienne Regard se souvient encore de l’effet, à retardement, du 11 septembre 2001. «Deux mois après les attaques de New York et Washington, les phobiques ont décidé de ne plus prendre l’avion. L’effectif de mon cours a chuté de moitié pour remonter quelques mois plus tard.»

Le suicide du pilote de la Germanwings, le crash de Metrojet, les attentats de Paris et de Bruxelles n’ont pas aidé à rassurer les phobiques de l’avion. Au point de ne plus prendre l’avion? Chez easyJet, qui souligne avoir été «affectée par les terribles attaques de Bruxelles, où la compagnie opère huit routes, il est encore trop tôt pour évaluer l’impact sur les réservations». Mais la compagnie à bas prix constate que «l’envie de voyager en Europe demeure forte. Le taux de remplissage du mois de mars 2016 de la compagnie sur l’ensemble du réseau atteint le chiffre positif de 91,3%.» Les aviophobes l’ignorent encore, mais il n’a jamais été aussi sûr de voler qu’aujourd’hui.

La donne terroriste change le quotidien des pilotes

Depuis 1994, Luc Wolfensberger officie en qualité de pilote chez Swiss. A 48 ans, il rassure depuis plusieurs années les phobiques du cours de Fabienne Regard. «La sécurité au sein du transport aérien est omniprésente. Elle a même été améliorée, souligne-t-il. Nous aussi, nous devons montrer patte blanche avant de mettre un pied sur le tarmac, puis dans l’avion. Nous n’avons aucun passe-droit.» Luc Wolfensberger rappelle que des «incidents d’avion, il y en a de manière régulière. Ce qui a changé, c’est la nature de certains accidents.» Il cite le crash de la Germanwings, en mars 2015. Le copilote, Andreas Lubitz, avait précipité intentionnellement l’appareil, qui a fini par s’écraser dans les Alpes-de-Haute-Provence. «L’accident a eu un impact énorme, se souvient Luc Wolfensberger. C’était un Airbus A320, que tout le monde utilise pour des voyages en Europe.»

Si le commandant de bord de Swiss «se sent sûr et super à l’aise dans son cockpit», il reconnaît que la donne terroriste a changé petit à petit son quotidien. «Avant le 11 septembre 2001, la porte du cockpit était fermée pendant le vol, mais pas verrouillée. J’en profitais pour montrer mon magnifique monde aux passagers. Les nouvelles règles de sécurité restreignent la proximité avec les voyageurs. Pour garder un lien, j’essaye d’être présent en cabine à la fin de l’embarquement pour y faire une petite annonce et établir un contact visuel avec les passagers. Cela peut avoir un effet tranquillisant du fait qu’ils m’ont vu et entendu.» Depuis l’accident de la Germanwings, il y a l’obligation qu’une deuxième personne soit présente en tout temps dans le cockpit.

En vingt-deux ans de carrière, Luc Wolfensberger ne note pas de changements dans les peurs de l’aviophobe. «Rien que le fait de monter dans un avion signifie pour le phobique que cet appareil va avoir un problème. Il ne s’imagine pas qu’il puisse voler sans réacteur. Durant le stage, j’essaie d’expliquer les bases de l’aérodynamique et la cause des turbulences, afin de lui permettre de mieux gérer ses émotions.» Le pilote souligne qu’il y a «de moins en moins de pannes techniques grâce aux énormes progrès de l’électronique embarquée. La technologie fait qu’un avion est un moyen de transport très, très fiable.»

Luc Wolfensberger, qui a déjà vécu plusieurs incidents techniques, rappelle que les pilotes doivent renouveler leur licence et leurs connaissances techniques deux fois par année. Il souligne surtout que les principales causes d’un déroutage ou d’un atterrissage d’urgence viennent de passagers perturbateurs.

Timothy Kriegers est pilote de ligne sur Airbus A320 depuis un an. A 24 ans, il est aussi le président de l’association à but non lucratif Pilotesuisse, qui a notamment l’objectif de promouvoir son métier. Lui n’a jamais connu le monde d’avant le 11 septembre. «La sécurité ne cesse d’augmenter. Le risque a toujours existé. Dans les années 1970, l’aviation était la cible du terrorisme palestinien. Nous pouvons aujourd’hui nous protéger de plusieurs choses, mais nous ne pourrons jamais nous protéger de tout. Il faut tout de même faire confiance au personnel qui travaille à l’aéroport et aux autorités.»

Mais les impératifs sécuritaires d’aujourd’hui sont-ils compatibles avec la pression commerciale que subissent les compagnies et les exigences des passagers de traverser l’Europe pour moins de 50 francs? Pour Timothy Kriegers, cela ne fait aucun doute.

Refaire confiance à l’avion

Retour à Cointrin. Il est 10 h 45 lorsque la vingtaine de participants au stage de Fabienne Regard débarque dans l’aire d’arrivée. Les visages sont apaisés. D’autres portent encore des marques de stress. La troupe d’aviophobes s’installe dans une salle de l’aérogare pour le «débriefing». Hommes, femmes, jeunes et moins jeunes ont combattu leurs peurs avec plus ou moins de succès. Il y a Dorine, qui ne peut retenir ses larmes. La participante a fait l’aller-retour en avion. Elle confesse avoir «cherché désespérément la gare de l’aéroport de Zurich pour rentrer à Genève, mais ne l’a pas trouvée». Il y a aussi Claude, qui s’est endormi au retour. Et puis Roberto qui, lui, n’a pas osé monter dans l’appareil.

Le jeune homme de 35 ans ne s’est pas senti capable de braver sa peur de mort imminente dans les transports. «Je n’étais pas connecté. L’angoisse a pris le dessus, dit-il en promettant de faire une nouvelle tentative. Je dois partir au Portugal au mois de juillet. Je suis à deux doigts d’annuler.» Les autres participants l’encouragent à y aller. Quand il était petit, Roberto adorait voler… «Mais une fois, un vol s’est mal passé. C’était fini. J’ai repris l’avion deux fois par obligation, mais c’est tout. J’aimerais à nouveau pouvoir faire confiance à l’appareil.»

A l’issue du stage, tous les participants se retrouvent sur un forum en ligne dans lequel ils trouvent le soutien d’ex-phobiques, l’assistance de professionnels et celle des bénévoles de l’association. Lors de leurs prochains vols, Fabienne Regard prévient les équipages. Les aviophobes seront alors chouchoutés. La formation «Voler sans peur» touche à sa fin. Dans quelques heures, trois participantes reprennent déjà l’avion. Les autres feront de même ces prochaines semaines. Fabienne Regard est formelle: «Le meilleur moyen de vaincre sa peur est de repartir très vite, dans la foulée du stage.» 

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Jeremy Bierer
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